Santé : Piquer ses secrets au moustique-tigre pour mieux combattre ce fléau

Moustique-tigre femelle au cours d'un repas de sang. Ph. IRD Maxime Jacquet.

Entretien avec Frédéric Simard de l’IRD Montpellier et porteur du projet dans le cadre de l’unité de recherche spécialisée, Mivegec. “L’idée c’est de voir comment il s’est adapté et comment il vit chez nous pour mieux adapter la lutte”, dit-il. Où la technique de l’insecte stérile est amenée à prendre une grande place. Et permet d’imaginer des villes “vertes” comme Toulouse et Montpellier avec le minimum de désagrément.

Le coeur battant de la recherche se situe à Montpellier, notamment à l’unité de recherche Mivegec, dirigée par Frédéric Simard, l’un des plus grands spécialistes du moustique tigre. La commune de Murviel-lès-Montpellier en est définitivement le coeur agissant, l’épicentre.

Après les expériences de l’EID, que Dis-Leur vous a narrées ICI, sur l’introduction de mâles stériles à Murviel, voici un nouveau programme de recherche sur les deux prochaines années qui va s’y dérouler : Restalboc (1). Et alors que s’organisent des stratégies d’avenir qui veulent faire mouche, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI, cette fois, on prend le “tigre” par la petite lorgnette de ses habitudes. Tout animal a les siennes. Et c’est à travers de l’étude de ses moeurs que l’on espère trouver quelque faille pour mieux l’endiguer. Le programme prévu sur deux ans mobilise un budget de 50 000 € cofinancés par l’Université de Montpellier et la Région Occitanie.

Quelque 5, 5 millions d’habitants sont concernés par aedes albopictus. Le “tigre” a, désormais, colonisé toute l’Occitanie. Et le réchauffement climatique lui permet de conquérir des territoires montagneux. L’ARS en appelle à la “mobilisation de tous” pour limiter les risques, y compris de transmission de dengue, de zika ou de chikungunya.

Quel est ce nouveau programme de recherche ?

Frédéric Simard, directeur de recherche IRD, Montpellier, Moustique-tigre. Ph. IRD.

Frédéric Simard, directeur de l’UMR Mivegec : Il s’agit de caractériser la biologie du moustique-tigre (aedes albopictus) chez nous, en Occitanie. Il peut avoir un comportement différent en fonction de la région où il s’est adapté. avec des conditions climatiques bien spécifiques ; une urbanisation bien spécifique avec un péri-urbain qui n’a rien à voir avec les pays d’origine de aedes albopictus. Que ce soit en Asie ou en Afrique, dans la zone intertropicale. On ne peut pas transférer les connaissances déjà connues dans une autre zone intertropicale à ce qui se passe dans une zone tempérée comme la nôtre.

Ce que l’on cherche c’est tout ce que l’on ignore de la vie du moustique-tigre, en particulier de sa vie d’adulte. Lui sait très bien nous trouver. En revanche, quand nous le recherchons, c’est plus difficile, en particulier ses sites de repos… En gros, la question, c’est où sont les femelles – les seules à piquer – quand elles ne sont pas en train de nous piquer. Et ça on ne le sait pas. Il y a un dogme qui dit que le “tigre” est associé à la végétation. Les mâles sont cachés quelque part ; les femelles aussi. Soit. elles sont à l’affût en nous attendant, soit pour se reposer et digérer le sang. Nous ignorons toute cette partie de la vie du tigre. Il y a peut-être des types de végétation qu’ils aiment bien. Des essences qui sont plus ou moins attractives.

On devine que ce sont des endroits a priori avec de la végétation…?

Avec de la végétation, oui. Mais on sait que le tigre peut se reposer dans des structures faites par l’homme : garages, abris… On sait qu’il aime a priori les endroits plus frais plus humides. L’idée c’est de pouvoir in fine améliorer les techniques de lutte. Notamment quand il y a une suspicion de transmission de virus, dengue, zika ou chickunguya, c’est la société Altopictus, opérateur de l’ARS, qui va traiter à l’insecticide en priorité la végétation. Pour éviter la transmission.

Cette connaissance, que va-t-elle nous apporter ?

Femelle aedes albopictus et son abdomen tigré noir et blanc… Capable de propager chikungunya, virus du Nil occidental, zika, dengue… Ph. IRD Maxime Jacquet.

Quand l’opérateur traitera – il passe le matin – il saura a priori plus précisément où se trouve le moustique-tigre à ce moment-là. Si on connait mieux sa biologie, on pourra être plus précis dans le contrôle de sa prolifération et notre manière de l’attaquer.

Pour l’instant, nous n’avons que des insecticides à notre disposition. Qui ne suffiront jamais ; donc, nous développons parallèlement des méthodes de lutte innovantes, en particulier la technique de l’insecte stérile. Des mâles stériles sont relâchés pour qu’à leur tours ils stérilisent des femelles (avec de bons premiers résultats). À la Réunion, nous avons travaillé sur cette technique depuis longtemps, une dizaine d’années. Nous avons fait un essai sur une vingtaine d’hectares en 2022 qui a montré un certain niveau d’efficacité qui permet d’envisager son déploiement.

Vous êtes associés à une start-up montpelliéraine ?

Oui, elle s’appelle Terratis qui veut se lancer, ici, contre le moustique-tigre avec cette méthode de l’insecte stérile. Elle va commencer à produire des mâles stériles. On va faire un essai pilote avec une petite quantité, environ 10 000 moustiques-tigre mâles stériles, sans impact pour l’environnement. L’EID avait fait le même type de test ; c’était pour comparer deux méthodes de lâchers des mâles, depuis le sol ou des drones. On n’en est pas à la mise en place de cette technique à une échelle industrielle.

Phase 2 de la technique de l’insecte stérile. élevage à l’insectarium Cyroi de la Réunion. Ph. Thibaut Vergoz.

Altopictus vise prioritairement des endroits à traiter, censés abriter des moustiques-tigres femelles, et des femelles plutôt “âgées” : il faut qu’elles aient déjà vécu leur vie d’adulte et avoir piqué plusieurs fois.

La cible de Terratis, quand il lâche un insecte stérile, ce sont les femelles vierges qui ne se sont pas encore accouplées, qui n’ont pas encore piqué et qui ne sont pas porteuses d’un virus.

L’idée, entre autres, c’est de savoir si une femelle âgée se “repose” au même endroit qu’une femelle vierge. Et avec ce lâcher de 10 000 mâles stériles, c’est de voir s’ils peuvent aller préférentiellement vers les femelles vierges. On va ensuite aller vers les mâles, les re-capturer ensuite dans nos différents sites de collectes, des buissons, végétations… pour voir si les mâles et les femelles vierges se retrouvent quelque part. Voir aussi si des mâles élevés en laboratoire vont ou pas aller vers des femelles vierges sauvages ou est-ce qu’ils auront un comportement domestique et qui ne se dirigeront que vers des structures anthropiques.

L’idée c’est de mieux comprendre ses moeurs ici ?

C’est de voir comment il s’est adapté et comment il vit chez nous pour mieux adapter la lutte.  Aussi bien la lutte dite réactive que préventive, de ce que l’on prévoit dans les années à venir. Notamment via la technique de l’insecte stérile. Notre projet est prévu sur deux ans. Toute la partie de terrain doit se faire cette année.

Y a-t-il d’autres projets de la même veine ?

Lâcher de moustiques-tigre stériles à la Réunion. Ph. IRD Thibaut Vergoz.

Florence Fournet, de l’IRD également, s’intéresse à la végétalisation des villes et son impact sur la présence de vecteurs et le risque de transmission de maladies. On est dans la même thématique. On parle beaucoup des “villes vertes” ; Montpellier et Toulouse sont très actives. Nous, nous regardons comment il faudrait penser la végétalisation pour éviter l’enfer des nids à moustiques ou des réservoirs de tiques, par exemple. Ou encore sur des vecteurs de maladies ou plantes. Il y a aussi un autre projet, V2Moc, piloté aussi par Florence Fournet, est plus large. Il s’intéresse aux moustiques mais aussi les pucerons qui véhiculent des maladies aux plantes.

Ces investigations pourront nous dire s’il faut ou non planter certaines espèces végétales ?

La question c’est de savoir s’il y a des espèces végétales à éviter voire sur la structuration : vaut-il mieux faire un gros parc, par exemple, ou plusieurs petits parcs publics. Car, des îlots de nature au milieu des villes, cela peut potentiellement héberger des pathogènes avec leurs réservoirs “d’animaux”. À noter que les moustiques aiment bien aussi le béton… Dans un univers totalement bétonné ou urbanisé, il y a du moustique-tigre. Et les espaces verts peuvent, eux, aussi abriter des prédateurs ou des compétiteurs du moustique et les empêcher de se répandre partout. Comment trouver le meilleur équilibre : c’est la question de fond.

Olivier SCHLAMA

  • (1) la Métropole de Montpellier collaborent avec des chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), travaillant au sein de l’unité de recherche Mivelec, et Altopictus, l’opérateur de lutte antivectorielle (LAV) de l’agence régionale de santé (ARS) Occitanie, sur le projet de recherche Restalboc qui vise à améliorer la lutte contre le moustique tigre (aedes albopictus).
  • Ce projet se déroulera en 2023 sur la commune de Murviel-lès-Montpellier (Hérault), colonisée par Aedes albopictus depuis 2019. Une réunion publique d’information sera organisée à la mairie le jeudi 25 mai à 18h30, à destination des administrés.

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