Gard, Hérault, Haute-Garonne et Hautes-Pyrénées sont très concernés. En France, selon le ministère de l’Intérieur, il y a eu, en 2023, 96 féminicides contre 145 en 2022, “niveau le plus bas jamais atteint depuis 2006”. La directrice du CIDFF du Gard valide, mais il reste beaucoup à faire. Béatrice Bertrand organise un colloque jeudi à Nîmes où sera évoquée une mesure innovante : la présence d’un tiers de confiance au moment du “passage de bras” d’une garde alternée, où se produit 75 % des passages à l’acte. Pour Maëlle Noir, de Nous Toutes, la définition du féminicide doit être plus large. Et réclame un plan à la hauteur de l’enjeu.
Au lendemain de la Journée internationale pour l’élimination de la violence envers les femmes, une enquête consolidée du ministère de l’Intérieur, dénombre en 2023, en France, 119 morts violentes au sein du couple contre 145 l’année précédente (26 victimes de moins, soit – 18 %), « le niveau le plus bas jamais atteint depuis 2006 ». Soit, tout de même un tué et le plus souvent une tuée tous les trois jours en moyenne. Ces faits représentent 15 % (contre 18 % en 2022) de l’ensemble des homicides non crapuleux et violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner enregistrés en France en 2023 (780 cas recensés).
Comme les années précédentes, ce sont les femmes qui en sont les principales victimes : sur ces 119 morts violentes, 96 sont en effet des femmes (contre 118 en 2022). Ces féminicides, rendus publics à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, sont, toujours selon le ministère, en baisse de 19 % par rapport à 2022.
L’Occitanie, l’une des régions avec le plus de victimes
En métropole, l’Île-de-France comptabilise le plus grand nombre de morts violentes au sein du couple avec 22 faits. Trois régions comptabilisent plus de dix victimes : les Hauts-de-France (16 victimes), l’Occitanie (13 victimes), Provence-Alpes-Côte-d’Azur (11 victimes). En Occitanie, les départements les plus concernés sont : le Gard (3 victimes), la Haute-Garonne, l’Hérault et les Hautes-Pyrénées (2 victimes chacun) enregistrent le plus de victimes.
Au total, résume l’étude, 451 tentatives d’homicides au sein du couple ont été recensées sur un total de 3 860 tentatives d’homicides. Elles représentent 12 % du total des tentatives d’homicides. Et 57 départements et collectivités d’outre-mer sur 107 enregistrent au moins un décès (soit 53 % d’entre eux). Cela a donné lieu à 290 791 interventions pour des différends familiaux (dont différends entre époux ou concubins). Par ailleurs, 754 procédures judiciaires sont ouvertes chaque jour.
Profil type de l’auteur : un homme de 39 ans à 60 ans, français, sans emploi
Les départements qui enregistrent le plus de faits sont le Nord (quatre victimes féminines et deux masculines), Paris (cinq victimes féminines et une masculine), la Seine-Maritime (six victimes féminines), les Bouches-du-Rhône (quatre victimes féminines et une masculine), le Pas-de-Calais (cinq victimes féminines) et le Val d’Oise (quatre victimes féminines).
Le profil type de la victime, lui est, on l’a dit, très majoritairement féminin, le plus souvent de nationalité française, âgé de 30 ans à 49 ans et est sans emploi. Celui de l’auteur n’a pas non plus changé : il est majoritairement masculin, le plus souvent en couple, de nationalité française, âgé de 30 ans à 59 ans et n’exerce pas ou plus d’activité professionnelle.
Refus de la séparation et dispute
Les motifs de cette violence extrême ? “Le refus de la séparation et la dispute au sein du couple demeurent les principaux mobiles du passage à l’acte”, avancent les auteurs de l’étude. Quant aux faits eux-mêmes, ils sont en majorité commis au domicile du couple, de la victime ou de l’auteur, sans préméditation, “principalement avec une arme blanche ou une arme à feu”. Dans 38 % des cas, la présence d’au moins une substance susceptible d’altérer le discernement de l’auteur et/ ou de la victime (alcool, stupéfiants, médicaments psychotropes) est constatée au moment des faits.
A noter que 18 % des auteurs et 15 % des victimes sont âgés de 70 ans et plus au moment des faits (respectivement de 14 % et de 12 % en 2022). Enfin, 9 % des auteurs et 11 % des victimes ont au moins 80 ans. La maladie ou la vieillesse constitue la cause principale du passage à l’acte pour ces personnes âgées.
Autre statistique, 39 % des femmes victimes avaient déjà subi des violences antérieures et 81 % de celles-ci avaient signalé ces violences antérieures aux forces de sécurité intérieure et, parmi elles, 90 % avaient déposé une plainte. Quatre victimes bénéficiaient d’une ordonnance de protection et un auteur était placé sous contrôle judiciaire. Enfin, neuf infanticides ont été commis dans un contexte d’homicide conjugal ou de violences.
“Il conviendrait d’ajouter les 319 femmes victimes de tentatives de féminicides…”
Directrice du CIDFF (Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles) du Gard, Béatrice Bertrand valide la tendance à la baisse des féminicides au niveau statistique mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Il reste beaucoup à faire. “Cette baisse est due à des années de travail de tous les professionnels sur le sujet ; au travail de prévention, de sensibilisation, de libération de la parole, aussi. Et également par la mise en oeuvre d’outils de protection, comme les bracelets anti-rapprochement. Attention, cela ne veut pas dire que la violence et les agressions diminuent”, souligne Béatrice Bertrand.
Seulement “une femme victime sur six déclare avoir déposé plainte”
La directrice du CIDFF du Gard cite un autre rapport, celui de la Miprof (Mission interministérielle pour la protection des femmes, contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains). Il fait état, lui, de 93 féminicides en 2023, trois de moins. “Mais il conviendrait d’ajouter, propose Béatrice Bertrand, les 319 femmes victimes de tentatives de féminicides” et les 773 femmes victimes de (tentatives de) suicide suite à harcèlement par (ex-)conjoint. Par ailleurs, toujours selon la Miprof, 373 000 femmes majeures déclarent avoir été victimes de violences au sein du couple (physiques, sexuelles et/ou psychologiques ou verbales) soit plus que la population de la ville de Nice) et seulement “une femme victime sur six déclare avoir déposé plainte”. C’est dire tout le chemin qu’il reste à parcourir.
Tierce personne de confiance lors du “passage de bras”
Béatrice Bertrand donne un exemple mis en oeuvre dans ce département du Gard, si progressiste, baptisée Mesure d’accompagnement protégé dont il sera question jeudi lors d’un colloque au CGR de Nîmes sur Les pratiques innovantes au service de la lutte contre les violences au sein du couple. “Il s’agit, depuis 2021, de faire intervenir une tierce personne de confiance lors du “passage de bras” : quand l’enfant d’un couple séparé ou divorcé vit une garde alternée et qu’il passe du logement de la maman au papa et vice-verça. Cette mesure montre des résultats probants surtout quand l’on sait que 75 % des féminicides interviennent à ce moment crucial de “passage de bras”. Cette mesure, c’est un juge aux affaires familiales qui la décide et la mise en oeuvre se fait via une association. Depuis 2021, six couples en ont bénéficié dans le Gard.”
“Le féminicide c’est pour nous le meurtre ou le suicide forcé d’une femme quels que soient son âge et les circonstances”
Militante de Nous Toutes 34, Emily confirme qu’il y a de plus en plus d’agressions de femmes. Elle aussi souhaite que l’on compte ce qu’elle appelle les “victimes forcées” : elles étaient 760 selon les chiffres officiels, qui ont préféré se suicider que de vivre sous les coups et risquer d’être tuées. Autre militante du collectif Nous Toutes au niveau national, Maëlle Noir contredit le décompte du ministère de l’Intérieur “qui se limite au cadre conjugal. C’est pour cela que le ministère parle de baisse alors que nous nous préférons une définition plus globale : le féminicide, c’est le meurtre ou le suicide forcé d’une femme quels que soient son âge et les circonstances. Pour nous, une fille qui se fait assassiner par son père ; une nièce qui se fait assassiner par son oncle ; une travailleuse du sexe qui se fait assassiner par un client, ce sont des féminicides tant que l’on arrive à prouver l’aspect genré et sexiste du crime”. À ce compte-là, Nous Toutes n’arrive pas aux mêmes chiffres : “Nous faisons le compte chaque jour. Au 26 novembre 2024, précise Maëlle Noir, nous en sommes à 122 féminicides, selon notre définition. La différence avec les chiffres du ministère s’explique par l’écart de définition.”
Un plan de 2,6 milliards réclamé au minimum
Pourquoi les féminicides augmentent-ils selon Nous Toutes ? “Il y a à peu près 150 féminicides et 150 tentatives de féminicides par an en France. C’est une constante qui ne varie pas. Sans baisse, ni hausse. Il n’y a pas assez de moyens mis sur la table. Tous les féminicides pourraient être évités. Il faudrait un plan avec un budget minimal pour la prévention et l’accompagnement de 2,6 milliards d’euros par an ; cela a été précisément chiffré par la Fondation des femmes en septembre 2023. Cet argent n’irait pas seulement à la lutte contre les féminicides mais à celle contre les violences de manière générale et ce dès l’école primaire. Si on apprend aux garçons à ne pas dominer les petites filles, on va peut-être prévenir des féminicides plus tard. Ça commence par l’enfance.”
Le Premier ministre a annoncé de nouvelles mesures
C’est dans ce contexte que la ministre de la Culture a annoncé un nouveau plan de “lutte contre les violences et harcèlements sexuels et sexistes dans les secteurs de la culture” d’ici le 8 mars 2025, Journée internationale des droits de femmes. Sans savoir s’il est ou non complémentaire de son Premier ministre. Michel Barnier a annoncé hier de nouvelles mesures comme une augmentation de l’aide universelle d’urgence, de 13 M€ en 2024 à 20 M€ en 2025. Possibilité élargie de déposer plainte dans les hôpitaux, aide universelle d’urgence renforcée, etc. : ces annonces interviennent deux jours après une journée de mobilisation dans la rue à l’appel d’associations dénonçant des “effets de manche” et une action “insuffisante” du gouvernement.
Ce n’est pas tout. Michel Barnier a aussi annoncé la création d’une Maison des Femmes dans chaque département avant fin 2025 ; l’expérimentation du remboursement des kits de détection de soumission chimique et une mission parlementaire pour “adapter nos règles et nos dispositifs de prévention”.
Selon un rapport de l’ONU, une femme est victime d’un féminicide toutes les dix minutes dans le monde…
Olivier SCHLAMA
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