Chambre des comptes : À Font Romeu, “le changement climatique est peu pris en compte”

Les magistrats financiers ont vérifié si la station emblématique des Pyrénées avait ou non pris en compte l’ampleur de l’aléa climatique. Selon eux, pas assez. Surtout que s’ajoute le manque d’eau historique dans les P.-O. Ce rapport, qui vient d’être rendu public, viendra alimenter une vaste “enquête montagne” sur ce sujet avec une trentaine de stations de ski auscultées d’ici 2024.

Équipement, hôtel, complexe aqua-ludique… : Font Romeu investit dans le ski et veut choyer les non-skieurs, écrivions-nous en février dernier, en publiant l’interview à mi-mandat du maire Alain Luneau. Quatre mois plus tard, la chambre régionale des comptes (CRC) d’Occitanie se fend d’un rapport à prendre en compte.

Le but est d’essayer de comprendre la viabilité des stations françaises au regard du changement climatique, entre 2015 et 2022. “C’est de voir comment les acteurs de la montagne ont, ou n’ont pas, intégré l’ampleur de ce changement et de l’adaptation dans leur stratégie et dans leur politique”, résume Valérie Renet, présidente de la CRC Occitanie. Notamment à Font-Romeu associée à Bolquère sur le ski.

Chiffre d’affaires autour de 10 M€ par an en moyenne

Font Romeu. Photo : Office du tourisme.

“L’hypothèse prévisionnelle des journées skieurs, affirme le rapport, a été constante depuis 2009 : 510 000. Ce niveau d’activité n’a été approché que pour la saison 2017-2018, puis dépassée pour la saison 2021/2022, après une saison de fermeture liée à la crise sanitaire.” Avec un chiffre d’affaires réalisé des remontées mécaniques qui oscille depuis 2015 autour de 10 M€ HT par saison (plus de 14 M€ cette saison) alors que le prévisionnel s’étageait davantage entre 13 M€ et 14 M€. 

Y a-t-il des scénarios mis en oeuvre, justement ? D’abord, comme nous l’avions expliqué, le projet de territoire invite clairement à la diversification des activités sans se reposer exclusivement sur le tout-ski. Font-Romeu, de renommée nationale trouvant ses fondements dans son passé de lieu d’accueil à vocation sanitaire puis d’entrainement de sportifs de haut niveau, est un cas particulier.

Portrait climatique selon ClimSnow

Le délégataire, Altiservice, reconduit en 2022, pour 25 ans, avait lui-même diligenté une étude d’une consortium dans lequel figure Météo France. Il s’agit de ClimSnow, l’un des leaders en France qui construit un portrait climatique prospectif de chaque station avec plusieurs horizons possibles. Les projections montrent un déficit d’enneigement à la fin de la délégation, vers 2050. Mais sans savoir s’il s’agira des deux dernières années ou des dix dernières années…

Font Romeu. Photo : Office du tourisme.

La station est gérée par un syndicat à vocation unique et la communauté de communes (partie nordique) qui ont pris le risque que le changement climatique soit peu pris en compte par leur délégataire qui a interprété de manière optimiste les études ClimSnow. En disant que la vraie problématique de réchauffement arrivera après la fin de la délégation.

Un “doute” sur la présence de la neige en 2035

Et jusque-là, Altiservice, propose de maintenir le nombre de skieurs prévus comme aujourd’hui. Alors que dans le détail de l’étude, il y a quand même un “doute“. Une incertitude. Personne ne dit que, sûr et certain, en 2035, il n’y aura plus de neige. Mais il y a un doute pointé par cette étude qui commencerait qu’à partir de 2040. Du coup, il y a toute une partie de la délégation qui est potentiellement concernée par les problèmes d’enneigement.

Il y a un aléa climatique mais la projection de fréquentation reste malgré tout stable sur la totalité de la durée. C’est une contradiction que nous pointons…”

A 2000 mètres d’altitude, Le lac des Bouillouses retient 17 millions de mètres cubes d’eau pure alimentant Font-Romeu, Egat et Bolquère (P.-O.). Photos : Olivier SCHLAMA

Sans parler, venant se rajouter la sécheresse et le manque d’eau dans les Pyrénées-Orientales… “Pourtant, le compte d’exploitation prévisionnel repose sur un chiffre d’affaires ambitieux et stable pendant 25 ans, laissant peu de place aux aléas.” Le partage de l’eau, dès cet hiver a posé de sérieux problèmes, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. La délégation est totalement réglementaire, confie encore Valérie Renet. Mais le syndicat à vocation unique des deux communes a accepté le risque de la projection du nombre de journées skieurs qui, en fait, considère que, jusqu’en 2040 compris, l’enneigement, sera stable. C’est un vrai risque. Il y a un aléa climatique réel. Il y a un aléa climatique mais la projection de fréquentation reste malgré tout stable sur la totalité de la durée. C’est une contradiction que nous pointons. Il n’y a non transcription de l’aléa”. Sans oublier que par le passé, le suivi de la délégation a été “lacunaire”.

La chambre a pris les hypothèses pessimistes concernant le réchauffement climatique ; Altiservice les plus optimistes”

Interrogé, Alain Luneau, maire de Font-Romeu et président du Sivu souligne : “Nous acceptons les conclusions de ce rapport. La chambre a pris les hypothèses pessimistes concernant le réchauffement climatique ; Altiservice les plus optimistes. Chacun a des arguments laissant libre cours à interprétation.” Alain Luneau apporte aussi un éclairage sur le devenir des superstructures dédiées, télésièges, notamment, à la fin possible fin de l’exploitation de la station, faute de neige.

“L’ONF, propriétaire, demandera peut-être de garder les superstructures pour accéder au domaine, même sans neige…”

Alain Luneau, maire de Font-Romeu. DR

Le président du Sivu renchérit : “La CRC dit que nous n’avons pas prévu financièrement le démontage des télésièges et autres superstructures. Je ne sais pas ce qu’il en sera en 2047, dernière année de la concession à Altiservice. Mais l’ONF qui possède le domaine demandera peut-être de les garder pour accéder au domaine même sans neige, même sans ski, juste pour accéder aux restaurants d’altitude ou aller se balader sur des sentiers ou aller participer à une animation, ce que l’on appelle un début de station des quatre saisons.”

Et de conclure : “La transition écologique due au climat va intervenir et c’est l’économie générée par le ski qui va le payer. Le ski va disparaître doucement ; donnons-lui le temps de le faire en douceur, le temps qu’apparaisse son successeur…

30 stations dans une “enquête montagne” nationale

Ce nouveau contrôle de la gestion de la station de ski de Font-Romeu s’inscrit dans un ensemble beaucoup plus vaste qui fera l’objet d’un rapport global public thématique en 2024. Les conclusions dédiées à la station pyrénéenne prendront toute leur place au milieu d’un panel d’une trentaine de stations françaises auscultées par différentes CRC régionales. Des Pyrénées. Des Alpes. Et du Massif Central. « On est en train de dérouler un certain nombre de contrôles dans le cadre d’une formation interjuridictionnelle (Fij) regroupant les CRC d’Occitanie, Paca, Ara (Alpes du Nord) et Massif Central », précise la presidente de la CRC Occitanie

La CRC d’Occitanie avait déjà publié un rapport il y a quelques années pointant une nécessaire fusion de certaines petites stations de ski pour atteindre une masse critique les portant vers des économies d’échelle. Ce sera d’ailleurs, peut-être, l’une des recommandations convergentes issues de cette “enquête montagne” ? Vers davantage de mutualisation, de regroupements, en proposant des offres intégrées.

Olivier SCHLAMA

  • Contrôle insuffisant. “Le contrôle exercé sur le délégataire a été largement insuffisant sur l’ensemble de la période contrôlée, pour ce qui concerne le contrat 2004-2022 (rapports annuels incomplets, évolutions tarifaires non approuvées par le conseil syndical, inventaires non suivis et actualisés, décalages dans la perception des redevances contractuelles). En réponse, le SIVU a indiqué avoir missionné un cabinet en fin de période afin de “l’assister dans la mission visant à reconstituer l’équilibre économique du contrat […] et à bâtir un nouveau cadre de contrôle et de nouvelles maquettes financières”.
  • Assurer la “skiabilité”. “La chambre constate néanmoins que la nouvelle DSP a été lancée sans vérification de la complétude de l’inventaire proposé, que le Sivu compte réaliser à partir de 2023. Les investissements portés par le Sivu durant la période de contrôle se sont caractérisés par le souhait d’assurer la “skiabilité” du domaine par l’apport de la neige de culture. Ceux-ci n’ont pas contribué à désendetter le syndicat en fin de période d’affermage. Enfin, l’équilibre prévisionnel du contrat n’a pas été respecté du fait d’une surestimation initiale des charges et des produits. Toutefois Altiservice a dégagé un excédent brut d’exploitation positif dans la période sous contrôle, hors crise sanitaire et hors 2016.”

510 canons à neige, 38 413 lits touristiques

Le domaine skiable de Font-Romeu Pyrénées 2000 se situe principalement sur les territoires de deux communes : Font-Romeu et Bolquère qui font partie de la communauté de communes Pyrénées-Catalanes (CCPC), laquelle comptait 5 953 habitants en 2019 et 19 communes. Son territoire comprend sept stations de sports d’hiver : Les Angles, Font-Romeu Pyrénées 2000, Formiguères, La Quillane, Le Cambre d’Aze, Puyvalador, domaine de la Llose. La station s’étend entre 1 700 et 2 213 mètres d’altitude et compte 42 pistes de ski alpin totalisant 42 kilomètres et une surface de 110 hectares. Elle est également de 111 kilomètres dédiés à la pratique dite nordique, comprenant 17 pistes de ski nordique et trois voies blanches.

Neige, raquette, montagne, Pyrénées. Photo : Olivier Schlama

Le domaine comporte 510 enneigeurs alimentés par une usine à neige fonctionnant grâce à un prélèvement d’eau dans la retenue des Bouillouses, selon une autorisation donnée par convention avec la Société HydroElectrique du Midi (groupe Engie), gestionnaire du barrage éponyme. Il est patent que la disponibilité durable de la ressource en eau est vitale pour le fonctionnement de ces installations. La station compte 24 remontées mécaniques, dont une télécabine et huit télésièges, correspondant à un débit de 36 783 skieurs/heure et à 5 132 moments de puissance. Font-Romeu-Odeillo-Via et Bolquère totalisent 2 658 habitants7 et 38 413 lits touristiques.

Principales charges d’exploitation

Les rapports annuels produits sur la période ne détaillaient pas la composition des charges d’exploitation. Cependant, les comptes des charges d’exploitation ont été communiqués par Altiservice à la demande de la chambre.

Les charges de personnel représentaient plus de 38 % sur la période 2015-2019 des charges d’exploitation (4,7 M€ en 2019). Les effectifs globaux ont été assez constants depuis 2018 soit 209 agents permanents ou non permanents à fin février 2022. L’intéressement salarial, calculé sur l’ensemble du chiffre d’affaires de la société Altiservice, a bénéficié aux salariés du périmètre de la délégation à hauteur de plus de 179 000 € en 2019.

Font Romeu. Photo : Office du tourisme.

Les autres dépenses d’exploitation comprenaient les frais généraux, les charges de locations des matériels et crédit-bail (dont engins) ainsi que les dépenses de promotion de la station. Elles ont évolué de 10 % entre 2015 et 2019.

Les autres achats ont augmenté de plus de 40 % entre 2015 (756 000 €) et 2019 (1 M€). Ils ont correspondu aux achats de fournitures non stockées et de consommables comme le carburant, l’eau pour la production de neige (les dépenses pour ce poste ont varié, sur la période de contrôle, entre 65 000 € HT, plancher en 2015 et 168 000 € HT, plafond en 2016).

Avec un point de vigilance pour les autorités concédantes, pour la DSP 2022-2047
Les charges indirectes refacturées par Altiservice ont été réparties entre ses différents contrats selon le poids de chacun et ont été constantes entre 2016 et 2018 selon le calcul réalisé par le cabinet conseil du Sivu : elles correspondaient ainsi à 3,5 % du chiffre d’affaires en 2018.

Les réponses au rapport de la CRC

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Document PDF 2
Document PDF
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