Dans l’Hexagone, cent vingt-deux femmes ont perdu la vie en 2021 sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint contre cent deux en 2020, selon le ministère de l’Intérieur. 84 % avaient déposé une plainte antérieure. Psychiatre spécialisée, Muriel Salmona explique les raisons pour lesquelles le fléau ne faiblit pas.
Les années passent et se ressemblent, malheureusement. Selon l’étude annuelle nationale du ministère de l’Intérieur sur les morts violences au sein du couple, en 2021, les féminicides sont en hausse de 20 % par rapport à 2020, laquelle était déjà en hausse de 10 %, comme Dis-Leur vous l’avait expliqué ICI. C’était, pourtant, en 2017, la grande cause du quinquennat d’Emmanuel Macron.
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Les statistiques sous-estiment la situation réelle
Comme les années précédentes, les femmes sont les principales victimes : 122 victimes en 2021 contre 102 en 2020 (+ 20 %). En 2021, le nombre d’hommes victimes est, lui, de 21 contre 23 en 2020 (- 9 %). Les femmes représentent 85 % du total des victimes. Depuis 2006, cette part est stable. Mais ces statistiques inquiétantes sont sans doute sous-estimées et non définitives. La situation réelle est certainement plus grave encore. “Ces chiffres ne comptabilisent que les faits qui ont été portés à la connaissance de la police et la gendarmerie au plus tard début janvier”, soulignait-on il y a un an au ministère de l’Intérieur. Surtout, les victimes déposent peu plainte.
“En 2021, 143 morts violentes au sein du couple”
“En 2021, 143 morts violentes au sein du couple ont été recensées par les services de police et unités de gendarmerie, contre 125 l’année précédente (18 victimes en plus, soit + 14 %). L’année 2021 marque ainsi un recul par rapport à la nette baisse des homicides conjugaux observée en 2020.”
C’est le seul point un peu moins dramatique. de ces statistiques glaçantes “Les 143 homicides conjugaux recensés en 2021 correspondent davantage au niveau du nombre de mort violentes au sein du couple observées avant l’épidémie de covid-19.Ces faits représentent 19 % (18 % en 2020) de l’ensemble des homicides non crapuleux et violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner enregistrés en France en 2021 (756 cas recensés). En moyenne, un décès est enregistré tous les deux jours et demi (contre un tous les trois jours en 2020).”
251 tentatives d’homicides au sein du couple
Pas moins de 251 tentatives d’homicides au sein du couple ont par ailleurs été recensées sur un total de 3 354 tentatives d’homicides, dit encore le rapport annuel. Dans un contexte de reprise du nombre des tentatives d’homicide volontaire en général (+ 4 % entre 2020 et 2021), les tentatives au sein du couple augmentent de + 5 % (soit + 13 victimes). Soixante-dix départements et collectivités d’outre-mer sur 107 (58 %) enregistrent au moins un décès. Les départements du Nord et de la Gironde (6 faits chacun), puis de la Somme et des Bouches-du-Rhône (5 faits chacun) enregistrent le plus de faits.
L’Occitanie la plus concernée des régions
En 2021, aucun homicide n’a été constaté dans 37 départements et collectivités sur 107 (43 en 2020). La collectivité territoriale la plus concernée par les morts violentes au sein du couple est la région Occitanie. Notre région enregistre le nombre de morts violentes au sein du couple le plus élevé en comptabilisant dix-neuf victimes recensées selon la répartition suivante : les Pyrénées-Orientales (quatre faits), l’Aude, la Haute-Garonne et l’Hérault (trois faits chacun), le Gard et le Tarn (deux faits chacun), l’Aveyron et le Tarn-et-Garonne (un fait chacun).
Cinq régions comptabilisent plus de 10 victimes : les Hauts-de-France, l’Île-de-France et la Nouvelle-Aquitaine (17 victimes chacune), le Grand-est (13 victimes) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (11 victimes).
Masculin, en couple, de nationalité française
Le profil type de l’auteur n’a pas changé. Il est majoritairement masculin, le plus souvent, en couple, de nationalité française, âgée de 30 ans à 49 ans ou de 70 ans et plus, et n’exerçant pas ou plus d’activité professionnelle. Les raisons ? La dispute et le refus de la séparation demeurent les principaux mobiles du passage à l’acte. Les faits sont en majorité commis au domicile du couple, de la victime ou de l’auteur, sans préméditation, principalement avec une arme à feu ou une arme blanche.
Le profil type de la victime est très majoritairement féminin, le plus souvent de nationalité française, âgée de 30 ans à 49 ans ou de 70 ans et plus, et n’exerçant pas ou plus d’activité professionnelle.
Maladie ou vieillesse de la victime, cause principale du passage à l’acte de ces personnes âgées
Ensuite, 25 % des auteurs et 20 % des victimes sont âgés de 70 ans et plus au moment des faits. 13 % des auteurs et 10 % des victimes ont 80 ans et plus. La maladie ou la vieillesse de la victime constitue la cause principale du passage à l’acte de ces personnes âgées. Dans 33 % des cas, la présence d’au moins une substance susceptible d’altérer le discernement de l’auteur et/ou de la victime (alcool, stupéfiants, médicaments psychotropes) est constatée au moment des faits.
Également : 32 % des femmes victimes avaient déjà subi des violences antérieures. 64 % de celles-ci avaient signalé ces violences antérieures aux forces de sécurité intérieure et parmi elles 84 % avaient déposé une plainte antérieure. Seul un auteur était sous contrôle judiciaire et deux victimes faisaient l’objet d’une ordonnance de protection. Enfin, 12 enfants mineurs sont décédés dans la sphère familiale, victimes d’infanticides (2 de moins qu’en 2020).
Violences faites aux femmes : “Continuons à dénoncer, à nous battre…”
Fondatrice de #Noustoutes, Caroline de Haas, ancienne conseillère technique auprès de la ministre Najat Vallaud Belkacem, ministre des Droits des femmes sous Hollande, revendiquait : “Les moyens pour appliquer les annonces sont en réalité les grands absents des déclarations. Et sans moyens, il n’y aura pas de changement majeur.” “Les chiffres sont glaçants. Malgré les efforts sans précédent engagés par l’Etat ces cinq dernières années, les féminicides restent à un niveau trop élevé”, a réagi dans le Monde Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes.
Olivier SCHLAMA
Pourquoi le fléau ne faiblit pas
Les explications de Muriel Salmona, psychiatre.
Muriel Salmona est psychiatre. Elle est la fondatrice en 2009 et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, organisme d’information et de formation pour les intervenants prenant en charge les victimes de violences, en particulier de violences sexuelles, mais aussi de violences conjugales, de violences faites aux enfants, et de violences liées au terrorisme.
“Les chiffres ne m’étonnent pas malheureusement puisque nous les suivons en temps réel avec le compte de féminicides, par ex. Ce qui me désespère c’est qu’ils ne régressent pas, et que les femmes soient toujours aussi peu protégées (seulement trois dispositifs de protection de victimes de féminicides, les ordonnances de protection, les bracelets électronique et les téléphones “grand danger” sont encore attribués en nombre très insuffisants) ; que les femmes victimes de violences ne soient pas dépistées (nous réclamons un dépistage systématique par les professionnels de la santé auprès des femmes et des enfants.”
Quand on voit les peines prononcées en cas de violences conjugales, le message envoyé aux femmes qui portent plainte est qu’on ne se préoccupe pas de leur sécurité…”
Ce qui désespère encore cette spécialiste (à lire ICI), c’est que “le danger soit toujours aussi mal évalué (malgré le Grenelle avec des grilles d’évaluation qui doivent être plus performantes et correspondre aux études et recommandations internationales, les facteurs de risque ne sont souvent pas pris en compte : par exemple, on sait qu’une strangulation multiplie par sept le risque d’un féminicide. Quand on voit les peines prononcées en cas de violences conjugales, le message envoyé aux femmes qui portent plainte est qu’on ne se préoccupe pas de leur sécurité, il n’y a pas de réelle politique de protection, c’est aux femmes d’organiser leur protection, les maris violents sont rarement mis hors d’état de nuire en étant privés de liberté, le principe de précaution ne prévaut pas”.
Elles ne peuvent pas avoir confiance dans une justice qui attribue encore trop souvent un droit de visiter et de garde au père violent ce qui leur permet de continuer à exercer leur contrôles sur leur ex-femme…”
Muriel Salmona ajoute que “pour ces hommes violents, les femmes sont encore considérées comme leur appartenant, ils les contrôlent et peuvent leur ôter la vie si elles essaient d’échapper à leur pouvoir. De plus, quand il y a des enfants, les femmes sont encore moins en sécurité et plus prisonnières, elles ne peuvent pas avoir confiance dans une justice qui attribue encore trop souvent un droit de visiter et de garde au père violent ce qui leur permet de continuer à exercer leur contrôles sur leur ex-femme…”
Trop grande tolérance
Enfin, elle explique que “la tolérance est encore bien trop grande vis-à-vis de ces hommes violents et du terrorisme qu’ils exercent, la réprobation reste très en deçà de ce qu’elle devrait être, quand on voit que des hommes politiques condamnés pour violences envers leurs femmes ou compagnes gardent leurs mandats, c’est un exemple catastrophique. Les campagnes de prévention ne sont pas suffisantes : elles devraient être omniprésentes.”
“La violence sexuelle est le plus grand pourvoyeur de violences”
Ce n’est pas tout : “Il faudrait également prendre plus en compte la violences sexuelles conjugale qui est un facteur de risque important et qui est en augmentation continuent qui bénéficie d’une impunité quasi totale et faire là aussi du dépistage ; de la prévention ; marteler que le corps des femmes ne doit pas être contrôlé ou considéré comme à sa disposition ; que le consentement volontaire s’exprime explicitement et que la violence sexuelle est le plus grand pourvoyeur de violences.”
Les dégâts des violences dans l’enfance
À partir de son expérience, Muriel Salmona propose “de traiter également l’origine de ces violences” ainsi que “les violences physiques et sexuelles que subissent les enfants et le fait qu’ils soient exposés à de la violence conjugale qui doivent être dépistés, les enfants devant être aussi protégés et leurs psychotrauma traités”.
La spécialiste rappelle “qu’avoir subi des violences physiques et sexuelles dans l’enfance multiplie par 19 le risque de subir des violences sexuelles et conjugales à l’âge adulte pour une femme.” Et pour un homme ? “Avoir subi des violences physiques et sexuelles dans l’enfance multiplie par 14 le risque de commettre des violences sexuelles et conjugales à l’âge adulte.”
Evidemment, Muriel Salmona rappelle “l’importance de la formation des professionnels de santé et une offre de soin suffisante”.
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