La France brûle sous une chaleur accablante. Et la sécheresse gagne du terrain. Avec le Groupe BRL, la Région Occitanie dispose d’un bras armé dont la mission est justement de répondre à cette situation de stress hydrique. Son président, Fabrice Verdier, et son DG, Jean-François Blanchet, expliquent comment, avec force anticipation, l’apport de l’eau du Rhône soulage les nappes d’eau et met de plus en plus de productions agricoles à l’abri. Pour aller plus loin, d’ici un mois, la région Occitanie se dotera d’un schéma de gestion de l’eau.
Sécheresse et canicule, un duo stressant. “La période hivernale, entre octobre et mars, s’est globalement correctement déroulée, expose Jean-François Blanchet. Avec des précipitations qui, sans être exceptionnelles, ont été proches de la moyenne. Et qui ont permis de recharger les sols, mais peut-être insuffisamment les nappes.” Pour le directeur général du Groupe BRL (1), “rien ne laissait présager un épisode aussi sérieux” que celui que nous vivons en ce moment.
“Cet été, nous devrions être en mesure de répondre à la demande”
Sans être inquiet, mais “préoccupé”, il ajoute : “Nous sommes prêts à faire face à la demande en eau. Les stocks ont été constitués ; les programmes de maintenance faits ; nous surveillons le débit du Rhône. Nous agissons déjà. Les besoins en eau sont les plus forts jamais observés pour un mois de mai – les records succèdent aux records, Ndlr (1) – ; c’est vrai sur la partie rhodanienne moins côté Orb. Les cultures, maraichage, arboriculture, que nous irriguons, ne sont pas de la même nature. Ils sont beaucoup plus sensibles aux premiers 50 centimètres de profondeur du sol. Or, en mai dernier, non seulement nous n’avons pas eu de pluie, nous avons eu des températures élevées et également du vent qui dessèche. Cet été, toutefois, nous devrions être en mesure de répondre à la demande.”
“Il faut se préparer aux scénarios les plus extrêmes”
Par ailleurs, le phénomène canicule-sécheresse “interroge, y compris par rapport à une trajectoire : nos anciennes années exceptionnelles vont devenir les années moyennes de la décennie actuelle. Sur les cinq dernières années, en comptant celle en cours, quatre années ont connu des épisodes de sécheresse. C’est significatif. Il faut se préparer aux scénarios les plus extrêmes. On pourra avoir dans une même année du gel intense au printemps, une sécheresse en été et des inondations exceptionnelles en automne.” Avec des événements plus longs, plus intenses et couvrant un plus grand territoire.
Pour nous, ce n’est pas une situation critique. C’est simplement un mois d’avance. C’est justement pour cela que BRL existe : gérer l’eau en période de sécheresse”
Jean-François Blanchet, DG du Groupe BRL
Pourtant, “nous avions eu un épisode de précipitations assez soutenu mi-avril, laissant à penser que tout allait se passer dans des moyennes proches du climat méditerranéen et, finalement, on est confrontés à un mois de mai exceptionnel en températures avec une quasi absence de précipitations et un mois de juin qui enchaine crescendo… Avec une précocité et des records inattendus. Avec ce mois d’avance, les nappes sont très fortement sollicitées.” Jean-François Blanchet ajoute : “Pour nous, ce n’est pas une situation critique. C’est simplement un mois d’avance sur le calendrier. C’est justement pour cela que BRL existe : gérer l’eau en période de sécheresse.” Les préfectures du Gard – le Vidourle et la Cèze sont en alerte renforcée et l’Hérault et le Gardon sont en alerte – et de l’Hérault viennent de prendre des arrêtés sécheresse, justement.
Nous avons réfléchi, avec la Région, une décennie à l’avance pour définir les besoins à prévoir (…) Tout cela amène aujourd’hui à des effets très utiles dont la réflexion initiale remonte à 2011-2012″
Jean-François Blanchet précise : “Notre action s’organise en trois temps. D’abord, le temps long pour nos investissements. Nous nous posons les questions bien avant des effets climatiques sévères pour déterminer, par exemple, les superficies qui doivent être irriguées ou les territoires où l’accès à l’eau doit être sécurisé quand les ressources locales sont insuffisantes. C’est ce que nous avons porté avec le programme Aqua Domitia (2). Nous avons réfléchi, avec la Région, une décennie à l’avance pour les définir les besoins à venir. Et, heureusement : tous les territoires équipés en irrigation ou dont la ressource en eau est sécurisée ; je pense au syndicat du Bas-Languedoc, entre Montpellier et Béziers, ou quand on amène de l’eau du Rhône dans certains autres territoires pour les soulager, tout amène aujourd’hui des effets très utiles dont la réflexion initiale remonte à 2011-2012.”
Déjà 6 000 hectares de culture portés à l’irrigation
Alors que le gouvernement a annoncé la création d’un fonds de 500 M€ pour la “renaturation” des villes, des îlots de fraicheur ; que les pompiers sont toujours sur le qui-vive et que les lycéens qui passent le bac sont fatalistes, la sécurisation en eau de nombreux territoires dans la région, grâce à BRL, permet d’être un peu moins sous pression. “Aujourd’hui, révèle Jean-François Blanchet, on a pratiquement 6 000 hectares de culture portés à l’irrigation sur cette décennie grâce à Aqua Domitia. Et, heureusement, qu’ils l’ont été. On a aussi sécurisé l’alimentation en eau du Syndicat du Bas-Languedoc. Ça c’est le temps long, de l’anticipation pour définir les infrastructures, de la concertation à la réalisation. On a une région “stratège” qui a su mettre en place un grand programme d’aménagements de 220 M€. C’est une réussite de la décentralisation.”
On en a développé une application pour l’irrigation de la vigne, Eau’capi, permettant de déterminer la quantité d’irrigation en fonction des caractéristiques climatiques et d’un sol donnés”
Jean-François Blanchet attire toutefois l’attention sur le fait que les investissements seuls n’y suffiront peut-être pas. “Il faut, bien entendu, faire des économies d’eau, dit-il. Car nos infrastructures permettent un transfert un volume limité d’eau – le débit de transit d’Aqua Domitia, c’est 2 500 litres par seconde à la station de pompage Mauguio – ; il faut que chacun consomme avec sobriété et modération. La sobriété n’est pas une option. C’est un enjeu où la demande doit être optimisée. C’est pour cela aussi que nous développons des techniques d’irrigation les plus économes possibles. Avec des outils d’aide à la décision, notamment sur smartphones. On a développé une application pour l’irrigation de la vigne, Eau’capi, permettant de déterminer la quantité d’irrigation en fonction des caractéristiques climatiques et d’un sol donnés.”
On a tenu les délais malgré la situation mondiale difficile et une pénurie de matériaux, malgré un confinement en Chine et des produits manufacturés qui ne sont pas forcément fabriqués. Quand les conteneurs ne restent pas dans les ports…”
“Ce qui nous préoccupe, c’est le temps court, celui d’une saison. Que faut-il faire ? Là aussi c’est de l’anticipation à travers un très gros travail de maintenance des stations de pompage, sur les réseaux, avec un renouvèlement des équipements, des changements de moteurs plus économes en énergie, la limitation des fuites d’eau… Tout ceci nous a mobilisés jusqu’en mars. On a tenu les délais malgré la situation mondiale difficile et une pénurie de matériaux ; malgré un confinement en Chine confine et des produits manufacturés qui ne sont pas forcément fabriqués. Quand les conteneurs ne restent pas dans les ports… Nous avons donc considérablement anticipé il y a presque un an. Nous gérons aussi la ressource en eau dans les barrages – la Ganguise, dans l’Aude, celui des Monts d’Orb, à Avène, dans l’Hérault – pour que les niveaux soient satisfaisants avant le début de la saison.”
Renforcement des équipes d’astreinte, mise en place de brumisateurs sur nos transformateurs… C’est le retour d’expérience de la canicule de 2019, très précieux”
Troisième temps d’intervention de BRL, tout aussi stratégique, celui de “l’instantanéité”. Il explique : “La continuité du service de l’eau, avec un renforcement des équipes d’astreinte, mise en place de brumisateurs sur nos transformateurs que nous avons activé il y a quelques jours. C’est le retour d’expérience de la canicule de 2019, très précieux. Grâce à Météo France, nous pouvons nous organiser une semaine à l’avance.”
Quand on n’a vraiment pas le choix, il est nécessaire de réutiliser l’eau plutôt que de prélever dans des aquifères, cela doit être une solution à privilégier. Sinon, il faut être prudent”
Et le recyclage des eaux usées…? “L’avenir est devant nous !, dit Jean-François Blanchet, DG de BRLqui dispose d’un programme spécial dont Dis-Leur vous a parlé ICI, Le faible taux de réutilisation en France et les perspectives de progrès. Il faut quand même être prudent : cette solution devra être adaptée aux contextes locaux. S’il y a beaucoup d’eaux usées utilisées en tête des bassins versants, cela signifie que le retour des eaux épurées dans le milieu naturel sera plus réduit. Cela va priver le milieu naturel d’un écoulement du retraitement des eaux usées. À l’inverse, si on est à quelques heures du débouché maritime, dans la partie basse, là l’impact est quasi-négligeable. On doit penser grand cycle de l’eau, non pas cycle des usages. Quand on n’a vraiment pas le choix, il est nécessaire de réutiliser l’eau plutôt que de prélever dans des aquifères, cela doit être une solution à privilégier. Sinon, il faut être prudent.”
Favoriser le cycle naturel de l’eau
Jean-François Blanchet pose aussi une question de fond, celle de “la capacité des sols à retenir l’eau, car les niveaux de précipitations annuelles dans la région sont assez soutenus : on est en moyenne autour de 700 millimètres. Il faut peu imperméabiliser les sols. Il y a beaucoup de réflexion pour respecter et favoriser le cycle naturel de l’eau. Le BRGM (Bureau de recherche géologique et minière) réfléchit à des mécanismes de recharge de nappes phréatiques qui utiliseraient des eaux excédentaires des pluies en en gardant leurs qualités. Cela se passerait sur des terrains naturels et de grandes superficies. Aucune solution ne se suffit à elle-même”.
Opération de conseil avec la filière de l’olive
BRL travaille beaucoup, par ailleurs, “avec la profession agricole, notamment avec SudExpé, organisme rassemblant les stations régionales d’expérimentation agricole, sur l’optimisation des itinéraires d’irrigation. Il faut alimenter les productions avec une consommation d’eau la plus faible possible.” BRL donne aussi des conseils, comme pour la culture de l’olive “pour pouvoir guider, de manière responsable, les producteurs afin qu’ils irriguent de façon économe. Nous avons, à ce sujet, monté une opération avec la filière de l’olive.”
S’agissant d’Aqua Domitia, BRL a mis en eau cette année “1 000 hectares dans le Biterrois pour les besoins des viticulteurs ; de la même façon, on a travaillé dans le Minervois pour mettre en eau, cet été, plus de 1 000 hectares, là aussi. On fait en sorte qu’en 2023, on ait 1 600 hectares complémentaires qui soient mis à l’irrigation dans la zone du Picpoul de Pinet (Montagnac, Florence, Pomerols). Notre dynamique d’investissement est continue.”
L’apport de l’eau du bas Rhône est l’une des solutions aux problèmes d’adaptation des territoires”
Fabrice Verdier, président du Groupe BRL
C’est dans ce cadre que la Région Occitanie a lancé les bases d’une réflexion en vue d’un plan régional de gestion de l’eau. Le Gardois Fabrice Verdier, conseiller régional et président du Groupe BRL, confirme que “depuis de nombreuses années nous anticipons sur l’évolution du climat. Nos réseaux ont la capacité de répondre à la demande. L’apport de l’eau du bas Rhône est l’une des solutions aux problèmes d’adaptation des territoires. Avec Aqua Domitia, nous aidons les agriculteurs et nous soulageons de fait les nappes phréatiques qui seront davantage préservées et réservées à la consommation humaine. Ce sont des vases communicants. Quand BRL apporte de l’eau à Port-Camargue, par exemple, cela soulage d’autant les nappes.” Sécheresse et canicule sont en avance “d’un mois. C’est comme si nous étions déjà à la mi-juillet. Les vraies difficultés pourraient se faire jour, s’il ne pleut pas, d’ici fin juillet”.
Anticipation toujours : “Avec la présidente Carole Delga nous travaillons à une méthode, un schéma, une vision pour les vingt ans à venir sur la gestion de l’eau. Ce qui engendrera des investissements sans doute à faire dans les cinq ans, dix ans, voire vingt ans.” Par exemple, faire venir l’eau de BRL au Nord de Montpellier ; dans le Minervois ; dans le Gard… Et irriguer potentiellement jusqu’à 20 000 hectares de vignes dans l’Hérault, le Gard et l’Aude.
Un grand chantier sera décidé dans “un dialogue permanent”
Ce grand chantier qui engagera la région et ses habitants jusqu’en 2040 “sera décidé en co-construction avec les territoires et les professionnels dans un dialogue permanent.” Fabrice Verdier va plus loin : “BRL est aussi un outil d’aide à la décision, par exemple auprès des agriculteurs ; on peut imaginer, dans le cadre de ce plan, réaliser des retenues hivernales, par exemple ; choisir avec les principaux intéressés quelles productions agricoles pourront en bénéficier ; en mettant aussi en oeuvre des procédés sophistiqués d’arrosage au goutte-à-goutte ; travailler sur l’évolution des cépages à privilégier, etc. Il faut tout étudier : est-on capable de mettre en oeuvre une solution technique ? A quel coût ? Est-ce pertinent, techniquement et financièrement ? Il faut aussi tenir compte du potentiel agronomique, du poids socio-économique de la filière…”
Olivier SCHLAMA
(1) Dans l’Hérault, des records de chaleur avaient été enregistrés le 28 juin 2019, avec 46 degrés à Vérargues. La vigne, en plusieurs endroits, avait brûlé sur pieds. Du jamais-vu.
(2) Décidé par la Région en 2012, le programme Aqua Domitia est un projet d’extension du réseau hydraulique régional, permettant la sécurisation et l’adaptation au changement climatique des territoires littoraux de l’Occitanie, situés entre Montpellier et Narbonne. BRL, concessionnaire du réseau hydraulique régional, est l’opérateur qui réalise le projet. C’est un tuyau souterrain de 140 km de long charriant l’eau du Rhône pour alimenter les stations d’eau potable des plates étendues de l’Hérault et de l’Aude. Ainsi que les exploitations agricoles. Débit de transfert : 2 500 litres par seconde. BRL réalise un chiffre d’affaires de 83 M€ (dont 20 % à l’international) et emploie 680 personnes, dont 75 % en Occitanie.
Avec un objectif multiple : conjuguer la ressource du Rhône avec les ressources locales pour garantir durablement les besoins en eau de ce territoire ; concilier développement économique avec la préservation de l’environnement, en allégeant la pression sur les milieux aquatiques fragiles.
Le financement régional représente 45 % de l’investissement total (221 M€). Les départements de l’Hérault et de l’Aude, le concessionnaire BRL, ainsi que plusieurs agglomérations (dont Hérault Méditerranée, Sète Agglopole et Béziers Méditerranée) participent également à ce grand projet.
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