Rencontres franco-espagnoles : La belle leçon d’histoire des enfants de la guerre et de l’exil…

Réfugiés syriens en Grèce : de Lesbos à Idoménie Frontière Macédoine 2016. Photo : Hervé LEQUEUX.

La foi de la transmission chevillée au corps, Manuela Parra organise cette 3e édition – gratuite – entre Montpellier et Sète, sélectionnée dans l’appel à projets Montpellier, capitale européenne de la culture 2028. Un programme riche avec des temps forts rares. De l’hommage à la très engagée Maria Casarès aux concerts, chants, lectures, interventions de poètes…

J’essaie de recoudre les frontières”, définit joliment Manuela Parra. Poétesse, aujourd’hui à la retraite après avoir dirigé une MJC,  géré la charte intercommunale du Bassin de Thau et désignée responsable du développement économique de ce même territoire, entre Sète et Vic-la-Gardiole, elle retisse les mémoires oubliées, celles qui ne sont pas seulement l’apanage des historiens mais des hommes et des femmes qui la font. Et aussi des “Enfants de la guerre, enfants de l’exil d’hier et d’aujourd’hui”, thème des 3e Rencontres franco-espagnoles organisées par l’association la Voix de l’extrême, qui se déroulent à Montpellier et à Sète du 2 au 10 décembre 2022. Un projet sélectionné dans le cadre de l’appel à projets Montpellier Capitale européenne de la culture 2028, dont Dis-Leur vous a parlé ICI.

Après les femmes en résistance, les enfants

L’an dernier, le thème centré sur les  Femmes espagnoles en résistance, femmes libres et engagées en France, à la suite de la Retirada. “Ces femmes, qui se sont exilées en Occitanie, ont continué à se battre, dans des conditions terribles, contre le fascisme et se sont impliquées dans des mouvements de manière importante. On bénéficie de leur puissance et on ne s’en rend même pas compte…”, expliquait alors Manuela Parra. Hommage salvateur dans le climat politique actuel. Les enfants ont succédé aux femmes pour cette 3e édition.

On ne prend pas assez en compte les enfants de la guerre qui sont des enfants “vieux”

Manuela Parra. DR.

Elle dit : “Je prends beaucoup de plaisir à préparer ces Rencontres imaginées comme une trilogie ; en tout cas, dans un premier temps. Il me tenait à coeur de mettre cette fois l’accent sur les enfants. On ne prend pas assez en compte les enfants de la guerre qui sont des enfants “vieux”. Dans le sens où ils sont confrontés à des douleurs, des souffrances, des séparations, voire des morts, qui les font mûrir très vite. Et d’autre part, les enfants sont les cibles privilégiées des dictateurs. Il faut le rappeler.”

Il y a eu une belle évolution du droit des enfants “mais, finalement, ajoute Manuela Parra, il y a toujours des enfants en première ligne. On le voit avec l’Ukraine. Les gens ne se rendent pas toujours compte que cela pourrait un jour toucher les enfants, y compris les leurs. C’est aussi une manière de montrer cela…”

Durant toute la guerre d’Espagne, le gouvernement espagnol de l’époque avait fait déplacer des enfants au fur et à mesure que les nationalistes rebelles et séditieux avançaient…”

Le passé doit éclairer le présent. “Oui, c’est ça, confirme Manuela Parra. Déjà, l’Espagne avait, par exemple, utilisé les enfants pour faire peur. Avec des enfants volés, tués sous les bombardements… Ce n’est pas nouveau que, par exemple, des avions envoient des bombes sur des orphelinats. On l’a aussi vu avec les enfants déplacés ; ce dont nous parlerons à Sète. Notamment les enfants basques et d’autres. Durant toute la guerre d’Espagne, le gouvernement espagnol de l’époque avait fait déplacer des enfants au fur et à mesure que les nationalistes rebelles et séditieux avançaient. Il y eut comme ça des enfants ballotés depuis leur enfance. On retrouve la même chose aujourd’hui avec la guerre en Ukraine.”

Intervention auprès des lycéens de la région

Réfugiés syriens en Grèce : de Lesbos à Idoménie Frontière Macédoine 2016. Photo : Hervé LEQUEUX.

On peut aussi penser à ces enfants déracinés et en souffrance que sauve régulièrement SOS Méditerranée. L’association oeuvre aussi, à terre, au plus près des mémoires en intervenant dans les lycées. Quelque deux cents jeunes de plus seront directement touchés dans leur bahut cette année scolaire.

“Les ados, c’est primordial”

“Cette année, nous intervenons au lycée Jules-Guesde, à Montpellier avec Alain Plombat {ex-PDG de Midi Libre, NDLR} ; on intervient aussi dans des classes du lycée Albert-Camus de Nîmes ; au lycée Victor-Hugo de Lunel et aussi des classes d’histoire du lycée Mermoz de Montpellier. Toucher les ados, c’est primordial. SOS Méditerranée montrera comment ils interviennent pour le premier accueil des migrants ; il y aura aussi des témoignages. Et aussi les militants du Réseau d’éducation sans frontières qui, eux s’occupent de la suite. Et enfin la Cimade”, vieille association de solidarité active auprès des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile.

Hommage à la magnétique Maria Casarès

Et puis il y a des temps très forts lors de ces Rencontres, dont l’hommage salle Molière à Montpellier et à Sète au musée Paul-Valéry à la magnétique et inégalée Maria Casarès ! “L’actrice, qui a plus de 120 films à son actif, a passé la frontière, enfant, à 13 ans, rappelle Manuella Parra. Elle s’est beaucoup impliquée. Elle n’avait que 13 ans quand elle soignait des soldats Républicains à l’hôpital, à Madrid. Peu de gens le savent. On ne pense à elle que comme tragédienne et comédienne, comme fille du dernier président du conseil mais pas forcément comme femme engagée.”

Cette femme incarne comment on peut apporter à un pays d’accueil sa force créatrice”

Jean Vilar et Maria Casarès dans Les Épiphanies, 1947 Fonds association Jean Vilar – photographie Fititjian © D.R.(1) – Photo Pf Jentile.

Casarès est devenue très rapidement – avant son histoire d’amour avec Camus – une icône et une référence tant son engagement envers l’exil et les exilés – la retirada – est important. Elle a joué dans la troupe du TNP (créé et dirigé par le Sétois Jean Vilar), avec Gérard Philippe. Le 21 novembre, c’est le centième anniversaire de la naissance de Maria Casarès et le lendemain celui de sa mort. “Cette femme incarne comment on peut apporter à un pays d’accueil sa force créatrice. On va même projeter sur grand écran 13 minutes où elle joue la somnambule à la fin de Macbeth !”

L’incroyable maternité d’Elne

Arrivée des enfants basques et catalans dans une colonie en France (1937-1940) du 24 août 1944. Fonds Gaussot.

Autre temps fort, la venue du maire d’Elne qui va venir présenter la maternité de sa commune et son rôle. Symbole de paix et d’espoir, c’est un lieu de mémoire transformé en maternité de 1939 à 1944. Loué au Secours suisse d’aide aux enfants des victimes de guerre, ce château Art Nouveau, monument historique, devenu propriété de la commune, a été dirigé par une femme extraordinaire, Elisabeth Eidenbenz qui a réussi à faire naître 595 enfants de mères juives, tziganes et espagnoles fuyant le régime de Franco, les sauvant d’une mort certaine…

Ces Rencontres se déclinent le long d’un riche programme culturel, patrimonial, mémoriel et historique. Concerts, chants, lectures, projections d’extraits de films, de photos et de documentaires. Et aussi des récitals de poésie de voix de poètes engagées espagnol, français, chilien, congolais, des conférences et des témoignages…

L’histoire doit s’incarner au présent

Mais apprend-t-on vraiment de l’histoire, des guerres, des extrêmes… ? L’espèce humaine a visiblement besoin de repasser les mêmes plats… “Parce que l’on ne relie pas suffisamment les faits passés dans l’histoire et l’époque contemporaine. Du coup, on peut avoir l’impression, quand on parle du passé, que c’est loin. Quand je discute avec les pré-ados, par exemple, ça leur paraît lointain. On incarne pas assez les faits. Ce que je souhaite, c’est justement faire parler des témoins. C’est le cas des personnes qui viennent témoigner aux Rencontres qui étaient des gamins en 1937. Sinon, effectivement, cela signifie que l’on est dans des situations figées. Qui renvoient à une réalité qui n’existerait que dans des livres.” L’histoire doit aussi être racontée par les témoins de l’histoire pour s’incarner au présent pour se transmettre.

Olivier SCHLAMA

dépliant VE 3eme rencontres franco-espagnol

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