Conchyliculture : La passionnante histoire de la coopérative des Cinq Ports

Coopérative des Cinq Ports, étant de Thau, Ph. Alain Tendero

C’est un peu l’équivalent de la société civile des Terres du Larzac, mythique coopérative qui permit d’enraciner les paysans à ce terroir. Autour de l’étang de Thau, une expérience similaire l’avait précédée, comme l’explique un livre très réussi, Une histoire coopérative. Méconnue, cette coopérative est la plus ancienne de France, une innovation sociale qui a de l’avenir !

Ce n’est pas un pays de Cocagne. C’est le territoire d’une mémoire oubliée. Ou presque : la coopérative des Cinq Ports est la butte témoin d’une histoire collective rare, celle des “Rouges” de l’étang de Thau, ces communistes qui, au sortir de 1968, arrivent à créer une utopie réaliste, via un outil d’un incroyable progrès : une coopérative, la plus grande de l’Hexagone, qui réunit des centaines de conchyliculteurs à Sète, Frontignan, Bouzigues, Mèze et Marseillan. C’est cette épopée rare qui est l’objet d’un bel opus collectif : Une histoire coopérative, mis en musique par Hélène Morsly, autrice et réalisatrice. Une belle histoire qui nous est narrée de façon précise, rigoureuse, presque savante (1).

Expérience collective unique en France

Expérience unique en France. Plus de cinquante ans plus tard – elle a été créée le 18 août 1969 – , cette coopérative existe toujours et a même un avenir ! A l’origine l’expérience a fait naître une opposition, un clivage gauche-droite. Communistes-propriétaires privés. Ça en est fini depuis longtemps. Ne subsiste que cette philosophie d’un avenir en commun possible.

Ils réclament 300 concessions, le préfet en accorde 340 !

Le port du Mourre Blanc, à Mèze.  Photo : Olivier SCHLAMA

En 1968, profitant d’un climat parfois insurrectionnel, un groupe de pêcheurs, dont firent partie plusieurs figures communistes, dont Casimir Liberti, le père de l’ex-maire PCF, François Liberti, réclament pouvoir travailler sur l’étang de Thau et y élever des coquillages. Histoire de compléter leurs revenus de la pêche. À l’époque, il n’y a que des propriétaires privés sur l’étang de Thau. Les futurs coopérateurs investissent alors les locaux des Affaires maritimes tandis-que les marins, eux, bloquent le port de Sète…

D’autres coopératives sont créées

Ceux-ci réclament au préfet de l’époque 300 concessions. En sortant, victoire : celui-ci leur en accorde… 340 ! Soit 680 tables conchylicoles. Elles seront distribuées par tirage au sort. La solution coopérative s’impose ensuite naturellement : pour acquérir les mas est créée une autre coopérative, la SCI Les Mazets, notamment, qui, elle, n’existe plus. Une autre a aussi fait faillite : la Coopérative Mézoise qui vendait des huîtres. Mais une quatrième a, elle, survécu : la Comaco, qui permet d’acheter du carburant détaxé pour les bateaux.

L’outil de production ouvert à tous, sans propriétaire…

Moyennant le versement d’un capital échelonné sur plusieurs années, la coopérative des Cinq Ports permet d’acquérir à moindre coût des tables d’élevages d’huîtres et de moules de la lagune de Thau, qui élève aujourd’hui près de 10 % de la production d’huîtres en France. Quand on en “sort”, les tables reviennent à la coopérative. Simple. S’il le faut, la coopérative contracte des prêts au nom du collectif pour financer du matériel, par exemple, construire des tables, remembrer s’il y a lieu, ou financer de gros entretiens. Aucune spéculation. L’outil de production est ouvert à tous. Il n’y a pas de propriétaire. Communiste, quoi !

On n’a pas un gros investissement à faire pour acheter des tables ; quand on arrête on les rend et c’est tout. C’est rassurant”

Fanny Vidal, ostréicultrice à Marseillan
Fanny Vidal. Portraits issus du travail d’Erika Gervasoni, Nouvelle Vague.

Dans la lagune de Thau, on produit bon an mal an plus de 6 000 tonnes d’huîtres et quelque 2 300 tonnes de moules sur près de 2 500 tables d’élevage, dont 660 sont donc gérées par la coopérative des Cinq Ports et exploitées par plus de 200 coopérateurs et “15 coopératrices”. L’une d’elles, Fanny Vidal, 37 ans, ostréicultrice à Marseillan, dit : “La coopérative des Cinq Ports ? Je ne connais pas l’histoire précisément mais j’adhère à 100 % !” Cela n’a que des avantages, selon elle : “On n’a pas un gros investissement à faire pour acheter des tables ; quand on arrête on les rend et c’est tout. C’est rassurant.”

En 2020, il y avait 20 % de tables vides sur l’étang

Quant à l’avenir, Fanny Vidal, qui exploite cinq tables, l’espère tout aussi radieux à l’avenir pour les Cinq Ports. L’activité est, certes, a priori en déclin : en 2020, il y avait 20 % de tables vides sur l’étang de Thau. Malaïgue, herpès et pollution qui tuent les coquillages ; une production qui semble sensible au réchauffement climatique : les engeances se succèdent sur ce petit monde de 7 500 hectares. Mais le déclin est aussi dû à un métier et un style de vie “contraignants”, souligne Fanny Vidal. Il ne faut pas compter ses heures ; il n’y a pas de congés payés ; peu de vacances, si on vend en direct comme moi, cela se passe les week ends… Mais j’aime ce métier.” Fanny est un exemple d’un renouveau de la profession. Elle a appris le métier au quotidien auprès de sa mère après s’être formée au lycée de la Mer Paul-Bousquet de Sète. Ce fut un passage de relais naturel, après avoir testé d’autres métiers comme vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter ; assistante vétérinaire ou serveuse…

Oui, j’ai plein d’espoir pour l’avenir (…) mais il y a plein de problèmes à résoudre. La qualité des eaux à maintenir ; lutter contre la pression de la plaisance…”

Kévin Henri, conchyliculteur à Sète
Kévin Henri, conchyliculteur sétois. Portraits issus du travail d’Erika Gervasoni, Nouvelle Vague, projet porté par le Cépralmar.

Autre figure montante de la profession, Kévin Henri, 30 ans, formé au lycée de la Mer de Sète, vend lui aussi sa production en direct à la sortie de son mas, au port conchylicole du Barrou, à Sète, les week-ends. Pêcheur (il est “petit métier” depuis 2010), il cherchait un complément de revenu. “J’ai repris le matériel de Manu Liberti, dit-il, il y a deux ans”.  Lui aussi ne voit que des avantages dans cette coopérative qui lui a octroyé deux tables. Prudent, il dit : “La coopérative, c’est la sécurité. Oui, j’ai plein d’espoir pour l’avenir ; je fais de la commercialisation locale mais il y a plein de problèmes à résoudre, ajoute-t-il, en substance. La qualité des eaux à maintenir ; lutter contre la pression de la plaisance…”

Une stratégie globale pour des enjeux d’avenir

La conchyliculture a connu un âge d’or dans les années 1970 et 1980. Mais le métier est de plus en plus difficile. Jadis, il fallait cinq ans d’attente pour entrer dans la coopérative. Aujourd’hui, elle a disparu. Dans les dix ans, “on va perdre la moitié des exploitations à cause des départs à la retraite”, constate dans le livre Patrice Lafont, président du Comité régional de la conchyliculture de Méditerranée. La succession fait partie des enjeux que les nouveaux venus évoquent ont été clairement identifiés et font l’objet d’un “contrat de filière”.

De quoi s’agit-il ? Une stratégie à dix ans pour répondre aux enjeux d’avenir, comme l’expliquent parfaitement les auteurs. Il faut aider le cheptel à s’adapter ou survivre au changement climatique qui augmente le risque de malaïgue et “favorisent l’émergence de prédateurs émergents”... Il existe aussi des solutions techniques pour rouvrir les communications entre l’étang de Thau et le fleuve Hérault et pour ré-oxygéner la lagune, par exemple. Lesquelles ? Apporter également de l’oxygène avec des tables surmontées de panneaux photovoltaïques (une info sortie par Dis-Leur) ; créer une zone de mise à l’abri des coquillages ainsi que de créer une écloserie pour sécuriser production et commercialisation. De la même manière, cet écosystème fragile a besoin d’un observatoire de la filière.

Aller vers le label IGP

Pour augmenter les revenus des “parqueurs”, une montée en gamme s’annonce nécessaire. Notamment au travers d’une IGP (indication géographique protégée) pour contrer les importations, notamment de moules, à des tarifs moins élevés. Et mettre ainsi en valeur une production naturelle de qualité. Le livre ouvre encore bien d’autres perspectives d’avenir, dont la création d’une nouvelle… coopérative !

À l’origine, l’ethnologue Vincent Giovannoni

Livre collectif sur la coopérative des cinq ports. Hélène Morsly. Ph. O.SC.

Ce livre produit par les éditions Mémoires & Territoires vaut son détour. Elle dit : “Il y a dix ans j’ai fait un film, Les Hommes et l’étang, sur la pêche et la conchyliculture. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré l’histoire des Cinq ports sur trois pages dans le livre de l’ethnologue Vincent Giovannoni (devenu directeur du Mucem, le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille), Les pêcheurs de l’étang de Thau. À l’occasion des cinquante ans de la coopérative, en 2019, j’ai voulu relancer un film sur la question. Notamment à cause de la similitude entre cette histoire, peu connue, et celle, plus connue, de la Société civile des Terres du Larzac.”

Elle poursuit : “Et comme beaucoup des témoins avaient disparu, mais qu’on avait une ressource très riche grâce au dépôt par Giovannoni des entretiens de ces “historiques” de l’étang aux archives départementales, et grâce aux documents de l’ancien directeur de l’Institut des pêches (devenu Ifremer, depuis) Yves Fauvel, je me suis lancée avec d’autres dans cette aventure d’un livre.”

Olivier SCHLAMA

  • (1) On peut trouver l’ouvrage (25 €) dans les librairies de Sète et de Marseillan. Et sur commande à : mt7@orange.fr

Le Quartier-Haut, le quartier beau

O.SC.

Qu’il est Joli ce quartier de ma ville : c‘est le titre d’un autre livre entre ciel et eau, entre poésie et tendresse, celui de deux figures sétoises : Louis d’Isernia et Marc Combas, dit Topolino. Dont pourraient s’inspirer nombre d’urbanistes ! Ce bel objet imprimé sur du beau papier est déjà un cadeau à la vue. Belle évocation poétique d’un quartier-racine, un quartier-saveur, un quartier-sensible : le Quartier-Haut, jadis chaudron de familles de pêcheurs à l’atmosphère à nulle autre pareille. Même si ce quartier s’est un peu boboïsé, il reste emblématique du premier port de pêche de la Méditerranée française.

“Ils étaient Italiens venus par vent marin”

O.SC

Ses venelles exhalent le parfum des années passées mais leur évocation n’est pas passéiste. Loulou c’est l’ambassadeur de son quartier ; de sa principauté ! Son porte-parole, son porte-voix, son portefaix. Son troubadour, son Michel-Ange… Avec lui, le bonheur n’est jamais loin. Un art de vivre ! Le Quartier-Haut, c’est le quartier beau. Imaginez : “Pour ressembler à Dieu, il commence à la crèche. Ses hommes de jadis allaient tous à la pêche. Ils étaient Italiens venus par vent marin.” 

O.SC.

👉 Dans les bonnes librairies de Sète. Et sur commande à : mt7@orange.fr

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