La variante sportive du sauvetage, activité à l’origine uniquement destinée à éviter les noyades, est en pleine expansion. À Poitiers, le week end dernier, c’était la première compétition pour les meilleurs benjamins et minimes de France où les clubs d’Occitanie, de Sète à Toulouse, se sont distingués. Pour fidéliser les compétiteurs jusqu’à l’âge adulte et massifier leur nombre, la fédération a noué un partenariat avec l’Éducation nationale ; forme des profs d’EPS ; crée un label pour les écoles de nage ; travaille sur les contenus pédagogiques et conçoit même une attraction unique au monde au Futuroscope ! L’ex-ministre des Sports, Roxana Maracinéanu, dont la fille a disputé une finale, analyse les bienfaits de cette discipline. Le DTN, Mathieu Lacroix, et le vice-président de la Fédération, le Perpignanais Pierre Vilacéca, en expliquent la stratégie de conquête.
Y aura-t-il un jour une compétition sportive consistant à manier le bistouri le plus rapidement possible ou à piloter des ambulances pied au plancher ? En tout cas, il existe déjà une discipline en pleine dynamique, le sauvetage sportif, consistant à ramener des mannequins à l’aide de bouées tubes ; de se mesurer, avec des ruptures de rythmes terribles, à d’autres compétiteurs, sur, par exemple, un 200 mètres “obstacles”, censé imiter la hauteur d’une vague sous laquelle on va nager…
“Mieux que pour une finale de N1 !”
Dans les travées de la piscine de la Ganterie, à Poitiers, les familles et les clubs n’ont cessé de pousser de la voix, du nadir au zénith, durant les deux jours de compétition ! “Mieux que pour une finale de N1 !”, dit un coach. De l’eau de vie pour une France en miniature autour du bassin avec béret basque d’un côté ; teint blanc de la jeunesse du Cotentin, et accent chantant pour les jeunes venus de la Méditerranée…
Les 40 meilleurs jeunes français dans chaque épreuve
Pour la première fois – sous cette forme – dans l’histoire de cette discipline, la Fédération française de sauvetage sportif (FFSS) organisait, le week end dernier, à Poitiers, le championnat de France, en piscine, des catégories benjamin et minime. Trente-quatre clubs étaient présents avec 205 jeunes athlètes qui s’étaient pour se qualifier classés parmi les 40 meilleurs français dans chacune des six épreuves (1), certains pouvant cumuler jusqu’à six épreuves. Quasiment à parts égales entre jeunes filles (45 %) et garçons (55 %).
En démonstration aux JO de Brisbane en Australie en 2032
Le sauvetage sportif offre aussi des épreuves en mer : de la nage, du kayak, de la planche… Des courses sur la plage. En individuel ou en relais. Cette discipline, non encore olympique mais qui fournit le plus de médailles à la France aux Jeux mondiaux et qui offre le plus gros contingent de surveillants de baignade formés (4 530 par an plus un millier de sauveteurs en “recyclage” obligatoire). Ce sont eux qui vont surveiller nos plages et nos piscines. La discipline sera en démonstration aux JO de Brisbane en Australie en 2032 sur l’épreuve dite de l’Ocean Man, mêlant nage, planche et un kayak de mer à la glisse incontrôlable…
C’était une demande des clubs et cela devient un objectif pour ces jeunes dans la saison…”
Longtemps président du club de Perpignan, Pierre Vilacéca, est aussi le président de la commission sportive et vice-président de la Fédé. Celui dont le fils, Thomas, a été champion du monde du 200 mètres “Super sauveteur”, en 2012, dit : “Ces championnats benjamin (10-12 ans) et minime (12-14 ans) en eau plate seront désormais inscrits chaque année au calendrier. C’était une demande des clubs et cela devient un objectif pour ces jeunes dans la saison. Ce que je retiens de ces deux jours intenses, c’est la très bonne ambiance ; les jeunes ont moins la pression des résultats et mettent en avant le plaisir. Et cela fait partie des enseignements à tirer. J’ai d’ailleurs dit à différents coaches que ce serait bien que l’on ait la même ambiance chez les grands…”
“Trop grand nombre de blessures aux épaules et aux genoux”
L’autre grand enseignement de cette compétition, c’est maintenir “la bonne santé de nos jeunes, qui est notre préoccupation”. “Nous travaillons avec notre médecin fédéral sur le trop grand nombre de blessures aux épaules et aux genoux que l’on constate chez les plus anciens.” Pas question que “nos sauveteurs sauvent des gens et se fassent eux-mêmes mal…”
Question d’image d’une discipline qui se définit par des valeurs intrinsèques qu’énonce spontanément Mathieu Lacroix, directeur technique national : “Entraide, solidarité, persévérance, altruisme… Ce sont des valeurs importantes que l’on retrouve ensuite dans leurs motivations pour exercer plus tard un métier : beaucoup veulent embrasser une profession de santé, devenir pompier, etc. Pendant la crise du covid, nombreux demandaient : “Mais comment peut-on vous aider…?”
La France, 1er nation européenne et 3e mondiale
C’est autour de cette “belle dynamique” que la Fédération de sauvetage sportif (FFSS), labellisée sport de haut niveau depuis 2009, veut capitaliser. Certes, son budget est lilliputien (à peine 2 M€ par an) mais ses 300 clubs sont très motivés. Comme ses nageurs. “Nous sommes la première nation en Europe et la 3e nation mondiale, après a Nouvelle-Zélande et l’Australie qui a inventé la discipline en 1906 et où c’est une religion totalement intégrée à la vie de tous les jours”, résume Pierre Vilacéca, sans forfanterie.
Championnats d’Europe en 2024 à Montpellier et Carnon
C’est, d’ailleurs, à Montpellier et la Grande-Motte que s’étaient déroulés les championnats du monde 2014. Et c’est à Montpellier et Carnon que l’on pourra admirer ces athlètes aux championnats d’Europe de 2024. C’est aussi à Montpellier que se situe le pôle France supervisant une centaine de sportifs de haut niveau, épaulé depuis septembre par deux autres structures dites d’accompagnement national, l’antichambre du Pôle France, l’un en eau plate à Millau, le second à Biarritz pour le côtier. “Un bon club ? C’est un club qui a un bon projet.” Et puis dans un club de sauvetage, on est accueilli “du bébé au pépé”. Il y en a pour tous.
Plus de 72 000 licenciés, en hausse constante
Des guiboles qui frappent l’eau comme on bassèllerait des poufres ; des coulées interminables ; des bras salvateurs qui tournent comme des moulins..! Malgré ses épreuves physiques spectaculaires, le sauvetage sportif reste encore peu connu en France (72 819 licenciés contre 65 000 en 2019 pour 300 clubs à comparer avec les 1 500 clubs de pure natation) mais il est très populaire, de Hosségor (berceau du sauvetage en France) à Six-Four en passant par Perpignan et Sète et même Millau, le premier club de l’Hexagone au classement de cette compétition qui va même sans doute gérer la piscine locale ! Une première qui va permettre aux pratiquants d’avoir les meilleures conditions d’entraînement.
Imaginez un sport qui joint l’utile à l’agréable ; le ludique au sportif : le sourire pour tous ! Le sauvetage sportif est un sport exigeant, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Et qui ouvre les portes de métiers inventés pour sauver des vies. Et éviter des noyades. La discipline demande puissance, vitesse, endurance ! Tout, quoi ! Elle se dispute en “eau plate” (en piscine) et aussi en “côtier”, en mer, notamment.
Millau, Lavaur, Sète, Agde, Tournefeuille, Perpignan…
Millau, Lavaur, Biarritz sont les trois premiers clubs au classement hexagonal de cette compétition pour benjamins et minimes. Mais, avec Montpellier, Tournefeuille, Agde, Sète, Tarbes, Perpignan, l’Union, etc. : la région Occitanie est très bien représentée avec 11 407 licenciés, soit 16 % des effectifs français ! “L’Occitanie est la deuxième région après l’Aquitaine, avec Montpellier et Toulouse comme plus gros clubs. Le nombre total de licenciés en France a crû de 25 % par rapport à 2022 et de 12 % par rapport à a période avant covid”, sourit de ces bons signes Mathieu Lacroix, le DTN.
Très bonne chose pour enfin valoriser nos benjamins et minimes sans les plonger directement dans le monde brutal des catégories au-dessus”
Coach au MNSL de Sète (classé 11e club sur 34 pour cette compétition), Anastasia Wolf analyse : “Ce championnat est une très bonne chose pour enfin valoriser nos benjamins et minimes sans les plonger directement dans le monde brutal des catégories au-dessus. C’est une belle étape de transition entre le monde des tout-petits et celui des plus grands.”
Elle ajoute : “Nos sauveteurs ont eu l’air d’en prendre plein la vue surtout les plus jeunes qui participaient et voyaient pour la première fois un championnat national. Après, l’ambiance reste à peu près la même qu’au niveau régional ou départemental, assez conviviale. Et, contrairement à une compétition classique, le voyage-déplacement c’est une sacrée expérience !” Pour un bilan sportif flatteur avec “d’excellentes perfs : 9 finales (2 A et 7 B) et un podium en relais pour un premier championnat avec notre petit effectif (dix nageurs). C’est assez encourageant…”
Plus la base est importante, plus on pourra faire de la détection et déceler les talents de demain et leur donner le goût de la compétition, le goût de se dépasser, de se confronter aux autres”
Sébastien Sudre, directeur sportif du club de Millau
Directeur sportif du club de Millau, Sébastien Sudre synthétise : “Nous n’avions pas mis de pression individuelle pour ces premiers championnats mais, tout de même, nous voulions bien figurer au classement des clubs” dont le sien est leader national sur cette compétition. Que pense-t-il de l’offensive de la fédération auprès des jeunes ? “C’est une très bonne chose, qualifie Sébastien Sudre. Plus on a de gamins, plus la base est importante, plus on pourra faire de la détection et déceler les talents de demain et leur donner le goût de la compétition, le goût de se dépasser, de se confronter aux autres.”
Quant à la possibilité que le club de sauvetage de Millau de se voir confier par la communauté de communes la gestion de la piscine, il dit : “On attend la décision en avril. Ce serait génial. Cela créerait une vraie dynamique grâce à des conditions qui ne seront qu’excellentes ; avec un bassin de 50 mètres extérieur ; une salle de musculation…” Et des créneaux forcément bien fagotés.
La barre symbolique des 100 000 licenciés comme objectif
In petto, se dessine au niveau national l’espoir de franchir la barre symbolique des 100 000 licenciés. Pourquoi ce sport plaît-il autant aux jeunes ? Le DTN reprend une formule trouvée par un adhérent : “Le sauvetage, c’est “SUN”, pour Sport nature, Civique et Sauvetage. Au-delà, c’est un sport où nous avons l’ambition de fidéliser jusqu’aux adultes. A partir de l’aisance aquatique”, dès l’âge de 4 ans, si chère à l’ancienne ministre et ex-championne du monde de natation Roxana Maracinéanu, venue à Poitiers pour assister sa fille de 13 ans et remettre les médailles aux espoirs du sauvetage. Jusqu’aux écoles de sauvetage et même aux jeunes en service civique, une centaine par an pour l’instant.
Partenariat avec l’Éducation nationale
Ce n’est pas tout. La Fédération de sauvetage se professionnalise de plus en plus. Dans le sillage de l’écume des compétitions officielles, la Fédé a, par exemple, signé un partenariat avec l’Education nationale pour essaimer dans les écoles à travers l’UNSS, le sport scolaire. Il y a d’ailleurs déjà eu un premier championnat de France en eau plate (piscine) en 2022, à Muret, près de Toulouse. Et une épreuve hybride (piscine et lac, comme à la French Rescue) sera organisée cette année les 5, 6 et 7 juin prochains. Sans oublier les N1 militaires à Montpellier, du 31 mars au 2 avril, et les N2 à Tarbes et Masters, les 15 et 16 avril.
Label pour les écoles de sauvetage
Proposition est aussi faite aux professeurs d’éducation physique et sportive sur la base du volontariat de se former au sauvetage sportif. On en est encore aux balbutiements avec une soixantaine de profs formés en Nouvelle-Aquitaine mais l’avenir promet des jours heureux : “Nous avons beaucoup de demandes”, confie encore le DTN. L’Occitanie devrait suivre. Mathieu Lacroix explique aussi que la fédération travaille à la création d’un label pour les écoles de sauvetage.
Création d’une attraction “unique au monde”, à Poitiers
“Nous travaillons aussi sur les contenus pédagogiques ; sur les statuts des officiels ; sur une refonte des référentiels de la progression comme au ski – du flocon au chamois – pour que l’environnement du jeune soit plus lisible et que le grand public y voie aussi plus clair…” Et s’y intéresse en masse. Cette petite fédération fourmille de projets malins. À Poitiers, par exemple, elle participe d’un certain renouveau du fameux parc Futuroscope en participant à la création d’une nouvelle attraction, “unique au monde”, l’Aquascope, pour 2024. Toboggan, cinéma, etc., et “beaucoup d’effets spéciaux”. “Pour cela, ils ont besoin de 40 surveillants de baignade et de 10 maîtres-nageurs.” Une sacrée vitrine !
C’est une discipline tellement exigeante : six épreuves en deux jours en séries puis autant parfois en finale ! Ma fille n’est pas habituée à cette intensité-là”
Roxana Maracineanu, ex-ministre des Sports
Dans les hauteurs humides du bassin de Poitiers, une jeune fille, Nina, 13 ans, a du mal a contenir sa déception. C’est la fille de l’ex-ministre des Sports, elle-même championne du monde en 200 mètres dos en 1998 à Perth. Roxana Maracinéanu la console d’une finale “A” perdue de loin. Et nous dit : “C’est une discipline tellement exigeante : six épreuves en deux jours en séries puis parfois autant en finale ! Ma fille n’est pas habituée à autant de difficulté accumulée, à cette intensité-là.”
Gamine, Roxana Maracinéanu aurait fait du sauvetage si…
L’ancienne ministre a une vision personnelle et une vision collective de cette discipline. Gamine, aurait-elle succombé au charme du sauvetage sportif ? “Oui ! Même si ça n’existait pas ou si la proposition était peu visible à mon époque. Ma fille qui est d’abord nageuse « pure », parallèlement à la natation en compétition, aime beaucoup les vagues, le surf etc. Nous allons sur ces grandes plages chaque mois d’août dans le Cotentin.” Elle ajoute : “Pour Nina, le sauvetage est super ludique. Je trouve aussi que ce n’est pas aussi exigeant que la natation pure. Imaginez ma fille de 13 ans nage tous les jours, mais elle n’est pas encore qualifiée au championnat de France de natation.”
En soulignant un paradoxe : “Là, elle pratique le sauvetage quelques fois par semaine et elle s’est qualifiée ; elle est même arrivée jusqu’en finale A. Elle sera, certes, arrivée dernière de la finale de sa catégorie, mais ça lui apprend à dompter la gagne ; à gagner à la touche. En fait, le sauvetage pour moi, ce sont des apprentissages à deux dimensions, c’est pour toucher du doigt ce qu’elle peut réaliser éventuellement ensuite en natation pure…”
Pour être Championne du Monde, je n’avais pas des qualités exceptionnelles au-dessus de celles des autres. J’étais la dernière à lâcher…”
Le 200 mètres avec obstacles, par exemple, “où il faut se relancer sans cesse, changer de rythme, c’est justement ce qu’on demande dans la natation pure ! Et ce qu’elle est en train d’apprendre là avec une autre technique. Comme l’apnée, la coulée etc. La natation pure, c’est autre chose. Pour être Championne du Monde, je n’avais pas des qualités exceptionnelles au-dessus de celles des autres. J’avais trouvé le truc pour me motiver et j’étais la dernière à lâcher. Et ça en m’entraînant cinq heures par jour pendant 10 ans…”
“Le sauvetage ? Il faudrait que tous les clubs natation s’y mettent”
Quant à la vision qu’elle a de ce sport, elle analyse : “L’année dernière, quand on est rentrés chez nous, en région parisienne, en venant de passer un mois dans le Cotentin, j’ai proposé à une dizaine de familles inscrites à notre association, à Clamart, Educateam, en plus de la natation, de faire passer à leurs enfants le PSC1 le premier niveau du secourisme, en gros de joindre l’utile au côté sportif.”
L’intérêt du sauvetage ? “Il y a beaucoup de côtés utiles, on peut avoir le statut de sportif de haut niveau de l’âge de 13 ou 14 ans, par exemple, ce qui aide pour la suite. Le sauvetage ? Il faudrait que tous les clubs natation s’y mettent. Ouvrent des sections. On peut y passer son BNSSA, c’est premier diplôme de surveillant baignade à 18 ans. C’est dommage qu’il n’y ait rien entre le PSC1 à 10 ans et PSE1 à 16 ans. Il faudrait étaler ces formations, par modules par exemple jusqu’à 18 ans, en proposant une étape à 16 ans. C’est tellement important pour garder les jeunes captifs (…) Il faut davantage de professionalisation”, dit celle qui va bientôt travailler au ministère dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Pour les espoirs, “c’est maintenant que le travail commence”…
À l’image des espoirs de la discipline : Noélie Albert (Lavaur) ; Nina Ballanger (Cotentin, la fille de l’ex-ministre des Sports), Vadim Nurit (Aqualove, Montpellier) ou Tao Sudre-Lavabre de Millau (“celui qui m’a le plus impressionné dans cette compétition”, note Pierre Vilacéca) qui reprend la maxime que Brassens sortait quand un chansonnier doué croyait avoir écrit une chanson parfaite : “Eh bien, c’est maintenant que le travail commence…”
De notre envoyé spécial à Poitiers, Olivier SCHLAMA
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(1) Les épreuves en en eau plate à lire ICI dont : 100 m, 200 m ou 400 m obstacles ; 100 m mannequin avec palmes ; 50 m mannequin ; 100 m combiné (nage, apnée, remorquage) ; 100 m mannequin avec palmes et bouée tube ; 200 m super sauveteur ; 4X50 m obstacles ; 4X25 m relais du mannequin… Et même relais lancer de corde !
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Les épreuves en côtier, à lire ICI, dont : nage ; planche de de sauvetage ; sprint sur le sable ; surf ski ; beach flags…
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