Méditerranée : Au Campus de la Mer, à Sète, on relève le défi du réchauffement

Maria Ruyssen, directrice de la station Ifremer de Sète entourée des cofondateurs de la start-up Seaducer. Photo s: Olivier SCHLAMA

Anticiper sur les défis pour ne pas avoir à réagir “au pied du mur” et développer l’économie bleue en Occitanie : c’est la mission de cet outil unique en France. Il a fallu dix ans pour inaugurer, samedi 2 juin, ce centre qui va doper la recherche et qui accueille aussi des start-up prometteuses. Les organisations professionnelles de pêcheurs et des conchyliculteurs s’en réjouissent.

Dans une grande salle impersonnelle flambant neuve aux murs en béton brut, ils en rigolent : “On nous a mis au fond de la classe…” Mais leur idée les a fait rapidement arriver au premier rang. Ils aimeraient que leur “table conchylicole du futur” qu’ils ont présentée il y a quelques minutes devant les plus grands responsables de la recherche marine soit tout aussi indispensable aux parqueurs de l’étang de Thau que ne l’est devenue la machine à traire dans la production de lait.

L’équivalent d’un gentleman farmer

Les créateurs de Seaducer. Ph. Olivier SCHLAMA

Aujourd’hui, aucun producteur de lait ne s’en séparerait, tellement ça a révolutionné la filière laitière ! Eh bien, la start-up Seaducer espère que son concept sera lui aussi adopté. Pour en finir à se casser le dos à soulever des tonnes d’huîtres collées sur de lourdes cordes immergées dans l’étang de Thau. L’idée, c’est de maîtriser le plus possible les aléas de la production ; que l’ostréiculteur devienne, finalement, l’équivalent en agriculture d’un gentleman farmer. 

“Nous proposons une meilleure maîtrise d’élevage d’huîtres”

Mais ce n’est pas le seul progrès du Roll’Oyster, du nom du “premier équipement ostréicole automatisé permettant de recréer toutes les actions bénéfiques des marées du naissain aux huîtres en phase d’affinage”.

Des éléments de la table conchylicole du futur. DR

Silvain Charbonneau, le DG, et Pierre-Henri Galavieille, chargé de la R&D, disent : “Il existe, bien sûr, des systèmes de mécanisation pour alléger le travail manuel et épuisant des conchyliculteurs mais notre système, que nous sommes en capacité d’adapter à chaque milieu, va bien plus loin et propose des outils pour mesurer la salinité, la température de l’eau, etc. Le changement climatique rend l’élevage de plus en plus compliqué, avec des rendements qui ne sont pas particulièrement bons. Nous proposons une meilleure maîtrise d’élevage.”

Et, conclut-il, pour parfaire cette idée, “nous avons besoin de partenariats scientifiques…” Quant au coût de cet équipement, il assène un argument-massue : “Il faut bien se doter, tôt ou tard, un outil de production opérationnel…” En clair, un jour ou l’autre, à la faveur des pollutions, des herpès et autres maladies qui handicapent la production d’huîtres, les ostréiculteurs qui tiennent à leur métier changeront inévitablement de pratique.

Quatre start-up sont déjà accueillies sur le site

Le créateur de BiOcéanOr. Ph. O.SC.

Car Seaducer, comme BiocéanOr (deuxième des quatre start-up du lieu qui oeuvre pour une aquaculture durable ET profitable et développe des outils d’aide à la décision sur la qualité des milieux), ont été choisies via un appel à manifestation d’intérêt par la communauté scientifique, notamment l’UMR Marbec (marine biodiversity, exploitation & conservation) pour intégrer le tout nouveau bijou de la recherche sur la biologie marine. En interne, on l’appelle le Campus de la Mer. Ce Centre du littoral et de la mer, son nom officiel, est accolé à la station marine de l’Ifremer, à Sète, entre Méditerranée et étang de Thau.

Ici, les grands défis sont mis sur la table des chercheurs de plusieurs instituts qui collaborent ensemble”

Ici, l’innovation c’est d’abord l’état d’esprit. Il y a une coopération puissante entre scientifiques. Il y a aussi ce laboratoire à start-up. Et enfin, dans une troisième partie, on veut y “anticiper les défis”, comme l’explique la directrice de la station Ifremer de Sète, Maria Ruyssen. “On n’a rien trouvé de mieux qu’associer la recherche académique et la biologie marine, dont la présence et qualité sont historiques à Sète et Montpellier. Ici, les grands défis sont mis sur la table des chercheurs de plusieurs instituts qui collaborent ensemble.” De l’intelligence collective à haut potentiel.

L’enjeu : le réchauffement climatique

Maria Ruyssen, directrice Ifremer Sète. Ph. Olivier SCHLAMA

C’est pour cela que Silvain Charbonneau, DG de Seaducer, et son équipe ont intégré le Célimer, le Campus de la Mer. C’est un campus ouvert avec un partenariat scientifique unique en Europe et un lieu ouvert aux acteurs publics et privés de la recherche et de l’économie : outils et réseaux d’observation, compréhension de la dynamique océanique, fonctionnement et résilience des écosystèmes marins, aquaculture, pêches durables… Mais un enjeu percute tous les autres : le réchauffement climatique.

Ma préoccupationc’est de savoir que vont devenir les métiers de la pêche et de la conchyliculture et les hommes qui exercent ces professions”

Maria Ruyssen, directrice de l’Ifremer Sète, le dit simplement et fortement : “J’ai envie d’être positive : il faut faire évoluer les pratiques pour qu’elles soient plus résilientes. Notre culture en France c’est de réagir une fois au pied du mur. L’intérêt d’un centre de recherche comme celui-là c’est de se donner les moyens d’anticiper sur les défis à venir. Ma préoccupationc’est de savoir que vont devenir les métiers de la pêche et de la conchyliculture et les hommes qui exercent ces professions. C’est pour cela que cet outil est un lieu très important d’expertise.” Mais pas seulement.

Biologging lab pour développer des instruments d’observation de la faune marine

La cérémonie de coupure du ruban avec tous les financeurs. Ph. O.SC.

Cet outil – unique en Occitanie – suscite beaucoup d’attente. Il représente sur plus de 1 000 mètres carrés un investissement de 6,1 M€ dans le cadre du contrat de plan Etat-Région d’Occitanie. Son objectif : développer l’économie bleue (1). On y trouve aussi un biologging lab pour développer des instruments d’observation de la faune marine tels que des marques électroniques adaptées et des bouées intelligentes ; un amphithéâtre “scénario lab” modulable en espace de conférence, de démo et de simulation. C’est aussi un espace d’échanges pour renforcer les liens entre les recherches publiques et privées. Et enfin un lieu pour développer les start-up.

“Nous attendons l’accueil de start-up capables, par leurs innovations, de répondre aux grands enjeux de la filière”

Président de la section régionale conchylicole de Méditerranée, Patrice Lafont dit, très concerné : “Nous attendons l’accueil de start-up capables, par leurs innovations, de répondre aux grands enjeux de la filière, conformément aux attentes exprimées par les professionnels dans notre contrat de filière régional, à savoir l’adaptabilité et la résilience face aux changements climatiques et aux pressions sanitaires et plus largement la sécurisation des productions. Cela passe par le développement d’outils de production plus adaptés aux conditions du XXIe siècle (exemple : la table du futur, optimisation des performances de croissance et de la résistance aux pathogènes par des parcours zootechniques mieux maîtrisés, de nouvelles techniques d’élevage…)

L’étang de Thau (34), les parcs à huîtres et le mont Saint-Clair, vus de Loupian. photo M.-R.

Pour lui, il s’agit aussi de “favoriser une démarche de développement durable par l’utilisation d’énergies renouvelables (photovoltaïque, nouvelles motorisations des navires), l’économie circulaire par une meilleure valorisation de nos sous-produits tels que les coquilles, les brisures, le byssus de moules…) Tous ces défis nécessitent des compétences nouvelles sur lesquelles la filière doit s’appuyer sur des ressources extérieures et innovantes.”

“Nous attendons des solutions pour toutes les pollutions”

Son homologue du comité régional des pêches renchérit : “Nous attendons des solutions pour toutes les pollutions”, dit Bernard Perez. Et puis, ajoute-t-il, cet outil est aussi une façon de relancer un travail en commun avec les scientifiques avec lesquels cela n’a pas toujours été facile ni l’entente cordiale, euphémise-t-il… Là, avec cet outil, on va travailler les uns avec les autres”, souhaite-t-il.

“Modèle d’excellence pour un avenir durable pour l’océan”

Photo DR

P.D.-G. de l’Ifremer, François Houllier a souligné que cette unité mixte spécialisée dans l’écologie marine est reconnue au niveau international.” P.D.-G de l’IRD (Institut de recherche et développement), Valérie Verdier n’a pas dit autre chose : “Cette plate-forme permet de rayonner à l’international, avec nos zones ultramarines, Brésil, Indonésie, Sénégal, Afrique du Sud, Madagascar, Seychelles, Nouvelles-Calédonie, Réunion… C’est un modèle d’excellence qui vise à un avenir durable pour l’océan.” Représentant la présidence du CNRS, Gilles Pinay y est aussi allé de ses félicitations : “C’est symbolique de ce que les organismes de recherche font de mieux en collaborant ensemble. Il s’agit avec ce Centre du littoral et de la mer de mieux comprendre les écosystèmes et les protéger. Et de développer des scénarios communs de développement durable.”

“Mieux observer, mieux analyser, mieux modéliser”,

Perte de biodiversité, recherche d’une pêche durable… “Mieux observer, mieux analyser, mieux modéliser”, a formulé Laurent Dagorn, directeur de recherche de l’UMR Marbec, à Montpellier, qui copilote ce projet : “C’est l’aboutissement d’un travail collectif de dix ans que l’Etat, la Région Occitanie, l’Agglopole de Sète et l’Université de Montpellier ont pu financer.” Il a précisé que trois axes sont assignés à ce centre : “Travailler sur l’impact du changement climatique ; avoir des relations plus proches entre le monde économique et l’économie “bleue” (pour mieux se connaître il faut se côtoyer au quotidien) et augmenter sa visibilité au niveau international”.

Cette filière, c’est 32 000 entreprises, associations, instituts, 41 000 emplois et plus de 6,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires”

Sébastien Denaja. Ph. O.SC.

Président de l’agglo de Sète, François Commeinhes a rappelé que “la filière de l’économie bleue en Occitanie est la première en France.” Quant à Sébastien Denaja, conseiller régional représentant Carole Delga, il a souligné que “cette filière, c’est 32 000 établissements (entreprises, associations, instituts), 41 000 emplois (dont 1 700 exclusivement dans la recherche) et plus de 6,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Ici, ce sont plus de 700 scientifiques impliqués. Cet outil, c’est aussi un lieu où l’on produira davantage de données ; aujourd’hui, ne sont suivis en effet que le rouget barbet et le merlu alors que nos pêcheurs remontent plus de 80 espèces ! Et pour cela il faut des moyens supplémentaires.” Des données cruciales pour “infléchir la régulation européenne, en vue de la décarbonation de la flotte…” 

Olivier SCHLAMA

  • (1) La Région Occitanie a apporté 2,7 M€, l’Etat 1,3 M€, l’Ifremer 975 000 €, Sète Agglopôle 700 000 €, la métropole de Montpellier 200 000 € et l’IRD 150 000 €
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Cité des poissons : artistique et écolo

Il y eut deux inaugurations : celle du campus de la mer et celle de la Cité des Poissons, une sculpture peu commune que l’on doit à l’artiste sétois Gauthier Fleuri. Deux mètres cinquante de haut sur une dizaine de mètres de long : l’oeuvre, monumentale, a été financée (à hauteur de 40 000 €) par la Région Occitanie au travers de ses budgets participatifs qui octroient aux lauréats une somme allant jusqu’à 50 000 €.

À partir de coquilles d’huîtres

Gauthier Fleuri et sa cité des poissons. Ph. O.SC.

Ce projet est aussi écolo : l’oeuvre a été fabriquée à partir de coquille d’huîtres et de tiges de fer. “Cela va permettre d’attirer des poissons et recréer de de la biodiversité”, explique Gauthier Fleuri qui travaille à la création d’un musée artistique sous marin, comme l’a dit Sébastien Denaja. Cette Cité des poissons en sera la première “brique”. elle sera bientôt immergée dans le canal près de la Station Ifremer de Sète.

O.SC.

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