Tourisme : Exemple inédit du mariage salvateur de trois stations de ski des Pyrénées Catalanes

Le pied dans le vide Porté-Puymorens. Photo : Frédérique Berlic.

Réunies depuis un an dans une Société publique locale Trio – une première -, Cambre d’Aze, Formiguères et Porte-Puymorens ouvrent à partir de ce samedi avec le sourire. Face à l’enneigement capricieux l’hiver, s’engager dans le “quatre saisons” suscite l’espoir. Hermeline Malherbe, présidente du département, principal actionnaire de Trio, est d’un enthousiasme prudent, comme le directeur, Eric Charre. La chambre régionale des comptes rappelle que le modèle est “fragile” et qu’il faut réfléchir à l’échelle du territoire. De quoi poser la question de l’avenir de Puyvalador et Puigmal qui ont fermé, faute de rentabilité.

Tout le monde regarde cette expérience rare avec intérêt. “Certains, c’est avec intérêt, oui, car cette expérience assez unique en France et d’autres avec l’envie que cela ne marche pas”, maugrée Hermeline Malherbe, présidente du département des Pyrénées-Orientales. “Nous sommes entre le marteau et l’enclume dans cette expérience”, précise-t-elle. Mais ces trois stations, si elles n’étaient pas regroupées aujourd’hui, je ne suis pas sûre que l’on aurait pu les rouvrir toutes les trois. Et pour la saison qui s’annonce, on n’a pas de neige ou très peu. La fréquentation va sans doute se faire au dernier moment. Il faut espérer qu’il fasse suffisamment froid pour avoir une saison de ski, notamment janvier et février, correcte. Cela veut dire que nous allons avoir une saison aussi difficile que l’année dernière.

C’est l’avenir de prendre en compte en même temps le réchauffement et la nécessaire adaptation des stations et la vie économique et sociale sur la montagne catalane”

Hermeline Malherbe, présidente du département des Pyrénées-Orientales
Cambre-d’Aze, Trio, novembre 2022. Ph. Département des P.-O.

Dans le camp des grincheux, il y a d’un côté, précise Hermeline Malherbe, les écolos jusqu’au-boutistes sur “le mode je reviens en arrière et selon lesquels il ne faut surtout rien faire pour ne pas abîmer les espaces et puis ceux qui sont encore dans le tout-ski et qui sont dans le déni du réchauffement climatique… Nous, nous sommes sur une ligne de crête mais nous croyons énormément à ce modèle basé sur une SPL commune : c’est l’avenir de prendre en compte en même temps le réchauffement et la nécessaire adaptation des stations et la vie économique et sociale sur la montagne catalane. J’ai bien travaillé, la région également, avec les élus des trois stations.” Et qui peut afficher un audit – déjà ! – de la chambre régionale des comptes encourageant (lire ci-après).

“Le but c’est que nos enfants puissent continuer à vivre dans ce territoire…”

Font-Romeu, hiver 2022-2023. Ph. Olivier SCHLAMA stations de ski, neige, Pyrénées

La présidente du département des P.-O. dévoile qu’à l’origine “toutes les stations” des Neiges Catalanes devaient participer à un même dessein, la même vision, “y compris Font-Romeu et les Angles. Font-Romeu a renouvelé avec Altiservice, un exploitant privé, avec une vision particulière de son développement” et les Angles a voulu rester, elle, en régie, pensant sans doute que ce projet “pouvait les amener plutôt vers le bas que vers le haut. Je ne suis pas du tout aigrie en faisant ce constat mais cela a sa cohérence sur ce territoire. Puyvalador, je ne sais pas pourquoi ils ne nous ont pas rejoint”. Et : “Je pense pouvoir convaincre encore les uns et les autres comme Font-Romeu ou les Angles, qui sont, eux aussi, dans une démarche “quatre saisons”. Nous nous inscrivions déjà dans la démarche globale de la stratégie montagne du département et de la région. Et le Plan Avenir Montagne de l’État, sorti en 2021, est dans cet esprit-là. Le but c’est que nos enfants puissent continuer à vivre dans ce territoire…”

Développer le “quatre saisons”

En tout cas, la période est charnière pour cette expérience inédite : “On ne peut pas se permettre d’être fragilisés. Il faut stabiliser un certain nombre de choses, comme le dit justement la CRC : que l’on développe, notamment, le “quatre-saisons”. Nous avons des projets différents sur les trois stations et qui vont utiliser les remontées mécaniques. Il y a, par exemple, un circuit enduro à Cambre d’Aze que l’on va pouvoir utiliser. Sur Porté-Puymorens, on a le lac du Passet et l’étang de Font-Vive qui vont pouvoir, grâce au nouveau téléporté mixte, permettre le développement d’activités et même être plus écolo puisque cela va permettre moins de passages de voitures et de dégagement de CO2.”

“Nous nous approchons de l’équilibre financier. Cette solution à trois est salvatrice”

“Trois stations gérées ensemble avec une délégation de service public, c’est totalement innovant et c’est extrêmement positif” : sur le terrain, le directeur de Trio, la SPL qui pilote ensemble Cambre d’Aze, Formiguères et Porte-Puymorens depuis juste un an, ne dit pas autre chose. Tout comme la suite : “Le premier bilan de cette triple offre est très positif. En 2021 et 2022, nous avions réalisé 270 000 journées-ski mais en 2022 avec 20 jours de ski en moins. Si les trois stations avaient continué isolément, elles auraient souffert financièrement. Or, là, nous nous approchons de l’équilibre financier. Cette solution à trois est salvatrice.

“Modèle fondé sur des recettes majoritairement issues du ski alpin est fragile et non pérenne”

 

Photo Département des P.-O.

Le contrôle de la société publique locale Trio s’inscrit dans le cadre d’une enquête des chambres régionales des comptes consacrée aux acteurs publics locaux du tourisme face au changement climatique. Nous avions déjà eu celle de Font-Romeu, village-station qui se trouve à quelques kilomètres des trois stations mutualisées des Pyrénées-Orientales, dans un contexte d’adaptation de l’économie de la montagne au changement climatique.

Ainsi, pour la Chambre régionale des comptes d’Occitanie, “le changement climatique à Font-Romeu est peu pris en compte”, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Argument repris pour les trois stations de Cambre d’Aze, Formiguères et Porte-Puymorens  mobilisés sur un “modèle fondé sur des recettes majoritairement issues du ski alpin est fragile et non pérenne”, disent les magistrats financiers.

“Éviter les fermetures de ces stations de ski…”

Cambre d’Aze@f.BERLIC

Trio, permet de mutualiser la gestion de trois stations des Pyrénées-Orientales gérée par une seule société, un groupement d’autorité, pour gérer les stations de ski du Cambre d’Aze, Formiguères et Porté-Puymorens, selon une délégation de délégation de service public, leur exploitation à la société publique locale (SPL) Trio. Le capital social de cette structure est détenu majoritairement par le département des Pyrénées-Orientales qui à l’origine du projet, mais aussi par la région Occitanie.

L’idée est “d’éviter, au moins à court terme, les fermetures de ces stations de ski et d’engager de manière mutualisée des solutions de transformation de leurs modèles économiques, dans un contexte de vive concurrence et de changement climatique. En ce sens, le projet de création de la SPL Trio est innovant et ambitieux pour repenser le tourisme en montagne catalane au XXIe siècle”, souligne la chambre régionale des comptes d’Occitanie.

“La transition vers une exploitation sur les quatre saisons conduit à repenser le modèle économique et institutionnel”

©formigueres Ph. Frédérique Berlic.

L’équilibre économique de la DSP est fondé sur un nombre de journées-skieurs stable sur 30 ans, et les investissements prévus, bien que tournés en grande partie vers un usage multiple, y compris sur le quatre-saisons, sont conçus “dans un objectif principal de maintenir le chiffre d’affaires tiré de la clientèle hivernale en ski alpin”, expriment les magistrats financiers.

De plus, “la dotation en production de neige, que Trio entend compléter notamment au Cambre d’Aze, incluant une retenue d’eau, ne constitue pas une solution définitive à la question de la fiabilité de l’enneigement à venir sur la durée de la délégation. L’investissement orienté sur la production de neige est prévu pour environ 6 M€”.

Evidemment, la Chambre pointe le risque d’une “sécheresse hivernale répétée (qui) n’est plus à exclure, rendant plus complexe le partage de l’eau. En 2023, compte tenu du contexte, la société a souhaité faire évoluer l’usage prioritaire des retenues d’eau, et rendre la production de neige secondaire. La transition vers une exploitation sur les quatre saisons conduit à repenser le modèle économique et institutionnel”, argumentent encore les magistrats.

Activités complémentaires pour du quatre saisons

Trio dispose d’un budget de 6 M€ (à 97 % alimenté par les remontées mécaniques) et bénéficie d’un plan global d’investissement de 30,5 M€ dont 10 % pour les canons à neige et 19 M€ en deux ans pour le téléporté mixte (mélange d’un télécabine et un télésiège avec succession de trois sièges et d’une cabine) de Formiguères qui sera mis en service le 26 décembre. “C’est un transport par câble à travers la montagne qui peut être utilisé avec ou sans neige et par les skieurs et les non-skieurs”, explique le directeur de Trio.

Eric Charre directeur Trio Pyrénées, ph. Trio

Eric Charre, qui fut jusqu’en 2022, directeur de Porte-Puymorens, qui remonta cette station mal en point à l’époque, dirige ce syndicat : “Au niveau commercial, déjà, c’est intéressant : un même forfait pour trois destination, c’est un bel argument. Si on devait fermer une station provisoirement pour un problème météo, on peut envoyer les clients – qui sont très mobiles – sur l’une des deux autres stations.”

De quoi investir dans les trois autres saisons et non plus seulement dans, l’hiver, le tout-neige qui deviendra de moins en moins abondante. “Il faut trouver des activités complémentaires. En un an, nous avons repris trois restaurants ; nous travaillons à proposer de la location de vélos électriques pour aller sur des pistes forestières ; on voudrait avoir une sorte de petit parc d’attraction en été mais rien de gros ; cela doit correspondre à l’ADN de nos petites stations, ou encore de l’escalade à Cambre d’Aze, des itinéraires façon parcours aventure pour les enfants, etc.”

Les clients disposent de 110 journées de ski

Grâce à cette organisation, tempête, manque de neige, coup de vent dans l’une des trois stations qui ne sont pas voisines, ils ont une solution de rechange dans la même semaine de vacances. “C’est salutaire aussi pour les pré-ventes de forfaits saisonniers : les clients ne se posent ainsi plus de questions. Ils disposent de 110 journées de ski. Et plutôt que d’être concurrents et ouvrir les trois stations le même jour, on peut décaler les ouvertures ; on peut fermer aussi une station – c’est le cas du Cambre d’Aze qui fermera le 14 mars. Et les skieurs auront toujours au moins deux stations pour skier.”

“Sans ce modèle mutualisé, on ne peut affirmer que ces stations de cette taille-là auraient pu survivre”

Vue sur l’Espace Cambre d’Aze. Ph. Frédérique Berlic.

Les trois stations proposent du ski alpin mais il y a aussi des activités nordiques ou piétonnes. Chacune avec un appareil dédié. Du ski de randonnée, des raquettes. “Grâce à cette organisation, on a fait des économies d’échelle : un seul directeur, un service commercial commun comme le service comptabilité et les fonctions support. Sans ce modèle mutualisé, on ne peut affirmer que ces stations de cette taille-là auraient pu survivre dans quelques années. On a aussi des changements de métiers ; on doit mener des réflexions que l’on ne peut pas mener quand on est une petite station.” 

Puigmal et Puyvalador demandent qu’on étudie ce que l’on peut y faire

Trio a aussi le projet de réaliser “une retenue d’eau à Cambre d’Aze qui ne sera en aucun cas une mégabassine”. Par ces temps de restriction ? “Le but c’est de stocker de l’eau quand il y en a beaucoup pour fabriquer de la neige de culture ensuite ; pour se défendre contre les incendies et même pour les agriculteurs.” Y a-t-il d’autres stations de ski candidates pour intégrer Trio ? “Il y en a plein… Au moins deux autres : les communes qui ont des stations qui ont fermé, Puigmal et Puyvalador, demandent que l’on étudie ce que l’on peut y faire. Faut étudier cela mais on ne peut pas repartir sur le schéma précédent.” Qui a échoué. “La réponse sera entrepreunariale et il faudra aussi savoir quelle complémentarité dans ce territoire.”

Olivier SCHLAMA

À lire également sur Dis-Leur !

Tourisme : Saison d’hiver “morose” pour les stations de ski des Pyrénées

Exclusif : Comment sauver les quarante stations des Pyrénées

Chambre des comptes : À Font Romeu, “le changement climatique est peu pris en compte”