Rencontres franco-espagnoles : Dans les camps, la force de l’art qui n’est que “lumière”

Josep Franch Clapers, au camp de gurs aquarelle. DR.

Autour d’Albert Camus, Picasso, Garcia Lorca, mais aussi Josep Franch Clapers, Bartoli, Manolo Valiente… Pour cette 4e édition – gratuite – Manuela Parra a concocté un programme riche, à Montpellier, du 28 novembre au 2 décembre. Avec un fil rouge qui se réactualise : dans les camps en France, à l’époque de la Retirada, la culture est résistance.

Culture. Engagement. Résistance. Et l’art au coeur. “Je suis ravie d’organiser ces Rencontres dans ce contexte sociétal actuel ; c’est une manifestation qui transmet les valeurs indispensables à notre société, qui a beaucoup de sens par rapport à ce qui se passe dans l’actualité… Ça touche et ça fait réfléchir.”

Manuela Parra. DR

Manuela Parra organise pour la quatrième année avec l’association Voix de l’extrême Poésie et Culture les Rencontres franco-espagnoles. Qui prennent tout leur sens dans la période de guerres et de haine actuelle. “On va y parler des fondamentaux de la République qui ont été attaqués dernièrement. J’ai tenu à ce que l’on fasse l’ouverture des Rencontres dans le lycée Jules-Guesde, à Montpellier, auprès des lycéens, pour témoigner notre soutien au corps enseignant et réaffirmer que nous sommes attachés aux valeurs républicaines, de laïcité, notamment.”

Oui, il y a de la beauté même dans l’horreur

La foi de la transmission chevillée au corps, Manuela Parra organisait, l’année dernière une 3e édition avec des temps forts rares. De l’hommage à la très engagée Maria Casarès aux concerts, chants, lectures, interventions de poètes, comme Dis-Leur ! vous l’a expliqué ICI. Le thème, cette année : culture engagement et résistance, donc : Poésie et littérature, cinéma, art et art dans les camps, du 28 novembre au 2 décembre 2023 à Montpellier. Car, oui, il y a de la beauté même dans l’horreur. L’inauguration aura lieu à le 28 novembre à 18 heures dans la salle d’exposition du Lycée Jules-Guesde, à Montpellier, à l’occasion du vernissage de l’exposition Sur les pas de Manolo Valiente.

Ces Rencontres proposent un riche programme (lire ci-dessous). Une journée est réservée aux lycéens de Jules-Guesde de Montpellier impliqués dans le cadre du colloque La Mémoire pour qui, pourquoi ? Le film Josep sera projeté en présence d’Aurel, son réalisateur qui a aussi dessiné l’affiche de la manifestation ; il y aura également par la voix de Pierre Berlan, prof d’histoire, une analyse des écrivains engagés dans la Guerre d’Espagne (1936-1939).

Autour d’Albert Camus, Picasso, Garcia Lorca

Josep.

Les 4e Rencontres partent aussi à la rencontre de d’Albert Camus – dont on fête le 110e anniversaire de la naissance – et son engagement envers l’Espagne et les Espagnols en exil. À noter, le 1er décembre, à l’auditorium du musée Fabre, sera projetée “une oeuvre visuelle Auschwitz on the Beach”, en présence du cinéaste et artiste visuel Isaias Griñolo, en partenariat avec SOS Méditerranée.

Il y aura également une présentation de la relation entre Picasso et Eugénio Arias, ami, coiffeur et compagnon de résistance (Picasso soutenait beaucoup les Républicains espagnols en prison) ; Vicente Pradal, artiste et arrière-petit-fils de l’instituteur de Garcia Lorca, fera une lecture de l’allocution de Federico Garcia Lorca à la population de Fuentes Vaqueros lors de l’ouverture de la bibliothèque dans son village, etc.

La culture est au coeur de l’engagement et de la résistance, c’est finalement le fil rouge de notre association”

Manuela Parra qui, elle-même présentera l’Art dans les Camps, oeuvres et messages en mettant en évidence le patrimoine artistique réalisé par les artistes espagnols dans les camps en France : “La culture est au coeur de l’engagement et de la résistance, c’est finalement le fil rouge de notre association. Je me suis dit : “pourquoi ne pas travailler sur ce thème en évoquant des personnes – en lien avec les Républicains espagnols – et voir comment elles ont lutter”, en actes aussi, avec leurs principes culturels. Et leurs valeurs républicaines. Et comment ils ont réussi à les mettre en oeuvre au travers de leurs pinceaux, de leur art.”

Étonnantes oeuvres sur bois de Manolo Valiente

Peut-on résister en dessinant l’enfer des camps ? L’art est résistance. “Oui”, répond Manuela Parra. Initialement prévue, une exposition sur des caricatures de Polonais juifs dans des camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale sera présentée ultérieurement. “Ce qu’a fait Manolo Valiente en est l’illustration. C’est un républicain espagnol en exil, arrivé en France en 1939, sculpteur ébéniste sur bois après avoir été porcher ; il avait bénéficié d’une éducation en cours du soir, de toute une éducation culturelle et populaire – la culture était au coeur de la seconde République espagnole – totalement autodidacte. Quand il a été interné dans le camp d’Argelès, il a écrit des poèmes sur le modèle du Romancero.” 

Ce n’est pas une apologie de la souffrance mais un rappel à la dignité et de la force que cette souffrance apporte. Elle poursuit : “Manolo Valiente avait ramassé sur les plages de Barcarès et d’Argelès des morceaux de bois flottés rejetés par la Méditerranée sur lesquels il avait gravé la vie quotidienne des internés. Incroyable. Et comme il voulait que tous les Espagnols des camps puissent se reconnaître à travers cette histoire gravée, il a signé ses oeuvres non pas par son nom mais par un nom d’emprunt : Juan de Pena (Jean de la Peine). En 1942, en sortant du camp, il a édité en février 1949 un livre à compte d’auteur, du Sable et du Vent, où il a sélectionné quinze poèmes et quinze gravures parmi toute sa production pour que l’on n’oublie pas la Retirada. Il y a eu beaucoup d’artistes comme lui.

“La gauche ne souhaitait pas que l’on s’imagine que les internés menaient une belle vie”

Dans un univers concentrationnaire, on peut y faire oeuvre de créativité. Qui est l’expression d’une liberté, finalement. “Manolo Valiente dit à ce sujet, rapporte Manuela Parra, que lorsqu’il écrivait de la poésie ou qu’il gravait, ça lui permettait de s’échapper du réel.” Les oeuvres de nombreux artistes issus de la Retirada ont été souvent passées sous silence. Leur message se réactualise.

tempête de sable

Pourquoi ces oeuvres sont-elles restées longtemps cachées ? “Les mouvements de gauche, à l’époque, ne voulaient pas que l’on s’attache à les montrer, ne souhaitant pas que l’on s’imagine que les internés menaient une belle vie. Ils peignaient, mais bon, faut voir avec quoi : ils gravaient comme ils le pouvaient des morceaux de bois ramassés ou des os de poulet…”

Et puis, le gouvernement de l’époque voulait évacuer cette histoire. “Il y en a d’autres comme Josep Franch Clapers qui a tenu une chronique déchirante, sorte de journal des internés, notamment du camp de Saint-Cyprien et celui de gurs. Des centaines de dessins. Une oeuvre magistrale. Au début, il écrivait avec des morceaux de charbon de bois puis, en pratiquant le troc dans le camp, il se procurait par la suite des crayons de couleur contre des cigarettes, par exemple, par exemple. Ses dessins sont exposés à Espai Franc, le musée qui lui est consacré à Castellterçol (Province de Barcelone).”

“L’origine de tout est la lumière”

Histoire Vécue série Historia viscuda, Portada 1940 Camp de Gurs.Josep Franch Clapers.

Fait-elle aussi un lien, Manuela Parra, avec la négation de plus en plus prégnante de la Shoah ? “Oui, répond-elle encore. La culture, Manuella Parra la définit en empruntant une citation de Federico Garcia Lorca, l’un des poètes les plus importants de son temps : “La devise de la République doit être la culture. La culture, parce que ce n’est qu’à travers elle que peuvent se résoudre les problèmes auquel se confronte aujourd’hui le peuple plein de foi et privé de lumière. N’oubliez pas que l’origine de tout est la lumière.” L’art est révolutionnaire.

Olivier SCHLAMA

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