Le manque est massif, de l’ordre de 5 000 postes, qui ne sont pas pourvus. Selon Jean-Michel Lapoux, secrétaire général de la Fédération des maîtres-nageurs, tout s’est déréglé, petit à petit, depuis 1985, y compris fortement en Occitanie, et la nouvelle formule du diplôme de maître-nageur. Avec d’autres fédérations, il vient d’écrire au ministre de l’Éducation nationale.
Alors que la saison estivale bat son plein et que la chaleur pousse habitants et vacanciers dans les piscines, les lacs, les rivières et vers les bords de mer, tous ces lieux doivent faire face à une pénurie historique de maîtres-nageurs qui s’accentue dans les zones aquatiques. Personne ne connaît précisément le nombre de postes vacants. Mais il est très important : autour de 5 000 pour l’ensemble de l’Hexagone.
Si on compte tout, il faut trouver 5 000 postes !
Une pénurie qui existait bien avant la crise sanitaire mais que la période du covid a accélérée. “En piscines municipales et plages, iI manque entre 1 800 et 2 000 maîtres-nageurs en France, confie Jean-Michel Lapoux, secrétaire général de la Fédération des maîtres-nageurs. Mais beaucoup de campings, piscines privées et hôtels en manquent et ne sont pas surveillés du tout ! Alors qu’il y a des bassins de campings qui font plus d’entrées que des piscines municipales ! Si on compte tout, il faut trouver 5 000 postes.” Et des centaines sont vacants rien qu’en Occitanie.
“Il ne se passe pas une journée sans qu’un particulier me demande si je connais un maître-nageur, surtout pour les enfants. Il en manque massivement”
David Farran, chef de poste à Sète
Ce que confirme David Farran, pompier et chef des six postes de secours à la plage de Sète (Hérault). “Il ne se passe pas une journée sans qu’un particulier me demande si je connais un maître-nageur, surtout pour les enfants. Il en manque massivement. Celui qui dirige pour la saisons estivale “trente BNSSA pour deux maîtres-nageurs”, confirme également le recours massif aux BNSSA. Une facilité pour le SDIS 34 (Service départemental d’incendie et de secours), y compris parce que David Farran, vice-président du club de sauvetage MNSL, y dispose d’un vivier de 18 BNSSA chaque année qui auront, l’été venu, le statut de pompier volontaire.
Résultat, histoire de limiter la casse, certains bassins voient leurs plages horaires raccourcies ; d’autres sont carrément fermés, faute de maîtres-nageurs suffisants… Mais sur le long terme, la situation n’est pas tenable, y compris pour l’apprentissage, si important, de la natation et, in fine, pour sauver des vies.
Le diplôme de maître-nageur revient à 10 000 €
Secrétaire général de la Fédération des maîtres-nageurs sauveteurs, Jean-Michel Lapoux revient au contexte : “Pour bien comprendre, il faut savoir qu’il existe deux examens. Celui des maîtres-nageurs qui peut surveiller ET enseigner et celui d’aide maître-nageur, en quelque sorte, le Brevet national de sécurité sauvetage aquatique (BNSSA) qui ne peut que surveiller.”
Pour devenir maître-nageur, il faut un an au minimum de formation à temps plein. Elle coûte 6 500 €. Ce à quoi il faut ajouter le paiement de son loyer, se nourrir, se déplacer, etc. “Au final, un an dans ces conditions (c’est trop long, trop cher pour des lycéens ou des étudiants), c’est quelque 10 000 € de budget pour un jeune. C’est ça le gros problème. Car c’est se former à perte, pour faire une saison. Pour le BNSSA, la formation c’est le soir ou les week-ends. Elle coûte beaucoup moins cher, entre 300 € et 600 €.”
De moins d’enfants ont l’occasion de se familiariser avec les rudiments de la nage
Résultat, sur les plages, “même les CRS, quand ce sont eux, qui tiennent les postes de secours, ne sont plus maîtres-nageurs mais seulement BNSSA… Dans nombre de piscines, la majorité n’a que ce diplôme… Conclusion, il n’y a de moins de moins de maîtres-nageurs qui apprennent à nager.” Et, mathématiquement, de moins d’enfants ont l’occasion de se familiariser avec les rudiments de la nage, donc… “À Paris, par exemple, où j’étais il y a quinze jours, on pouvait apprendre la nager dans une piscine sur quinze…”
L’été dernier, près de 1 500 noyades dont 400 mortelles
Ce qui peut, à terme, devenir catastrophique : l’été dernier, Santé publique France a compté près de 1 500 noyades, dont 400 mortelles. Ce n’est pas rien. Sachant aussi qu’un élève sur deux, entrant en classe de 6e, sait nager. “Et encore ça dépend des endroits : dans certaines zones rurales, sans possibilité de piscine l’hiver, c’est quatre enfants sur cinq qui ne sait pas nager en 6e… Cette situation menace l’apprentissage de natation. Cela fait dix ans que l’on met des BNSSA à la place de maîtres-nageurs par dérogation des préfets… Et, pointe Jean-Michel Lapoux, cela fait dix ans que l’on apprend de moins en moins à nager. Cela ne peut qu’amplifier le nombre des noyades.”
“On a de fait, parce que cette formation est chère et longue, éliminé les étudiants, lycéens, instits, profs de gym, CRS, les gendarmes… Tout autant de gens qui ne pouvaient pas abandonner leur métier pour faire une saison…”
Pour lui, il faut revenir à une situation précédente. D’avant 1985. À cette époque, on a tout changé. On a donc créé ce diplôme de maître-nageur, payé en début de carrière aux alentours de 1 350 €-1 400 € nets par mois, sans compter les cours privés qui peuvent s’y ajouter. Mais pas pour les titulaires du BNSSA. Maître-nageur reste, certes, un métier de vocation, animé par la volonté de porter assistance. Mais “on a de fait, parce que cette formation est chère et longue, éliminé les étudiants, lycéens, instits, profs de gym, CRS, gendarmes… Tout autant de gens qui ne pouvaient pas abandonner leur métier pour faire une saison.”
“Vu le prix de la formation, ils font une ou deux saisons et ne viennent plus ; il y a un turn-over énorme…”
Il ajoute : “En Aquitaine, par exemple, on formait 400 maîtres-nageurs jusqu’en 1985. Aujourd’hui, on atteint à peine 40…Rien qu’à Bordeaux, nous formions 200 maîtres-nageurs avant 1985, aujourd’hui ? Aucun… C’est pareil en Occitanie. Le Creps de Montpellier est l’organisme qui forme beaucoup de maîtres-nageurs. Mais vu le prix de la formation, ils font une ou deux saisons et ne viennent plus ; il y a un turn-over énorme…”
“On les baptise pompiers volontaires – et ils ne sont pas plus pompiers que vous et moi – et tiens bon !”
Jean-Michel Lapoux met les pieds dans le plat : “Les BNSSA comme les maîtres-nageurs sont en quelque sorte “payés au noir” quand ils travaillent pour le public : on les baptise pompiers volontaires – et ils ne sont pas plus pompiers que vous et moi – et tiens bon ! On leur paie des vacations environ 2 000 € mensuels, mais net d’impôts et net de charges. Pour autant, ce n’est pas Byzance. Dans les Charentes, c’est le cas comme dans l’Aude ou l’Hérault. C’est totalement légal, certes…”
Le ministre de l’Éducation nationale saisi
Il poursuit : “L’ancienne ministre des Sports, Roxana Maracineanu nous avait convoqués avec d’autres fédérations tous les moins pendant un an pour discuter de ça entre autres… C’était la mode… Son but, c’était d’avoir une formation de maître-nageur la plus longue possible et la plus chère possible, pour gagner de l’argent, croit-il. Certaines fédés sont dans cet état d’esprit, aussi.”
La solution que préconise Jean-Michel Lapoux, “c’est déjà de revenir à ce que l’on faisait avant 1985 : former les maîtres-nageurs pendant les vacances scolaires, Noël et février pour qu’ils puissent travailler, formés et diplômés, dès le mois de mai”. Employable et “surtout mieux payés. Avec les autres fédérations, nous avons écrit au ministre de l’Education nationale pour lui dire si on ne révise pas ce système, il va y avoir des morts.
Olivier SCHLAMA
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