Patrimoine : “Les langues régionales, une richesse à sauver”

Michel Feltin-Palas. Ph. DR

À l’occasion de sa venue ce vendredi 13 janvier, à la Médiathèque de Sète, à 18 heures, invité par le Cercle Occitan, le spécialiste des langues régionales, Michel Feltin-Palas, rédacteur en chef à l’Express et auteur d’un livre remarqué Sauvons les Langues régionales, explique l’intérêt majeur à conserver cette “richesse culturelle”.

Finalement, c’est un miracle que toutes ces langues minoritaires aient pu survivre. Michel Feltin-Palas s’inscrit en faux, malgré les freins actuels. “Elles sont, certes, vent de face depuis un bon moment mais elles partent d’une situation où ces langues régionales étaient ultra-majoritaires, expose Michel Feltin-Palas. Jusqu’à la Révolution française. “Ce sont des chiffres peu connus : on estime qu’à la fin du 18e siècle que 80 % des Français ne parlaient pas français. Et avant la Première Guerre mondiale, qu’ils étaient encore 50 % à ne pas parler français.” Il tranche : “La fin de l’occitan, du béarnais et de toutes les langues régionales n’a rien d’inéluctable. C’est une question de volonté politique.”

“Nous avons une vision faussée : c’est un sujet mal traité pas les médias, surtout parisiens”

Michel Feltin-Palas. Ph. DR

L’évangélisation de la République “une et indivisible” est passée par là grâce à ses “hussards” du français, instituteurs et professeurs. Michel Feltin-Palas poursuit : “On vit dans un pays profondément et historiquement multilingue, jusqu’à il y a peut-être 50 ans. Aujourd’hui, nous avons une vision quelque peu faussée parce que c’est un sujet mal traité pas les médias, par des médias surtout parisiens, qui ne donnent pas du tout la vision réelle de la situation. Et on peut avoir, à travers eux, l’impression que plus personne ne parle une langue régionale en France.”

Dix millions de locuteurs en France !

Michel Feltin-Palas évoque “un très gros sondage récent basé sur un très gros échantillon pour le journal télévisé de 13 heures de TF1 montrant que 10 millions de personnes parlent ces langues régulièrement actuellement ! Et elles sont “invisibilisées. On parle de beaucoup de locuteurs : c’est davantage qu’une audience moyenne de l’Equipe de France de foot à la TV.” Il précise : “En réalité, il n’y a pas eu d’enquête nationale sur le sujet depuis 1999 !” Pourquoi ? Officiellement, l’État souhaite le maintien des langues régionales ; dans les faits, il fait le contraire : il ne prend pas les mesures qui permettrait de les sauver, ces langues régionales. Donc, si l’État mesure tous les ans le taux de pratique et s’il s’aperçoit qu’il diminue, il sera obligé de changer de politique… Pour ne pas être pris dans cette contradiction, il n’y a pas de mesure…”

Pour 61 % des Français, la pratique des langues régionales n’est pas assez pas encouragée

Selon l’auteur de ce livre, 61 % des Français trouvent dommage que la pratique des langues régionales ne soit pas davantage encouragée. La prise de conscience ne doit pas venir avant tout des locuteurs eux-mêmes…? “C’est un jugement un peu trop sévère ! Les gens ont fait comme ils ont pu. Cela devrait venir des décideurs.” Même si la Région Occitanie a, par exemple, voté un grand plan plan pour les langues régionales dont Dis-Leur vous a parlé ICI.

Les gens subissent un lavage de cerveau, un matraquage depuis des décennies ; on leur explique que ces langues ne sont pas des langues mais des patois ; que ça ne sert à rien ; qu’il n’y a ni vocabulaire ni grammaire, etc. Ils ont fini par le croire…”

“Certes, reprend Michel Feltin-Palas, si on veut que les choses changent, il faut évidemment qu’un certain nombre de locuteurs soient mobilisés mais ceux-ci subissent un lavage de cerveau, un matraquage depuis des décennies ; on leur explique que ces langues ne sont pas des langues mais des patois ; que ça ne sert à rien ; qu’il n’y a ni vocabulaire ni grammaire, etc. Et les gens ont fini par le croire : ce sont les autorités qui affirmaient cela.”

Quant aux Français, ils ont fait ce qu’ils ont pu à l’époque avec cette injonction d’une langue unique… “La préoccupation des gens c’était d’arriver jusqu’à la fin du mois ; de faire en sorte que leurs enfants aient un meilleur avenir et, pour cela, il fallait passer au français. On n’a pas expliqué aux gens qu’ils étaient porteurs d’une culture, d’une langue qui avait une littérature, une histoire. Que les langues sont égales et porteuses de richesses. On leur a dit le contraire. Les gens ont crevé de faim pendant longtemps ; faut voir ce qu’était la société paysanne à l’époque jusqu’au début du XXe siècle ; ils ont été en outre humiliés à l’école…” Au bout d’un moment, ils ont abdiqué. À quoi bon transmettre une langue qui ne leur permettra pas de s’en sortir, d’accéder aux diplômes…?

Gallois, catalan en Espagne… : il n’y a pas de fatalité

Quelles solutions avance ce spécialiste ? Celles qui ont déjà fonctionné ailleurs et qui ne semblent pas révolutionnaires (1). Inspirées quelles sont de ce que l’Espagne a réussi avec le catalan ; de ce qui a permis au Gallois de prospérer… Michel Feltin-Palas évoque aussi  des pratiques vertueuses et en Suisse, en Belgique, en Suède, Canada… “Ce sont des pays multilingues comme le nôtre qui nous ressemblent qui ont le même développement économique. Je n’ai rien inventé. Le français, langue commune, cela me va très bien. Et le français, langue unique, c’est une catastrophe : cela s’appelle de la standardisation,  de l’uniformisation. Un appauvrissement terrible.”

“Que penserait-on d’une Europe où tout le monde, dans tous les pays, ne parlerait seulement que l’anglais ?”

Le drapeau Occitan, une bannière qui unit associations et élus pour la défense de la langue… Photo : FELCO-Pour que vivent nos Langues.

Le spécialiste va plus loin : “Que penserait-on d’une Europe où tout le monde, dans tous les pays, ne parlerait seulement que l’anglais ? A-t-on envie qu’il y ait une Italie où l’on ne parle qu’anglais ; une Allemagne, une Espagne, une France où l’on ne parlerait plus qu’une seule langue : l’anglais ? De la même manière, les Occitans, les Bretons, les Alsaciens, les Martiniquais ont envie de garder leur langue et leur culture. À côté du français. Car une langue ne sert pas seulement à transmettre une information. C’est bien plus que ça. C’est aussi une culture. Et on peut parler deux langues sans problème ! C’est une réalité pour plus de la moitié de l’humanité.” Et cela favorise la réussite scolaire et même des progrès en français !

La crainte du séparatisme dans un pays d’Europe, la France, dotée de la plus grande diversité linguistique

“J’adore la France. J’adore la France parce qu’elle est diverse. Il faut qu’elle garde cette diversité. C’est notre richesse commune. Je n’ai pas envie d’une France qui n’aurait qu’un seul style d’architecture ; une seule gastronomie ou un seul type de paysage.” Si c’est un tel enrichissement pour tous, pourquoi l’État français ne développe pas les langues régionales…?! “Il y a deux raisons à cela, professe Michel Feltin-Palas. La première, c’est la crainte du séparatisme. Une langue est quelque chose d’intime et cela a une fonction sociale. Les langues permettent à des groupes de se définir comme différents des autres. Une Ukrainienne a confié récemment qu’elle s’était remise à parler ukrainien depuis l’agression russe.”

“Derrière une langue, il y a un enjeu collectif. Si un groupe a le sentiment, à tort ou à raison, d’appartenir à un pays qui menace sa langue et sa culture, il peut avoir envie de sortir de ce pays. Regardez ce qui s’est passé il y a peu en catalogne espagnole. Donc, les Etats ont un peu peur qu’il y ait une menace. Et la France est le pays d’Europe qui a la plus grande diversité linguistique. Autant l’Italie a une sorte de communauté latine, l’Allemagne une communauté germanique ; autant en France, il n’y avait pas de raisons que dans ce même pays il y ait des communautés Basque, Bretonne, Corse, Béarnaise…”

Langues régionales, “adversaires de la liberté”…

Devant l’Hôtel de Région, à Montpellier… Les drapeaux occitan et catalan flottent… Photo Ph.-M.

Michel Feltin-Palas évoque la peur ancienne du séparatisme. Le dernier  exemple, imbécile, en date, étant celui du petit Artús, né en Lozère, dont l’accent sur le “U” menacerait l’unité de la France ! “La France a toujours eu peur que ces communautés différentes mènent au séparatisme. Elle a donc mené une politique beaucoup plus défavorable envers les langues régionales. Mais ce risque est surestimé, délirant même : 99 % des gens qui ont envie de garder leur langue régionale n’ont absolument pas envie de sortir de la France. Je connais beaucoup d’amoureux du picard qui n’ont jamais entendu parler du front de libération de la Picardie ; idem pour le Béarn ou d’autres langues régionales.” La seconde raison, c’est que seul le français serait la langue de la liberté. Seul problème, est-il rappelé dans le livre : “(…) À cette époque, 80 % des Français… ne parlent pas français, mais corse, breton, normand, limou­sin, catalan…” Et que ces langues régionales seraient “les adversaires de la liberté”. C’est juste l’inverse : une langue amène à penser différemment. C’est une ouverture d’esprit. C’est un outil de plus pour aller vers l’autre.

“Deux-tiers des Français souhaitent que l’on fasse ce qu’il faut pour sauver les langues régionales…”

L’espoir est de mise. La prise de conscience des locuteurs de langues régionales est évidente mais aussi au-delà. “On sent qu’il y a pas mal de choses qui vont dans le bon sens. Et que traduisent des enquêtes d’opinion : une large majorité de Français, autour des deux-tiers, souhaitent que l’on fasse ce qu’il faut pour sauver les langues régionales. Il y a eu la loi Molac, la première loi votée, en 2021, sous la Ve République en faveur des langues régionales (!) contre l’avis du gouvernement. Votée, malgré tout, par une majorité de sénateurs et de députés. C’est un signe fort.”

Les accents, la glottophobie…

Il y a eu aussi une proposition de loi de l’ex-député de l’Hérault, Christophe Euzet qui a ajouté les accents parmi les discriminations punies par le Code pénal. “Malheureusement, rappelle Michel Feltin-Palas, cette loi votée à une très grande majorité par l’Assemblée, n’est jamais entrée en vigueur parce que le Sénat ne l’a jamais inscrite à l’ordre du jour. Enfin, des travaux universitaires solides ont montré l’existence de la glottophobie (une discrimination liée à sa façon de parler). Il y a aussi une petite victoire dans le monde de la publicité. Il y a une conjonction de facteurs favorables…”

Je ne vois pas pourquoi les mentalités n’évolueraient pas en faveur des langues régionales. On a encore des locuteurs, des artistes, des penseurs… Il ne faut pas tarder”

“Seules les mentalités n’ont pas encore évolué auprès de certains décideurs parisiens. Et il y a des bastions “ennemis” comme le Conseil constitutionnel qui a montré par la censure de la loi Molac un adversaire des langues régionales et le ministère de l’Education nationale, minoritaires mais qui ont le pouvoir. Mais la société française évolue dans beaucoup de domaines, comme on peut le constater dans le droit des homosexuels. Je ne vois pas pourquoi elle n’évoluerait pas en faveur des langues régionales. On a encore des locuteurs, des artistes, des penseurs… Il ne faut pas tarder.”

Olivier SCHLAMA

(1) Parmi les mesures à prendre, Michel Feltin-Palas en évoque plusieurs qui ont fait leurs preuves dans d’autres pays : 

  • La création sur fonds publics de crèches bilingues : alsacien­ français en Alsace, basque ­français au Pays basque, picard­ français en Picardie, créole ­français en Martinique, etc.
  • L’introduction dans la Constitution ce membre de phrase : “L’enseignement immersif est constitutionnel” afin de sécuriser cette méthode pédagogique consistant à faire baigner les enfants dans un bain linguistique. Dans la fou­lée, multiplier partout ce type d’enseignement, considéré comme le plus efficace pour l’apprentissage des langues dites régionales et ce, sans effets négatifs sur la maîtrise du français.
  • À l’école, proposer à tous les élèves des heures d’initiation à la langue, à l’histoire et à la culture locales.
  • Créer dans chaque région concernée des télévisions et des radios publiques émettant exclusivement en langue régionale.
  • Imposer dans les médias audiovisuels nationaux un quota minimum de chansons en langue régionale.
  • Augmenter significativement les subventions allouées aux acteurs culturels qui promeuvent les langues régio­nales, qu’il s’agisse des chanteurs, des acteurs, des éditeurs, des organisateurs de festivals, etc.
  • Systématiser les signalétiques bilingues français­langue régionale dans l’espace public et les bâtiments publics. Al­ler plus loin encore pour les noms de commune, pour les­quels on n’emploiera que la langue historique : on rempla­cera par exemple Saint­-Raphaël par Sant Rafèu.
  • Créer un ministère spécifique chargé des langues de France de telle sorte qu’un membre du gouvernement s’oc­cupe véritablement de ce dossier et soit tenu de rendre des comptes.
  • Exiger de l’Insee un recensement annuel des locuteurs des langues régionales, afin de mesurer l’efficacité de la po­litique linguistique menée et, éventuellement, de la corriger.
  • Modifier la Constitution afin de pouvoir ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
  • Adopter la proposition de loi du député Christophe Euzet consistant à ajouter les accents régionaux parmi les discriminations réprimées par le Code pénal.
  • Obliger les chaînes de télévision et les radios à respec­ter la diversité des accents dans leurs journaux et leurs émissions.
  • Créer un ministère spécifique chargé des langues de France de telle sorte qu’un membre du gouvernement s’oc­cupe véritablement de ce dossier et soit tenu de rendre des comptes.
  • Exiger de l’Insee un recensement annuel des locuteurs des langues régionales, afin de mesurer l’efficacité de la po­litique linguistique menée et, éventuellement, de la corriger.
  • Modifier la Constitution afin de pouvoir ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
  • Adopter la proposition de loi du député Christophe Euzet consistant à ajouter les accents régionaux parmi les discriminations réprimées par le Code pénal.
  • Obliger les chaînes de télévision et les radios à respec­ter la diversité des accents dans leurs journaux et leurs émissions.

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