Le cofondateur de Zebda a commencé sa tournée par l’île Singulière avec son nouvel opus, le Propre des Ratures. Un spectacle-pépite qui enchante dans cette période désenchantée. Qui fait du bien. Les collégiens de Paul-Valéry qui s’y sont produits en première partie, samedi soir, confirment.
Le climat politique actuel, déprimant, cette spectatrice n’arrive pas à s’en laver les mains. Mais elle se les frotte, déjà, les mains, par avance, du spectacle qui va débuter : “Rien que d’être là, à écouter Magyd Cherfi, un homme de valeur, qui transmet de beaux messages, dit-elle, cela fait chaud au coeur…” À l’unisson.
Avec la chorale du collège Paul-Valéry, à Sète
Avant même de commencer, le conteur, qui ne se la raconte pas, a déjà lancé, ce samedi soir, depuis son micro, des “passerelles” d’humanité, comme il dit, avec les autres. En interprétant son dernier album : le Propre des Ratures. L’altérité ne lui fait pas peur. Au contraire. Et cette spectatrice n’applaudit pas des deux mains pendant 1h30 de concert simplement parce que sa fille a chanté à l’envi et avec l’envie en première partie – Oulalaradime avec son auteur – avec ses copains et copines de la chorale du collège Paul-Valéry menée avec passion par Catherine Richard, leur prof de musique, et accompagnée par Pierre Canard, excellent musicien. Une alchimie étonnante. Ses chansons magnifiques ont des airs musicaux bigarrés avec des accents de reggae, de jazz… On entendit même un vibrato de Nougaro et l’intelligence d’un Brassens !
Le lendemain, Magyd Cherfi, après avoir apprécié les tielles sétoises que son équipe a achetées par “cartons entiers“, opine : oui, il se rend bien compte que les gens qui ont la chance de l’écouter dérouler ses chansons ont, comme lui, manifestent un “grand plaisir” (“Oui, c’est vrai parce qu’il y a aussi ce plaisir de la scène que j’aime à partager”, dit-il) en prenne plein les mirettes.
Finesse humeur, humour, honneur, autodérision à foison. Un moment spécial. Un joli souvenir
Sur scène, ce n’est plus le groupe Zebda qui bombarde ses hymnes antiracistes et festifs. Zebda, l’un des deux groupes-phares “rebeuh” des années 1980, avec Carte de Séjour, qui offrirent une veine d’espoir à toute une génération qui vit fleurir entre mille SOS Racisme ; où le FN’Haine était honni ; qui accompagna la gauche mitterandienne au pouvoir en 1988. Le spectacle de ce samedi soir de Magyd en solo est d’un autre calibre : intimiste. Subtil. Fait de jeux de mots. De “je” de maux. Celui qui est devenu conteur a créé une bulle où il exprime ses mêmes combats, mais sans grosse caisse. Un bijou. Des chansons à textes distillant avec finesse humeur, humour, honneur. De l’autodérision à foison. Un moment spécial. Un joli souvenir.
Magyd Cherfi “désenchanté mais gardant de l’espoir”
“Gauche, droite, je ne sais plus…”, feint le Toulousain sur scène. Ou encore : “Ce soir, on ne parlera pas d’immigrés… Mais non ce n’est pas vrai !” Quelques heures après, il précise sa pensée : “Je suis et je reste un homme de gauche.” Indéfectiblement. Croit-il toujours que des chansons aussi répétées soient-elles peuvent changer le monde ? “Il y a trente ans, je le pensais, oui. Je le pensais”, répond celui qui, après les résultats du premier tour des législatives de juin dernier se sentait comme un amoureux éconduit. “À cause d’une promesse trop grande, celle de s’aimer au-delà de la couleur de la peau”, avait-il exprimé dans une tribune.
“Gravité” d’une époque
Il y a trente ans, oui, droite et gauche étaient bien identifiées. Aujourd’hui, Magyd Cherfi reste un “cabot” qui fait du “cabotage“… De port en port. De ville en ville. D’âme en âme. Et continue, à sa manière, à “dénoncer les injustices en tout genre”. C’est plus sage. Plus subtil que Zebda. Il y a même du bon comédien en lui. Pas quelqu’un qui feint mais quelqu’un qui fend l’armure. La foule. Continûment, il apporte la bonne parole auprès des scolaires. Ce n’est pas tout. Magyd Cherfi, ce magnifique parolier de nos existences chahutées, le dit sans détour : “Oui, il y a un désenchantement dans la société.” Lui se dit, certes, “désenchanté mais gardant de l’espoir. Toujours”. Et surtout il dit vouloir éclairer son propos d’une certaine “gravité” qui sied à notre époque. Il y a une intelligence, et une intelligence de coeur dans son spectacle féministe, progressiste (écoutez Nous les filles).
“Empêchement à vivre comme si nous vivions sans idéal”
On se questionne bien sûr sur ce qui a bien pu se passer entre les cafés-concerts à Toulouse dans les années 1980-1990 où la mixité était belle où la fête était belle. “Les gens votent FN tout simplement parce qu’ils en ont ras-le-bol ; ils sont prêts à renverser la table. Désabusés. Désenchantés. Quelles qu’en soient les conséquences. Même à se priver de leurs privilèges comme l’Etat de droit.” Une fois que l’on prit cette claque de la réalité, que faire ? Que dire ? À son niveau, Magyd Cherfi rend compte de “l’universalité du désespoir”. Et : “Ceux qui partent vers l’islamisme, c’est pour contrecarrer quelque chose” ou “ceux qui croient que l’immigration est la cause de tous les maux”, il dit malheureusement joliment : “Il semble qu’il y ait un empêchement à vivre comme si quelque part nous vivions sans idéal. Libérons-nous. Pour ne plus avoir de vinaigre dans les veines.”
Olivier SCHLAMA
👉 UN DON POUR SOUTENIR DIS-LEUR !
L’information a un coût. En effectuant un don (cliquez ICI), vous réduisez, en plus, votre impôt en soutenant les journalistes indépendants de Dis-Leur ! à partir de 1 € et défiscalisé à 66% !
– Après notre premier prix un concours national organisé par le ministère de la Culture en 2018 devant 500 autres medias, après l’installation de bandeaux publicitaires en 2019, après avoir été agréés entreprise de presse, nous lançons en collaboration avec le syndicat de la presse numérique (Spiil) un appel aux dons. Merci pour votre générosité et merci de partager largement !