Deux ans après une grave crise due au norovirus, deux projets expérimentaux sont menés en parallèle : ValAqua, élaboré par la société Coldep, dans le cadre du projet Novless du Syndicat mixte. Le second est un système de surveillance de l’eau “anticipatif“, Oxyvir, mené, lui, au niveau national. Pendant ce temps, la ville de Sète investit pour améliorer la qualité de l’eau. Entretiens avec Patrice Lafont, président du Comité régional de la conchyliculture, et Patrick Réamot DGA, à l’Agglopôle de Sète. “Des efforts qui vont dans le bon sens.”
Le 30 décembre 2022, la catastrophe catapulte les conchyliculteurs vers un abîme et le norovirus sur le devant de la scène. Ce virus, humain, qui circule dans les réseaux d’eaux usées quand on va aux toilettes, est responsable de la gastro-entérite, parfois aiguë. Il est détecté à des concentrations telles, fin 2022, dans l’étang de Thau, que plusieurs communes bordent, dont Sète, que la préfecture applique le principe de précaution : pendant une longue période, 28 jours, aucun coquillage ne peut être ni récolté ni vendu. Problème, on ne sait ni anticiper son arrivée ni traiter ce virus, contrairement aux bactéries. On sait leur présence quand le consommateur est malade. C’est-à-dire trop tard. Par la force des choses, le consommateur fait office de déclencheur d’alerte.
Noël : 70 % du chiffre d’affaires des conchyliculteurs
Assommés par cette nouvelle avanie (après des crises voici des années de l’herpès et autres micro-organismes), 450 parqueurs perdent à l’époque quelque 7 M€. Un désastre économique : Noël représente 70 % de leur chiffre d’affaires. C’est aussi une catastrophe pour l’image de l’huître, censée être la reine de la table de Noël.
Dans la foulée, la profession représentée par le Comité régional de la conchyliculture de Méditerranée (CRCM), fit feu de tout bois, déposant même – ce fut une première – une plainte, retirée depuis, puis un référé-expertise pour tenter de connaître le responsable de cette concentration en norovirus. Les premières pistes ont abouti à une tautologie : le pollueur doit payer. La collectivité se dit aux normes. Services de l’Etat, l’Agglopôle, les conchyliculteurs… Tous les acteurs se sont mis autour de la table à nouveau pour envisager des solutions. Avec deux pistes, dont une veille de la qualité de l’étang, c’est le projet national Oxyvir. Et une solution d’extraction à tester, Novless.
“D’habitude, on applique le principe du pollueur-payeur. Nous, on est des pollués-payeurs”
Des aides avaient été accordées en urgence aux entreprises conchylicoles du bassin de Thau par les collectivités, département (400 € par table) et région Occitanie et Agglopôle en tête (des avances remboursables à taux zéro). Elles avaient en outre participé à un plan de communication de sortie de crise. Et phosphoré sur des solutions techniques pour arriver à anticiper et “protéger le consommateur”, avance Patrice Lafont, président du CRC. Et surtout se prémunir de sa défiance.
La lagune de Thau est un bassin conchylicole majeur, représentant environ 10 % de la production nationale avec 7 000 tonnes d’huîtres par an et 2 000 tonnes de moules produites en 2024. Ce secteur emploie près de 2 000 personnes au sein de 450 entreprises locales. C’est un produit majeur de l’identité locale. “D’habitude, on applique le principe du pollueur-payeur. Nous, on est des pollués-payeurs”, dit Patrice Lafont qui ne fait pas mystère du responsable potentiel de ces concentrations : le trop-plein des eaux usées de la ville de Sète lors d’orages.
Mesurer la concentration pour un “seuil de risque”
“Notre objectif, c’est zéro malade”, martèle Fabrice Grillon, directeur du CRCM. C’est comme cela que deux projets expérimentaux sont menés en parallèle. Novless, élaboré par le Syndicat mixte comprenant un procédé de la société Coldep, Val aqua. Le second est un système de surveillance de l’eau “anticipatif“, Oxyvir, mené, lui, au niveau national (avec un bactériophage), dans tous les bassins de production, dont l’étang de Thau, pour détecter le norovirus avant qu’il n’y ait des malades. Et déterminer le risque infectieux. Et surtout pouvoir en mesurer la concentration et déterminer un “seuil de risque”. Ce sera, espèrent-ils, un outil comme il en existe pour mesurer d’autres aléas : bactéries, phytoplancton toxique…
On veut savoir si en Normandie et en Méditerranée, pendant la saison à risques, entre novembre et avril, on obtient les mêmes résultats qu’en labo”
Tous les bassins de production français sont touchés par ce norovirus. “Pour Oxyvir, dont le test a commencé cette semaine, confie Patrice Lafont, on dispose déjà de cinq ans d’expérience sur ce système : un accord a été signé entre Veolia et le comité national de la conchyliculture. Actuellement, on est en phase de test dans toutes les zones de production de France pendant six mois pour vérifier que les résultats obtenus en labo et ceux obtenus par deux entreprises de l’Atlantique qui l’ont utilisé, sont conformes aux attentes. On veut savoir si en Normandie et en Méditerranée, pendant la saison à risques, entre novembre et avril, on obtient les mêmes résultats.” Le coût pour un point de suivi du bassin de Thau ? 25 000 € largement réglé par Véolia avec le concours du Syndicat mixte et du Cépralmar, organisme dépendant de la Région Occitanie.
“Ce n’est pas une filtration mais une extraction. Mais pour l’instant, nous n’avons aucun recul”
Le test du nouveau procédé ValAqua débute la semaine prochaine. “Coldep – le brevet de l’invention appartient à l’Ifremer – a inventé un nouveau système de purification de l’eau. Traditionnellement, dans les mas conchylicoles, en France, il existe deux systèmes : celui de base, avec filtre à sable, une pompe et un UV, qui marche pour beaucoup de choses mais pas pour les virus. Le second centrifuge l’eau en y injectant de l’air. L’écume produite capte dans ses micro-bulles tout ce que contient l’eau, selon un phénomène physico-chimique. Coldep a repris ce principe en l’améliorant. Deux ou trois professionnels en sont déjà équipés autour du bassin de Thau. Ce n’est pas une filtration mais une extraction. Mais pour l’instant, nous n’avons aucun recul.”
“De l’argent est sur la table mais cela ne va pas assez vite”
Le CRCM dit attendre des preuves scientifiques de ce nouveau système. C’est pour cela qu’il sera expérimenté dès janvier. Pour autant, il n’élimine pas le norovirus, il l’extrait. Il faudra ensuite éliminer le virus extrait. Un financement de l’expérimentation, 63 000 €, a été trouvé grâce à des fonds européens dédiés (40 %), l’apport des collectivités locales (40 %), département la région devraient abonder et les 20 % restants sont à la charge de l’industriel Coldep et du Syndicat mixte du bassin de Thau.
Fabrice Grillon approfondit : “Nous voulons expérimenter et vérifier tous les moyens pour se prémunir du norovirus.” La dernière crise en date avait mis en évidence “la responsabilité du réseau unitaire de Sète qui est en cours de travaux. Je ne dis pas que rien n’est fait mais il faut aller plus vite ; on est quand même 450 entreprises ; 2 000 emplois ; une filière identitaire du bassin de Thau qui apporte plein de services écosystémiques… On fait partie des filières prioritaires“, pointe Fabrice Grillon. Y a -t-il un problème de sururbanisation et de sous-équipement ? “De l’argent est mis sur la table mais cela ne va pas assez vite”, répond Fabrice Grillon.
En dix ans, 120 M€ d’investissement
Jadis, la profession avait imaginé un lieu, vers les caves de Listel, sur le cordon dunaire, entre Méditerranée et étang de Thau, pour y créer des bassins et mettre préventivement une partie de la production d’huîtres à l’abri, notamment à l’approche des fêtes de fin d’année. Cela n’a jamais pu se faire. DGA, à l’Agglopôle de Sète, Patrick Réamot dit en substance : “Ce norovirus n’est pas lié à un problème de sur-urbanisation ni à un sous-équipement de la ville de Sète.”
Presque au contraire : l’agglo a consacré en dix ans 120 M€ d’investissement pour améliorer la qualité sanitaire dont une partie est directement financée par le particulier via sa facture d’eau. Sète s’est dotée d’une station d’épuration ultramoderne en capacité de traiter les charges polluantes de 165 000 équivalents-habitants alors que l’agglo atteint actuellement 130 000 équivalents-habitants. “D’ailleurs, relance-t-il, cela fait au moins sept ans qu’il n’y a pas eu une crise liée à une bactérie : parce que de nombreux efforts ont été réalisés.” Mais ce n’est pas la même histoire avec les virus dont la durée de vie est longue, un mois (il a le temps d’être ingurgité par les huîtres), contre 24 heures pour une bactérie.
“On garantit de ne pas dépasser les flux admissibles microbiologiques jusqu’à une pluie dite de deux ans”
“Les deux seules communes du bassin de Thau où il y a un réseau unitaire, mêlant les eaux de pluie avec les eaux usées sont Sète et Marseillan”, rappelle Patrick Réamot. Et ce, bien avant la culture à grande échelle des huîtres dans l’étang de Thau, il y a plus d’un siècle, soit bien après l’urbanisation des deux villes. “En fonction de l’intensité de la pluie, le réseau peut donc saturer.” Et déborder, y compris dans l’étang de Thau, proche.
“C’est pour cela que nous avons des déversoirs d’orages. Depuis, une multitude d’autres réseaux (téléphone, fibre…) ont été posés. On ne peut plus y toucher. Partout ailleurs, c’est un réseau séparatif.” Patrick Réamot poursuit : “Les élus ont décidé, vu la situation, de prendre des engagements supplémentaires à ceux imposés par l’Etat : on garantit de ne pas dépasser les flux admissibles microbiologiques (FAM) jusqu’à la pluie dite de deux ans”, une pluie plus abondante qui arrive, statistiquement, que tous les deux ans.
Nouvelle station d’épuration, tuyaux plus gros, des bassins…
D’où la nouvelle station d’épuration de Sète qui fonctionne avec de l’ultra-filtration (le traitement maximal techniquement) et rejette ses eaux traitées en mer et dotée, explique encore le DGA de l’Agglopôle de Sète, “d’un gros bassin-tampon pour stocker l’eau ; on est en train de redimensionner des gros tuyaux qui amènent l’eau à la station et qui parfois partait au canal ; des travaux sont en cours jusqu’à fin 2025 sur 1,25 km, du quai de Bosc jusqu’à Cayenne (deux quartiers sétois, Ndlr), pour poser ces tuyaux souterrains ; nous sommes aussi en train de réaliser deux bassins de stockage de restitution dans des secteurs séparatifs qui ne contiennent que des eaux usées ; mais, parfois des usagers raccordent chez eux sur le réseau d’assainissement des descentes d’eau pluviale ; ces eaux parasites ne devraient pas y être. Cela nous oblige à créer des bassins pour stopper cette pluie dite de deux ans. Quand la pluie s’arrête, on renvoie cette eau stockée dans le réseau pour l’envoyer à la station d’épuration. On a fait de nombreux bassins comme ceux-là autour du bassin de Thau : Mèze, Loupian, Bouzigues, il y en aura deux sur Sète, donc”. En diminuant les flux, on diminue mathématiquement l’apport potentiel en norovirus.
“Aujourd’hui, tous les efforts vont dans le bon sens”
Il y a huit ans, syndicat mixte et Ifremer ont travaillé ensemble à un modèle pour déterminer ces flux admissibles. Dès que le niveau fixé est dépassé, on fait des analyses. Et, pour les pluies exceptionnelles, “on peut certes dépasser ces fameux FAM. Nous garantissons pêche et conchyliculture au niveau microbiologique. Car, techniquement, on ne sait pas traiter le norovirus. Maintenant, si la réglementation nationale dit que l’eau rejetée doit être du niveau de l’eau potable, il n’y aura plus de problème : une fois qu’on aura ultra-filtrée l’eau, il faudra qu’on la passe à l’ozone, qu’on la chlore ; la passe sous des lampes à UV… Mais il faudra aussi accepter que tout le monde paie le mètre cube d’eau deux à trois fois plus cher. Tous les traitements sont énergivores. Aujourd’hui, tous les efforts vont dans le bon sens. Mais impossible d’annihiler le risque de norovirus. Aller au-delà cela remettrait en question l’intérêt général à le faire.”
Olivier SCHLAMA
Des micro-bulles à la rescousse
Le procédé Val Aqua de la société Coldep est, comme l’explique Romain Pete, chargé du projet Novless au sein du Réseau d’observation lagunaire du Syndicat mixte du bassin de Thau, une “technologie finalement assez simple consistant à faire buller l’eau avec de l’air dans une colonne en fibre de verre. C’est un système doté d’un compresseur que l’on installe comme on le fait habituellement pour une pompe et un filtre d’une piscine. Mais ce n’est pas de la filtration. C’est en cela que c’est innovant : on utilise les propriétés physiques de ces micro-bulles d’air qui vont agglomérer toutes les particules que l’on veut ôter”. C’est de l’extraction.
Les tests faits la semaine prochaine à la Plagette
Dans un mas conchylicole, trônent depuis des années des bassins de mise à l’abri des coquillages, depuis que l’étang de Thau n’est plus classé en catégorie A (de la table conchylicole à la table). Pour purifier l’eau de particules et de bactéries notamment (les normes sanitaires l’imposent) pendant 24 heures à 48 heures, les pros utilisent des pompes et des filtres à sables mais qui sont inefficaces face au norovirus, plus petit que les bactéries. C’est dans ce cadre que l’on teste le procédé ValAqua de Coldep jusqu’en février 2025.
In fine, chaque mas sera-t-il équipé de ce système ? “Ce sera à la profession de le déterminer. Les professionnels auront-il la volonté et l’argent pour s’équiper même si a priori ce n’est pas très onéreux ? Nous, on va voir comment déployer cette technologie si preuve est faite de son efficacité.” Les tests commenceront semaine prochaine à la Station de biologie marine de Sète, à la Plagette.
Nous allons aussi réfléchir à l’idée de développer une unité mobile qui fasse le tour des mas pour purifier pendant plusieurs heures ou plusieurs jours ? Faut-il envisager une unité mutualisée, collective, à l’échelle d’un port conchylicole ?”
“On y a installé un pilote d’une colonne à dépression Avec des bacs de plusieurs centaines de litres dans lesquels on va mettre de l’eau de mer et on va y ajouter des norovirus. On mettra le système de colonne à dépression en marche et on va regarder combien de temps il va falloir pour en extraire les particules virales. On va aussi contaminer des huîtres que l’on va placer dans ces bassins d’expérimentation connectés à cette colonne à dépression. On va ensuite recommencer l’expérience dans le temps en prélevant régulièrement des coquillages et faire des analyses pour voir si le norovirus persiste ou non.”
La partie détection se fera avec un partenaire : IAGE, uns start-up de Montpellier. ValAqua sera déployé par Coldep. “Nous allons aussi réfléchir à l’idée de développer une unité mobile qui fasse le tour des mas pour purifier pendant plusieurs heures ou plusieurs jours ? Faut-il envisager une unité mutualisée, collective, à l’échelle d’un port conchylicole ? Et puis c’est un système d’extraction des particules qui ne va pas traiter le virus, ce n’est pas un traitement. Cela pourra se faire ensuite.” Entre-temps, il faudra en passer par les fourches caudines de l’administration et des réglementations pour intégrer cette nouvelle technologie.
O.SC.
👉 UN DON POUR SOUTENIR DIS-LEUR !
L’information a un coût. En effectuant un don (cliquez ICI), vous réduisez, en plus, votre impôt en soutenant les journalistes indépendants de Dis-Leur ! à partir de 1 € et défiscalisé à 66% !
– Après notre premier prix un concours national organisé par le ministère de la Culture en 2018 devant 500 autres medias, après l’installation de bandeaux publicitaires en 2019, après avoir été agréés entreprise de presse, nous lançons en collaboration avec le syndicat de la presse numérique (Spiil) un appel aux dons. Merci pour votre générosité et merci de partager largement !
À lire également sur Dis-Leur !
Méditerranée : Au Campus de la Mer, à Sète, on relève le défi du réchauffement
Conchyliculture : La passionnante histoire de la coopérative des Cinq Ports
Recyclage in situ : Une fois dégustées, les huîtres replongent dans l’étang de Thau !