Rapport inédit de la Cour des comptes : Le réchauffement donne le vertige aux stations de ski

Font-Romeu, hiver 2022-2023. Ph. Olivier SCHLAMA

D’ici 2050, l’exploitation des stations sera bouleversée. Créer un fonds d’adaptation au changement climatique et un observatoire national ; augmenter le prix des forfaits ; dépasser l’échelon communal pour établir une stratégie ; initier une solidarité financière entre stations… Les pistes de ce rapport inédit et très riche de la Cour des Comptes, qui s’est appuyé sur le travail de la Chambre d’Occitanie, ne manquent pas pour un modèle qui “s’essouffle” sérieusement.

Le sentiment d’être au bord du précipice. Après le profond traumatisme des années 1970, marqué d’un exode rural historique, d’une petite agriculture peu viable ; la disparition des maisons d’enfants et la fermeture des sanatoriums, la montagne se donne à nouveau, un demi-siècle plus tard, le vertige. Il y a, certes, eu des plans montagne successifs et l’âge d’or des stations avec la création parfois de sites ex nihilo et de 150 000 lits. Mais tout ceci a vieilli et ne s’est jamais modernisé. Surtout dans les Pyrénées devenues, de plus en plus souvent, montagne pelée entre deux coups de froid…

Cambre d’Aze, “exemple de mal-adaptation au changement climatique”

Cambre d’Aze. Ph. Berlic

Baisse générale en France du nombre de skieurs, parc de logements de plus en plus inadapté, très lourds investissements, saisons raccourcies… Et ce, alors que les stations bénéficient d’importantes aides publiques : 23 % du chiffre d’affaires des opérateurs de remontées mécaniques de petites ou moyennes stations proviennent de subventions. Ce qui revient à faire payer le contribuable et non l’usager…

La petite station du Cambre d’Aze (1 600 mètres, 2 400 mètres, dans les P.-O.), près de Font-Romeu, est même citée dans le rapport national de la Cour des comptes comme “exemple de mal-adaptation au changement climatique”. Pierre Blanqué, maire et président du syndicat mixte (Sieca) a répondu par écrit, vexé : “Le réseau de production de neige est lié à celui de se doter d’une retenue d’eau, déjà acceptée par arrêté préfectoral en 2018 pour le Sieca et maintenant reprise et révisée à la baisse pour sa contenance par la SPL Trio”, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI.

On y apprend donc le projet d’une retenue d’eau, “en pied de forêt, dans un endroit très accessible hiver comme été. Cet investissement doit devenir à court terme un lieu ludique et porteur de valeur ajoutée”. Tout est dans cette phrase qui évoque une préfiguration d’une station des quatre-saisons. Mais réaliser une retenue d’eau par les temps asséchés qui courent… Sans parler de la dette abyssale de la station…

Comment les collectivités s’adaptent au changement climatique

Le pied dans le vide Porté-Puymorens. Photo : Frédérique Berlic.

Cambre d’Aze fait partie, entre autres, avec Font-Romeu, Formiguères, Porte-Puymorens, dans les Pyrénées Catalanes, et Gorette, Ax-les-Thermes et le Grand Tourmalet dans les Pyrénées-Ariégeoises, des 42 stations décortiquées – et 200 stations auscultées au total – pour alimenter une vaste enquête inédite de la Cour des comptes, plus haute juridiction française, avec cinq chambres régionales dont celle d’Occitanie (lire ci-dessous). Une somme colossale d’analyses qui fera partie du rapport 2024 de la Cour focalisé sur l’économie française à l’aune du changement climatique. “Un travail inédit, très documenté“, a qualifié Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes. Son but ? Comment les collectivités s’adaptent-elles au changement climatique et quelles sont les stratégies d’adaptation mises en oeuvre ?

Palmarès et score de vulnérabilité au réchauffement

Pierre Moscovici a résumé en langage diplomatique : “Le modèle de la station de ski s’essouffle (…) de moins en moins de stations parviennent à l’équilibre financier, seules les très grandes stations y arrivent”. Pour des raisons structurelles (vieillissement des installations ; lits froids “40 % d’entre-eux sont des passoires thermiques !”) et à cause du réchauffement qui a fait perdre dans les Alpes “plus d’un mois d’exploitation” en quelques décennies. Et il est prévu une nouvelle baisse de 10 % à 40 % d’ici 2050… Ce réchauffement est aussi pervers : le pergisol, ce sol censé être gelé toute l’année, l’est de moins en moins, faisant courir des risques pour la sécurité… La Cour a même établi un “score de vulnérabilité au réchauffement” avec un palmarès avec 163 stations où la station de Peyragudes (Hautes-Pyrénées se pointe en 9e position) ; les autres sont toutes situées dans les Alpes. Selon la Cour, seuls quelques sites en France pourront poursuivre une exploitation au-delà de 2050. Or, cette évolution est, selon elle, “sous-estimée par les maires et les collectivités”.

“Subventionnement public significatif et croissant”…

Font-Romeu, hiver 2022-2023, où le niveau a été “proche des minimas de la période de 1959 à 2020.” Photo Olivier SCHLAMA

La Cour des comptes pointe “un subventionnement public significatif et croissant” – “Une singularité française” – qui n’est pas appelé à décroître, au contraire : les collectivités vont devoir mettre davantage la main à la poche, adaptation au réchauffement climatique oblige. Les financements publics perçus par les opérateurs des remontées mécaniques dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à 15 M€ sont estimés à 124 M€ par an.

Dans le rapport, les magistrats ont écrit : “Ce montant doit être rapproché du chiffre d’affaires total de l’ordre de 529 M€ généré par ces opérateurs, soit un niveau de dépendance à la dépense publique d’environ 23 %. Pour les stations réalisant moins de 10 M€ de chiffre d’affaires, le montant est de 87 M€ représentant 28 % du chiffre d’affaires des stations concernées.” La Cour que préside Pierre Moscovici préconise donc davantage de coopération entre les stations pour une meilleure coordination de tous les acteurs. “Les départements et les régions se limitent trop à un rôle de financeurs. Hormis de rares exemples vertueux, comme Trio dans les Pyrénées-Orientales, dont Dis-Leur vous a parlé ICI et que Pierre Moscovici a cité en exemple vertueux.

Des retombées économiques mal établies…

Une aide financière nécessaire pour faire vivre la montagne et aussi parce que l’or blanc, ça rapporte, dit-on. Ça rapporte…? vraiment ? La Cour s’inscrit en faux : “La modalité de calcul des retombées économiques du ski sur l’économie locale, souvent mises en avant, est insuffisamment documentée. Un ratio “un pour six” est généralement présenté : un euro dépensé dans un forfait de remontées mécaniques générerait six euros de retombées sur l’économie locale. Les dépenses affectées au logement, aux dépenses alimentaires et aux remontées mécaniques constituent ainsi à elles seules 71 % des dépenses réalisées en stations.”

Raréfaction de l’eau et lits touristiques vieillissants

A l’instar de la station de ski de Font-Romeu (P-O.), les stations de Cerdagne et haut-garonnaises cherchent à se relancer. Photo d’archives : Olivier SCHLAMA

De quoi “enfermer les collectivités dans un sentier de dépendance au ski, les privant des marges de manœuvre pour développer un tourisme “quatre saisons”, est-il écrit dans le rapport. Mais aussi raréfaction de l’eau et lits touristiques vieillissants… “Aussi, certifient les magistrats, une réorientation fondamentale de la dépense publique en fonction de la réalité climatique et économique de chaque territoire doit être envisagée. À titre de comparaison, l’Institut d’économie pour le climat a estimé à 91,7 M€ par an le coût de l’adaptation au changement climatique en France. Ce chiffre, qui ne couvre que les premières mesures, ne répond ainsi pas à l’intégralité du besoin s’agissant d’une pleine et entière transition du modèle économique des stations vers l’adaptation au changement climatique.”

Mise en place d’un fonds d’adaptation

La Cour préconise “la mise en place d’une solidarité financière entre collectivités. Ainsi, devrait être mis en place d’un fonds d’adaptation au changement climatique destiné à financer les actions de diversification et de déconstruction des installations obsolètes, alimenté par la taxe locale sur les remontées mécaniques”. Les magistrats soumettent aussi l’idée d’un observatoire national regroupant toutes les données de vulnérabilité en montagne accessibles à tous les acteurs locaux (ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires).

Mettre en place une gouvernance des stations de montagne ne relevant plus du seul échelon communal”

Pierre Moscovici

Pierre Moscovici a rappelé ce matin que “la production de neige de culture coûte très cher, très consommatrice de la ressource en eau, générant au passage des conflits d’usage. Il faut faire évoluer les autorisation de prélèvement…” Ce que l’on peut lire dans le rapport : “Faire évoluer le cadre normatif afin que les autorisations de prélèvements d’eau destinés à la production de neige tiennent compte des prospectives climatiques (ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires).”

Pierre Moscovici, président de la Cour des comptes, à Montpellier. Ph. O.SC.

Et encore parmi les préconisations des magistrats, il faut “formaliser des plans d’adaptation au changement climatique, déclinant les plans de massifs prévus par la loi Climat et résilience ; conditionner tout soutien public à l’investissement dans les stations au contenu des plans d’adaptation au changement climatique (ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, régions, départements).” Et, enfin, mettre en place une gouvernance des stations de montagne “ne relevant plus du seul échelon communal (ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, collectivités territoriales)”.

“Fonds d’adaptation pour financer diversification et déconstruction des installations obsolètes”

Les magistrats financiers insistent sur l’idée de “mettre en place un fonds d’adaptation au changement climatique destiné à financer les actions de diversification et de déconstruction des installations obsolètes, alimenté par le produit de la taxe sur les remontées mécaniques (ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, ministère de l’Économie et des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique)”.

Font-Romeu, hiver 2022-2023. Ph. Olivier SCHLAMA stations de ski, neige, Pyrénées

Il y a aussi une lecture critique de la politique de l’État. “La planification de l’Etat a été lacunaire et dispersée. Il y a bien eu le lancement du plan Avenir montagne, dans le cadre du plan de relance destiné aux stations qui avaient fermé pendant la crise sanitaire : 331 M€ sur 2021 et 2022 pour financer 669 projets mais ces crédits ont été en réalité saupoudrés sur un grand nombre de sites pour financer un grand nombre de projets déjà prêts et pas forcément innovants…”, a tancé Pierre Moscovici.

“La montagne, on peut y faire plein de choses…”, a conclu Pierre Moscovici, militant pour une “stratégie au niveau d’un territoire élargi et une meilleure coordination qui ne soit plus au fil de l’eau…” L’avenir des stations de ski ? Un Everest à gravir…

Olivier SCHLAMA

  • Pour une info de qualité, des journalistes indépendants, faites un don défiscalisé à Dis-Leur !
  • L’enquête de la Cour des comptes a été pilotée par une formation inter-juridictions (FIJ). Elle a associé la Cour des comptes et cinq chambres régionales des comptes : CRC Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’échantillon a porté sur 39 contrôles correspond à 42 stations et 43 organismes, illustratifs de la diversité des situations rencontrées et répartis sur les Alpes, les Pyrénées, Massif central et le Jura. En outre, la Cour a constitué et exploité une base de données spécifique. Elle a mené des auditions d’experts, d’élus et de professionnels du secteur.

La France au deuxième rang mondial

Sa force : de grands domaines skiables et des petites stations…

“La France est une destination majeure pour le tourisme hivernal : avec 53,9 millions de journées-skieur, elle se classe ainsi au 2e rang mondial, après les États-Unis (61 millions)”, explique la Cour des comptes. “Comparée aux autres grands pays du ski, la France a pour caractéristique de proposer à la fois un grand nombre de domaines skiables majeurs ainsi qu’un nombre important de petites stations.”

1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires

Les stations de ski des Pyrénées
La montagne fait face à de nombreux défis. Photo : DR.

Et : “Le tourisme hivernal en montagne s’est développé essentiellement dans les années 1960 et 1970 avec la construction des stations de sports d’hiver dans le cadre des plans neige initiés par l’État. Ces derniers ont conduit à la création de stations de montagne ex nihilo, intégrées et souvent en haute altitude : 150 000 lits d’hébergement touristiques ont été créés durant cette période et ont permis le développement d’un tourisme hivernal de masse en montagne. Le tourisme montagnard représente actuellement 22,4 % des nuitées touristiques en France.”

En France, le secteur des remontées mécaniques représente un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros. “Dans un marché mondial du ski dominé par l’économie de marché, la France fait figure d’exception car ce secteur est qualifié par la loi dite montagne de 1985 de service public à caractère industriel et commercial. Les communes y jouent un rôle clef soit en assurant en direct l’exploitation des domaines skiables soit en la délégant à des opérateurs privés.”

À lire également sur Dis-Leur !

Tourisme : Exemple inédit du mariage salvateur de trois stations de ski des Pyrénées Catalanes

Exclusif : Comment sauver les quarante stations des Pyrénées

Chambre des comptes : À Font Romeu, “le changement climatique est peu pris en compte”