Très volontariste, le conseil départemental a lancé 32 actions pour économiser l’eau alors que sévit « la pire sécheresse depuis 500 ans en Europe”, selon le Centre commun de recherche de la Commission européenne. Jean-Michel Fabre, chargé de la Transition écologique, explique l’ambitieux projet.
Les vacances sont finies, pas la sécheresse… Le département de la Haute-Garonne, en alerte renforcée, ne reste pas les deux pieds dans la même rivière… Le département, qui a en charge la gestion de l’eau, alors qu’il est situé à un carrefour des eaux venant des Pyrénées et du Massif Central, le département de la Haute-Garonne, drainé par plusieurs grands axes hydrographiques (Garonne, Ariège, Tarn…), a lancé un ambitieux plan décliné en 32 mesures. C’est l’un des départements français les plus mobilisés sur ce sujet.
Mesures de restriction dans 93 départements
Fuites sur le réseau, gaspillage, modèle agricole : face à la sécheresse, la collectivité lance des pistes pour économiser l’eau. Alors que les mesures de restriction touchent 93 départements, réflexions et actions se multiplient pour préserver et utiliser plus efficacement la précieuse ressource.
“Des solutions d’abord basées sur la nature…”
Les plus saillantes de ces solutions sont “basées sur la nature permettant de stocker l’eau dans la terre. Certaines de ces actions ont déjà montré leur efficacité”, affirme Jean-Michel Fabre. Le vice-président chargé de la transition écologique et du logement au conseil départemental de la Haute-Garonne, qui se dit “inquiet mais vraiment combatif”, rappelle : “On a pu disposer de retenues ; on avait lancé un conservatoire des zones humides (sur 4 500 hectares, l’eau est stockée naturellement). Sur d’autres actions, il faut accélérer.” Le département a aussi un projet d’expérimenter la réinfiltration des nappes phréatiques, dont Dis-Leur vous a parlé ICI. “Nous allons, annonce-t-il, amener l’eau via le canal de Saint-Martory, on va infiltrer ainsi la nappe ; cette eau sera à bonne température et ne s’évaporera pas et elle viendra nourrir la Garonne ou d’autres cours d’eau.”
“L’eau doit pouvoir être stockée là où elle tombe”
Ce département défend au moins un axe fort : “L’eau doit pouvoir être stockée là où elle tombe. Il faut absolument préserver donc les zones humides où 1 m2 stocke entre 500 litres et 1 mètre cube d’eau, comme dans les tourbières, où une partie de cette eau va ensuite nourrir les sources, entre autres. Il faut aussi des sols couverts ; c’est ce que l’on a commencé à travailler avec les agriculteurs : car quand il pleut beaucoup, l’eau part et elle part avec de la (bonne) terre. On a lancé tout un programme pour avoir des sols vivants, qui retiennent la terre, qu’ils disposent de couverts végétaux. Nous allons d’ailleurs accompagner quelque 200 agriculteurs dans les trois ans à venir pour faire évoluer les pratiques et voir comment on peut mieux stocker l’eau et la gérer. Troisième niveau, la récupération de l’eau, des toits, par exemple. Il faut des zones de réinfiltration…”
On peut, dès l’abord, regretter la surutilisation de la ressource à des fins agricoles et pas seulement le réchauffement climatique. Mais la démarche est sincèrement volontariste. Selon un rapport du Conseil d’État de 2010, l’agriculture consomme en effet 48 % de l’eau et jusqu’à 79 % en été… La surface irriguée ayant triplé entre 1970 et 2 000.
Toutes les réserves d’eau, par exemple agricoles, qui ne sont pas utilisées à 100 %, mais à 20 %, 30 % ou 50 %, nous devons passer des accords pour les mobiliser…”
Jean-Michel Fabre
Justement, Jean-Michel Fabre, vétérinaire de profession et spécialisé dans la sécurité des aliments et le bien-être animal, renchérit : “Autre objectif : toutes les réserves d’eau, notamment agricoles, qui ne sont pas utilisées à 100 %, mais à 20 %, 30 % ou 50 %, nous devons passer des accords pour les mobiliser. Exemple avec une rivière, Le Touch, qui se jette dans la Garonne, vers Toulouse, où les agriculteurs ont accepté qu’il y ait un million de mètres cubes lâché cet été. Autre exemple, il y a trois ans, on avait 52 millions de mètres cubes disponibles grâce à EDF avec un débit maximal de 10 mètres cubes par seconde. Cette année, dans les accords signés en juin, on a plus de 70 millions de mètres cubes et on peut monter à un débit de 20 mètres cubes par seconde. À Toulouse, plus de la moitié de l’eau provenait cet été de ces lâchers.”
“La pire sécheresse depuis cinq cents ans”…
Le contexte est alarmant en Haute-Garonne et ailleurs : la sécheresse, qui touche la moitié de l’Europe, “semble être la pire depuis cinq cents ans”, avance le Centre commun de recherche de la Commission européenne. Pour confirmer cet accablant constat, il faudra attendre la fin de la saison, mais quelques pluies annoncées çà et là ne suffiront sans doute pas à recharger nappes et rivières. Selon cet organisme, la France, qui a beaucoup souffert des incendies depuis le début de l’été, figure parmi les pays les plus touchés. Elle a reçu 33 % de précipitations de moins que la moyenne de janvier à juillet et le phénomène concerne tout le territoire métropolitain : inédit.
Les mesures de restriction d’eau touchent actuellement 93 départements, dont 78 sont “en crise”, le niveau le plus élevé sur l’échelle des alertes sécheresse. À ce stade-là du manque d’eau, il est interdit d’arroser potagers, espaces publics et golfs privés, de laver à grande eau sa voiture, sa terrasse, de remplir sa piscine, d’alimenter mares et fontaines, d’irriguer les cultures… Sauf dérogation préfectorale.
La collectivité est mobilisée depuis 2011
Les élus du département de la Haute-Garonne n’ont pas été pris au dépourvu. Ils se sont penchés sur cette problématique dont ils ont fait une priorité il y a dix ans en lançant une “étude prospective Garonne 2050, réalisée par l’Agence de l’eau Adour-Garonne entre 2011 et 2013, avait révélé qu’en l’absence de mesures fortes d’adaptation et de préservation des ressources naturelles, les débits naturels d’étiage seront en moyenne réduits de moitié pour le bassin de la Garonne”...
Panel de citoyens, 130 recommandations : Garon’Amont
Fin 2017, “face à l’accélération du réchauffement climatique”, ils ont lancé une grande concertation. Ce projet de territoire, appelé Garon’Amont, a abouti en 2020 sur la définition d’un programme d’actions concrètes à court, moyen et long termes, qui doit permettre la poursuite du développement durable des territoires”. Dans la foulée, un panel de 30 citoyens, tiré au sort, a émis 130 recommandations qui ont permis la définition d’un plan opérationnel composé donc de 32 actions concrètes dont certaines ont été déjà réalisées (lire ci-dessous).
Un plan de 14 M€ à 19 M€ qui devra être… augmenté
Le projet de territoire Garon’Amont représente un financement global évalué entre 14 M€ et 19 M€ entre 2020 et 2025, dont 8 M€ pourront être pris en charge par le conseil départemental. “Mais on sait que l’on dépassera allègrement ces sommes-là, ne serait que pour limiter les fuites d’eau dans les réseaux et où là aussi il va falloir accélérer”, confie Jean-Michel Fabre.
Inondations, sécheresse, canicule…
Le vice-président chargé de la transition écologique au conseil départemental de la Haute-Garonne cette année marque vraiment une situation de crise. “Nous avons eu en début d’année des inondations, notamment à Toulouse, que nous n’avions pas connues depuis très longtemps ; un mois de mai le plus sec jamais enregistré ; juin, déjà une première canicule qui a fait que dans nos Pyrénées ; la neige qui avait déjà fondu depuis longtemps ne s’est pas retrouvée dans la Garonne en juillet… Depuis, c’est canicule et sécheresse sans discontinuer…”
Cet été, on a tenu mais on a lâché deux fois plus d’eau que le maximum qu’on avait lâché, soit 25 millions de mètres cubes ; on ne peut pas continuer ainsi…”
Du coup, les cultures ont été très en avance et les besoins les importants se sont manifestés “dès le 15 juillet alors que “normalement” c’est début août”. Il a donc fallu pour tous les acteurs effectuer très tôt des lâchers d’eau. “On a des retenues en commun avec l’Aude, l’Ariège, le Tarn ; on détient tout le système du canal d’irrigation de Saint-Marcory… On a tenu mais on a lâché deux fois plus d’eau que le maximum qu’on avait lâché, soit 25 millions de mètres cubes ; On ne peut pas continuer ainsi : on arrive pas à tenir les niveaux ad vitam et on risque de ne pas avoir, un jour, assez d’eau potable dans ce genre de situation.” Face à l’urgence, Jean-Michel Fabre évoque alors“un changement stratégique. On s’est dit : tout le monde doit participer à l’effort et on accepte la baisse du niveau des rivières…”
“Faut-il créer de nouvelles réserves d’eau ?”
Autre axe de réflexion : “Faut-il créer de nouvelles réserves d’eau ? Si oui, lesquelles et comment ? Le problème est aussi celui des zones non irriguées. Il y a des zones d’élevage, par exemple, dans le Piémont pyrénéen où les éleveurs n’ont pas vu l’herbe pousser et même pas eu d’eau à donner à leurs vaches… On va mettre tout le monde autour de la table à l’automne. L’eau n’arrive pas toute seule au robinet ni toute seule de la montagne dans la Garonne comme le pensent 99 % des citoyens ! Cela faut des années qu’une partie de cette eau arrive au robinet des Haut-Garonnais grâce aux lâchers d’eau. Et cette année, beaucoup l’ont réalisé : cet été la proportion d’eau consommée provenant des lâchers est montée jusqu’à 50 %.”
“Eviter les guerres de l’eau…”
“On a besoin que tout le monde prenne conscience de l’enjeu. Qu’il y ait une véritable acceptabilité des mesures. Il ne s’agit pas juste de mettre un réducteur de pression au robinet. Chacun peut agir à son niveau. Les agriculteurs dans leurs pratiques, les citoyens, les industriels. Dans ce contexte, le département prend ses responsabilités… On n’arrivera pas à relever ce défi sans changer de modèle. Et cette crise de l’eau peut se transformer très vite en crise sociale.” Et : “Il faut éviter les guerres de l’eau…”
Olivier SCHLAMA
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