Couronnée du label AOP : Cette châtaigne qui donne toute sa saveur aux Cévennes

Bogues genelongue ©Jean-Michel Thivier

Du Gard à la Lozère et l’Hérault, cette amande emblématique et les savoirs-faire ancestraux qui y sont attachés sont désormais protégés par l’Europe. Son potentiel de développement et la dynamique de ce terroir qu’elle impulse sont importants.

Dauphine, figarette, pellegrine… : il existe ainsi trente variétés de greffes qui arborent des noms plus poétiques les uns que les autres. Mais ils ne se rapportent qu’à une seule et unique châtaigne, celle des Cévennes. Depuis Saint-Privat-le-Vieux, l’association des producteurs de châtaignes réunit pour l’instant 70 castanéiculteurs sur quelque 400 que compte cette zone géographique.

Seule châtaigne couronnée avec celle de l’Ardèche

Facile à récolter, à stocker et à transformer, très nourrissant, ce fruit emblématique cultive une robe éclatante et délivre une saveur façon “lait chaud”, “pain chaud” et un goût fin et sucré. Une singularité immédiatement perceptible qui vient, ce lundi 16 janvier, d’être consacrée par la Commission européenne de la plus belle des manières : par le label AOP (appellation d’origine protégée). C’est la seule châtaigne AOP en France cultivée avec un savoir-faire authentique aux côtés de celle d’Ardèche et la farine de châtaigne de Corse.

Bogue ouverte. Ph Daniel Mathieu

L’Inao (1) le précise d’ailleurs : “Cette reconnaissance valorise le terroir cévenol basé sur une interaction entre aire géographique et savoir-faire développés au fil des décennies par les castanéiculteurs. Un savoir-faire historique respectueux de l’environnement au cœur du massif des Cévennes. Adaptée au climat méditerranéen, la production de châtaigner s’étend sur le massif étendu des Cévennes : Gard, Lozère et Hérault et quelques communes de départements périphériques.”

Un fruit exploité depuis des centaines d’années

Il a fallu de nombreuses années pour obtenir cette reconnaissance. Le dossier a été déposé en 2005 mais Nicolas Weber, ingénieur territorial à la délégation Occitanie de l’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité), ne s’effraie pas quand on lui dit que cela fait peut-être des milliers d’années que l’homme, dans ces vallées escarpées et isolées, voyait en elle la pierre philosophale servant à beaucoup de choses et surtout à passer l’hiver. Hyper-nourrissante, la châtaigne était la base de l’alimentation et son écorce servait même de tanins pour teinter des habits.

Néo-ruraux, circuits courts, alimentation saine

Ph Daniel Mathieu

Après quelques décennies de décrochage, la culture de la châtaigne revient à la mode, poussée qu’elle est par l’installation de néo-ruraux qui y voient évidemment en elle un gros potentiel : elle s’exploite en circuit court et répond à une demande croissante d’alimentation simple et saine. Sans parler de la mise en valeur d’un territoire peu argenté.

“Ce label vient couronner cette nouvelle dynamique”, exprime Nicolas Weber. “Ce qui a justement fait tenir dans le temps l’association des producteurs, c’est justement ces nouveaux installés. Ils ont même eu des animatrices qui se sont ensuite installées. Il y a eu aussi l’essor de la diététique qui est arrivée ; de la châtaigne sans gluten. Cela a permis à la châtaigne des Cévennes de s’asseoir sur des consommations actuelles (avec sa farine et avec différentes transformations)”, en même temps qu’elle remettait au goût du jour sa façon ancestrale de la consommer (sous formes de grillée et de sèche).

“Le portage du dossier consensuel et collectif”

Nicolas Weber, de l’Inao. DR.

Le châtaignier des Cévennes se développe sur un sol acide et schisteux. “L’instruction a pris beaucoup de temps parce qu’il faut bien définir le produit (comme tout porteur de projet, au début, ils voulaient labelliser leur produit et ses déclinaisons) ; que le collectif soit fort et il faut définir précisément son aire géographique de production. Il faut que le portage du dossier soit consensuel et collectif.” Autre raison du temps important d’instruction : il y a quelques années, beaucoup de produits tentaient d’avoir le label en même temps. Engorgement administratif garanti. À l’origine, c’est la surpuissante filière viti-vinicole qui inaugura ce label. Suivi qu’elle fut par nombre de produits agro-alimentaires attirés par la réussite en terme d’image.

“Acheter le moins cher possible…”

Pour l’instant, il y a peu de producteurs engagés dans cette démarche de qualité de la châtaigne des Cévennes, environ 70. Nicolas Weber souligne : “C’est lié à l’histoire de cette production : il y avait beaucoup de producteurs exploitant une petite surface et derrière il y avait beaucoup de “collecteurs” qui récupéraient les châtaignes pour en faire de la crème de marron, de la farine, etc. Leur objectif, aux collecteurs, c’était d’acheter le produit à tous les producteurs le moins cher possible et de le revendre à un transformateur…”

Ce nouveau label qui concerne la châtaigne, la châtaigne sèche et la farine de châtaigne va nous permettre, nous l’espérons, de conquérir d’autres marchés…”

Nadia Vidal, présidente de l’association des producteurs
Ph Daniel Mathieu

À la tête de l’association des producteurs de châtaignes des Cévennes, Nadia Vidal est tout sourire, depuis sa châtaigneraie du Le Collet-de-Dèze, en Lozère. “Nous avions déjà eu le label AOC en 2020, dit-elle, humblement. Avec ce nouveau label notre savoir-faire est protégé au niveau européen. Et même mondial à travers des accords de commerce transnatinaux.

Elle ajoute : “Actuellement, nous produisons environ 120 tonnes par an. Ce nouveau label qui concerne la châtaigne, la châtaigne sèche et la farine de châtaigne va nous permettre, nous l’espérons, de conquérir d’autres marchés.” Y compris en valorisation des produits transformés à base de la châtaigne des Cévennes, coulis, confitures, sirop, pâtisseries… “Il y a mille et une manières d’incorporer notre fruit dans une préparation. C’est aussi une très bonne chose pour la dynamique de notre territoire…” Dont les paysages ont été façonnés par la culture de ce fruit emblématique.

La culture du châtaignier a aussi façonné le paysage cévenol si caractéristique : des murs de pierres sèches ont dû être construits dans les fortes pentes pour former des terrasses équipées de canaux d’irrigation et d’évacuation. Traditionnellement, la châtaigne est épluchée et séchée dans des bâtiments nommés “clèdes” ou “sécadous”.

“Le savoir-faire, c’est avant tout celui de la greffe avec des variétés caractéristiques, une trentaine. Pour l’entretien, il y a beaucoup de pastoralisme. Les producteurs font pâturer les moutons, les chèvres”

Nicolas Weber, ingénieur à la délégation de l’Inao à Montpellier

Nicolas Weber, de l’Inao d’Occitanie, à Montpellier, précise : “La culture de la châtaigne des Cévennes ne se fait qu’avec très peu d’intrants chimiques.” Seuls les engrais organiques sont autorisés. Les châtaignes sont récoltées après la chute naturelle des fruits, soit directement au sol ou sur filet. Le traitement insecticide post-récolte sur le produit est interdit.

Aire géographique AOP châtaigne des Cévennes. Ph. INAO.

“Le savoir-faire, c’est avant tout celui de la greffe avec des variétés caractéristiques, une trentaine. Pour l’entretien, il y a beaucoup de pastoralisme. Les producteurs font pâturer les moutons, les chèvres. La récolte se fait semi-mécanisée et le cahier des charges n’autorise pas de chimie.” Et sa forme, sa taille ? “Cela varie mais au goût, il n’y a pas photo : elle est douce, saveur sucrée et goût “lait chaud, pain chaud”. Vous faites manger un marron courant et une châtaigne des Cévennes à un enfant, il préfèrera la seconde, toujours.” Le consommateur pourra la reconnaître visuellement grâce au logo AOP rouge et or, bien sûr.

“Arômes intenses et persistants de fruits secs et pain chaud”

L’affachade. Ph. Association Châtaigne des Cévennes

Sous sa forme fraîche, la châtaigne des Cévennes développe une saveur sucrée puissante, des arômes intenses et persistants de miel, de lait chaud, de fruits secs, de violette et de patate douce. Sa texture souple laisse peu de morceaux en bouche après dégustation.

“La châtaigne séchée que l’on retrouvait, réhydratée, dans des plats, soupe, ragoût, a de nouveau le vent en poupe”, complète Nicolas Weber. A l’Inao, on dit que “la châtaigne des Cévennes sèche, ou “châtaignon”, propose des arômes intenses et persistants de fruits secs et de pain chaud. Naturellement sucrée, elle présente une texture ferme avec des morceaux en fin de bouche. Enfin, la farine de Châtaigne des Cévennes, issue de châtaignes sèches, se caractérise par une saveur sucrée, une forte intensité aromatique de fruits secs et de noix ou noisette et une saveur légèrement amère.”

En affachade, dans le bajanat dans des gâteaux…

À déguster grillée ou incorporée dans des plats ou pâtisseries, la châtaigne est le plus souvent savourée en “affachade” : grillée dans une poêle trouée. Elle s’incorpore également dans des plats savoureux tels que le bajanat, une soupe traditionnelle des Cévennes où leur réhydratation les rend fondantes et douces. Après moulinage, la châtaigne sèche donne une farine à la texture fine et au caractère sucré, idéale pour la confection de galettes, gâteaux, petits sablés ou de pains.

Olivier SCHLAMA

(1) L’Inao est un organisme public sous tutelle du ministère de l’Agriculture doté de huit délégations dont celle d’Occitanie. Chargé de la mise en oeuvre des signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine : AOP, AOC, IGP, Label Rouge, le bio. Son travail est d’instruire les dossiers de demande de reconnaissance. De la protection des “signes” et dénomination, de la supervision des contrôles et des délimitations des zones géographiques.

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