Violences : Quinze féminicides en Occitanie, en 2022, parmi les régions les plus touchées

Les statistiques font toujours aussi mal : dans l’Hexagone, pas moins de 118 femmes sont mortes en 2022 sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. L’Occitanie fait partie des régions les plus concernées. Et, encore, il s’agit de chiffres sous-estimés : peu de femmes osent déposer plainte. Et on ne connaît pas le “chiffre noir” des situations à risques. La psychiatre Muriel Salmona tire la sonnette d’alarme.

Pas moins de 118 femmes sont mortes, en 2022,  en France, sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint, selon le ministère de l’Intérieur. C’est à peine moins qu’en 2021 (-3 %), comme Dis-Leur ! vous l’a expliqué ICI. Pour être précis et complet, en 2022, 145 morts violentes au sein du couple (en incluant les 27 hommes qui en ont aussi été victimes, soit six de plus qu’en 2021) ont été recensées par les services de police et unités de gendarmerie, contre 143 l’année précédente (deux victimes en plus, soit + 1 %). À cela s’ajoutent, comme en 2021, douze enfants mineurs morts dans la sphère familiale, victimes donc d’infanticides.

Le profil-type de l’auteur n’a pas changé. Il est majoritairement masculin, le plus souvent en couple, de nationalité française, âgé de 30 à 49 ans et n’exerçant pas ou plus d’activité professionnelle. Celui des victimes, très majoritairement féminin, “le plus souvent de nationalité française, âgée de 30 ans à 49 ans et n’exerçant pas ou plus d’activité professionnelle”.

Forte hausse des tentatives d’homicides dans le couple

Et dans l’immense majorité des cas (87 %), les faits se déroulent à domicile. Pour un quart, le féminicide est précédé d’une dispute et dans le contexte d’une séparation non acceptée. Le rapport souligne la forte hausse des tentatives d’homicides dans le couple. On en dénombre 366 (dont 267 victimes féminines) sur un total de 3 486 tentatives d’homicides (contre 251 en 2021). Elles représentent 10 % de l’ensemble des tentatives d’homicides. En moyenne, un décès est enregistré tous les deux jours et demi chiffre stable par rapport à 2021.

Dix-neuf femmes tuées en 2021 en Occitanie

En 2021, l’Occitanie détenait un triste record en la matière avec dix-neuf féminicides en un an, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. En 2022, hors Ile-de-France, six autres régions comptabilisent plus de dix victimes : le Grand Est (quatorze victimes), l’Occitanie (quinze victimes) et la Provence-Alpes-Côte d’Azur (treize victimes), l’Auvergne-Rhône-Alpes, les Hauts-de-France et la Nouvelle-Aquitaine (onze victimes chacune). En Occitanie, les départements les plus concernés sont le Gard, la Haute-Garonne et l’Hérault (trois victimes chacun).

En 2021, la collectivité territoriale la plus concernée par les morts violentes au sein du couple était la région Occitanie. Notre région enregistrait le nombre de morts violentes au sein du couple le plus élevé en comptabilisant dix-neuf victimes recensées selon la répartition suivante : les Pyrénées-Orientales (quatre faits), l’Aude, la Haute-Garonne et l’Hérault (trois faits chacun), le Gard et le Tarn (deux faits chacun), l’Aveyron et le Tarn-et-Garonne (un fait chacun).

Ces violences antérieures débusquées

Dépôt de plainte pour violences conjugales, en 2020, au commissariat de Sète. Photo : Olivier SCHLAMA

L’étude statistique pointe : “Les différents types de violences antérieures retenues sont les violences physiques, sexuelles et psychologiques subies par les victimes ou les auteurs. Depuis 2019, l’étude intègre également les cyber-violences. Aucun cas n’ayant été recensé en 2022 (contre deux en 2021). Sont donc comptabilisées les violences antérieures identifiées par les services d’enquête et subies par les victimes et les auteurs avant la commission des faits. Elles ont pu faire l’objet d’une plainte, d’une main courante, d’une intervention à domicile ou de procédures judiciaires antérieures. Elles ont également pu être révélées par des témoignages recueillis après la commission de l’homicide.”

Ainsi, au total, 71 personnes (44 victimes, dont 37 femmes et 7 hommes, et 27 auteurs, dont 9 femmes et 18 hommes) avaient subi antérieurement au moins une forme de violences de la part du partenaire ou ex-partenaire.

Un tiers des auteurs connus pour violences volontaires

L’étude ajoute que les antécédents judiciaires nous apprennent que, dans un tiers des cas, les auteurs étaient déjà connus pour violences volontaires : conjugales ou autres types de violences) commis antérieurement par les victimes et les auteurs, et signalés aux forces de l’ordre. Dans 14 % des cas, la victime était connue des services de police et de gendarmerie pour des faits de violences antérieures (vingt-et-une victimes), dont 57 % pour violences conjugales commises sur la personne de l’auteur ou d’un ex-partenaire (douze victimes : sept femmes et cinq hommes).

Meurtre à la machette, à coup de bouteille…

Les violences conjugales ne sont pas toujours physiques, témoigne une policière de Montpellier ; “Même si on les croit, on ne sait pas comment les aider, ces femmes” Photo D.-R.

Cette étude intervient trois jours après le meurtre à la machette d’une femme en pleine rue, dans un village de Savoie. Son ex-mari, interpellé vendredi, a été placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête pour assassinat. Il y a une semaine, un homme, déjà connu pour des faits de violences conjugales, suspecté par la police d’avoir tué son amante, le 26 août dernier dans le Val-de-Marne a été écroué pour “violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner”.

Pour ne rester que dans une période récente, ce même 26 août, à Tahiti (Polynésie), une femme de 39 ans a été tuée à coups de bouteille que son compagnon de 79 ans lui aurait assénés. Il a avoué le meurtre à la gendarmerie. Machette, bouteille… Mais aussi et surtout des meurtres par arme blanche dans 43 % des féminicides en 2022 et par arme à feu s’agissant du meurtre de victimes hommes dans 20 % des cas.

Et encore “ces chiffres ne comptabilisent que les faits qui ont été portés à la connaissance de la police et la gendarmerie au plus tard début janvier”, soulignait-on il y a un an au ministère de l’Intérieur. Surtout, peu de victimes déposent plainte.

Olivier SCHLAMA

“On pourrait rompre ce cycle infernal !”

La spécialiste Muriel Salmona, psychiatre, explique pourquoi ce fléau n’est toujours pas endigué.

Muriel Salmona est psychiatre. Elle est la fondatrice en 2009 et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, organisme d’information et de formation pour les intervenants prenant en charge les victimes de violences, en particulier de violences sexuelles, mais aussi de violences conjugales, de violences faites aux enfants, et de violences liées au terrorisme.

On en est toujours à un déni total. Un mépris phénoménal !”

“C’est désespérant. Catastrophique. Les chiffres sont complètement sous-évalués et dépendent de la qualification des faits ; tentative de meurtre, par exemple, c’est passible de la cour d’assise mais ce n’est presque jamais le cas. Ils ne m’étonnent pas, malheureusement, puisque nous les suivons en temps réel avec le compte de féminicides, par ex. Cela rejoint le manifeste que j’ai réalisé sur la culture de la protection et du soin qui est insuffisante. On en est toujours à un déni total. Et un mépris phénoménal. La vie d’une femme n’a pas de valeur ! On préconise sur le dépistage systématique et l’évaluation du danger, du trauma, la lutte contre l’impunité : ce n’est pas aux femmes d’organiser elles-mêmes leur protection mais à la société d’empêcher des agresseurs de nuire.”

“Il faut lancer un dépistage systématique”

Il n’existe que trois dispositifs de protection de victimes de féminicides, les ordonnances de protection, “les bracelets électronique et les téléphones “grand danger” qui sont encore attribués en nombre très insuffisants et qui sont un effet d’annonce : nous n’avons d’ailleurs pas de chiffres sur les bracelets par exemple…”

Muriel Salmona insiste : “Les femmes victimes de violences doivent être dépistées systématiquement – c’est une recommandation maintenant de la Haute autorité de santé – et nous réclamons toujours un dépistage systématique par les professionnels de la santé auprès des femmes et des enfants. Les professionnels de la santé et du social et de la police qui doivent être formés. Et il faut une grille d’évaluation. Il faut être en capacité d’évaluer le danger. Si on pose la question et sans que l’on soit fichu de prendre en compte la réalité du danger malgré une réponse pseudo-rassurante…” C’est comme si “on ne voulait pas que ça s’arrête”…

“Les victimes doivent se sentir en confiance pour parler”

Quant au faible de plaintes, “il y a beaucoup de raisons pour lesquelles, elles le font peu mais au moins que les victimes soient justement en confiance pour parler. Et être protégées. Car, aujourd’hui, la plainte est trop peu accompagnée de protections. Et malgré une plainte, la situation peut mener à un féminicide. On est dans une situation de fou. On est en 2023 ; on a une connaissance des trauma ; on sait que les victimes de féminicides ont été victimes de violences répétées ; souvent victimes de violences intra-familiales et de violences sexuelles dans l’enfance.”

Elle ajoute : “Leur trauma est complexe et elles sont complètement dissociées. Il faut que l’on puisse identifier une dissociation et que quelqu’un qui a l’air complètement déconnecté, indifférente à la douleur a l’air d’aller pas si mal ; c’est, au contraire, une situation de grand danger. Pour cela, il faut une formation systématique des médecins, des psychiatres, des psychologues… Et il n’y a pas de soins qui vont avec : quand on met six mois pour un rendez-vous, c’est une catastrophe…”

Quand on voit les peines prononcées en cas de violences conjugales, le message envoyé aux femmes qui portent plainte est qu’on ne se préoccupe pas de leur sécurité…”

Ce qui désespère encore cette spécialiste (à lire ICI), c’est que “le danger soit toujours aussi mal évalué (malgré le Grenelle avec des grilles d’évaluation qui doivent être plus performantes et correspondre aux études et recommandations internationales, les facteurs de risque ne sont souvent pas pris en compte : par exemple, on sait qu’une strangulation multiplie par sept le risque d’un féminicide. Quand on voit les peines prononcées en cas de violences conjugales, le message envoyé aux femmes qui portent plainte est qu’on ne se préoccupe pas de leur sécurité, il n’y a pas de réelle politique de protection, c’est aux femmes d’organiser leur protection, les maris violents sont rarement mis hors d’état de nuire en étant privés de liberté, le principe de précaution ne prévaut pas”, détaillait-elle dans une précédente interview.

Elles ne peuvent pas avoir confiance dans une justice qui attribue encore trop souvent un droit de visiter et de garde au père violent ce qui leur permet de continuer à exercer leur contrôles sur leur ex-femme…”

Muriel Salmona, psychiatre. Photo : DR

Muriel Salmona ajoutait que “pour ces hommes violents, les femmes sont encore considérées comme leur appartenant, ils les contrôlent et peuvent leur ôter la vie si elles essaient d’échapper à leur pouvoir. De plus, quand il y a des enfants, les femmes sont encore moins en sécurité et plus prisonnières, elles ne peuvent pas avoir confiance dans une justice qui attribue encore trop souvent un droit de visiter et de garde au père violent ce qui leur permet de continuer à exercer leur contrôles sur leur ex-femme…”

Trop grande tolérance

Enfin, elle expliquait que “la tolérance est encore bien trop grande vis-à-vis de ces hommes violents et du terrorisme qu’ils exercent, la réprobation reste très en deçà de ce qu’elle devrait être, quand on voit que des hommes politiques condamnés pour violences envers leurs femmes ou compagnes gardent leurs mandats, c’est un exemple catastrophique. Les campagnes de prévention ne sont pas suffisantes : elles devraient être omniprésentes.” 

“La violence sexuelle, plus grand pourvoyeur de violences”

Ce n’est pas tout : “Il faudrait également prendre plus en compte la violences sexuelles conjugale qui est un facteur de risque important et qui est en augmentation continuent qui bénéficie d’une impunité quasi totale et faire là aussi du dépistage ; de la prévention ; marteler que le corps des femmes ne doit pas être contrôlé ou considéré comme à sa disposition ; que le consentement volontaire s’exprime explicitement et que la violence sexuelle est le plus grand pourvoyeur de violences.”

Les dégâts des violences dans l’enfance

À partir de son expérience, Muriel Salmona propose “de traiter également l’origine de ces violences” ainsi que “les violences physiques et sexuelles que subissent les enfants et le fait qu’ils soient exposés à de la violence conjugale qui doivent être dépistés, les enfants devant être aussi protégés et leurs psychotrauma traités”.

La spécialiste cite “les chiffres d’une grande enquête de l’ONU : montrant avoir subi des violences physiques et sexuelles dans l’enfance multiplie par seize le risque de subir des violences sexuelles et conjugales à l’âge adulte pour une femme.” Et pour un homme ? “Avoir subi des violences physiques et sexuelles dans l’enfance multiplie par quatorze le risque de commettre des violences sexuelles et conjugales à l’âge adulte.” Elle ajoute : “On pourrait rompre ce cycle infernal ! Ce n’est pas une fatalité.”

Propos recueillis par Olivier SCHLAMA

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