Un berger vient d’être attaqué et 56 brebis sont mortes pour échapper à un ours. C’est dans ce contexte qu’un vaste projet de conservation de l’ours est mis en route. Réensauvagement du territoire, subtilisation de la montagne par le prédateur… C’est la lecture très critique du projet Life Ours Pyr des élus départementaux de l’Ariège et de la chambre d’agriculture, furieux d’en avoir appris la conception par hasard et qui en demandent à Macron le retrait. “Plus il y aura des ours moins il y aura des troupeaux et des hommes”, alerte Christine Téqui, présidente du conseil départemental de l’Ariège.
“Peut-on, comme les ours à problèmes, établir un profil des requins dangereux et imaginer prélever les plus dangereux… ?“ Emmanuel Macron n’était évidemment pas dans les Pyrénées quand il a prononcé cette phrase lors de la visite d’un centre de recherche à 19 000 km de là, à Moorea, en Polynésie, comme Dis-Leur vous l’a narré. Mais pensait-il au courrier envoyé cinq jours plus tôt, le 23 juillet, par les conseillers départementaux de l’Ariège, en colère contre un vaste plan pro-ours qui doit être prochainement lancé par ses propres services ?
“Un succès biologique…”
Ce projet explosif qui veut mettre la France en conformité avec la doxa européenne sur le sujet, intervient dans un contexte où le nombre de plantigrades n’a jamais été aussi important, comme nous vous l’expliquions il y a quelques semaines. “C’est un succès biologique”, avait résumé Alain Reynes, directeur de l’association. De zéro ours dans les Pyrénées centrales en 1996, le réseau ours de l’Agence de la biodiversité en a comptabilisé au moins 64 en 2020.
“Un plan de sauvegarde élaboré en grand secret…”
Sera-t-il maintenu à moins d’un an de la présidentielle et en pleine crise de confiance envers le pouvoir ? Alors que l’Europe ne cesse de rappeler la France à l’ordre sur l’obligation de remplacer les ours tués en 2020. Et alors même que Macron avait, le 14 janvier 2020, à Pau, devant la profession agricole élue du Massif des Pyrénées, affirmé vouloir le retrait des ours les plus prédateurs et la mise en place d’instances locales de gouvernance dotées de réels pouvoirs de décision.
En tout cas, les élus ariégeois, qui demandent le retrait pur et simple de ce plan “élaboré en grand secret”, n’ont toujours pas reçu de réponse de la part du chef de l’État. Et, malgré nos sollicitations, ni la présidence de la République ni la Dreal, le service déconcentré de l’Etat du ministère de l’Ecologie, ne nous ont répondu. Personne ne sait si ce dossier a été ou non déposé auprès de la Commission européenne.
“La cohabitation entre ours et pastoralisme est une utopie”
Dans ce courrier au président de la République auquel se sont joints Philippe Lacube, président de la chambre d’agriculture et Alain Servat, président de la Fédération pastorale – une association d’éleveurs -, les élus ariégeois, qui “avancent ensemble”, interpellent Macron sur “les difficultés rencontrées par les éleveurs dans nos Pyrénées Ariégeoises liées à la présence d’ours de plus en plus nombreux d’année en année. La cohabitation entre l’ours et le pastoralisme est une utopie à laquelle certains, très éloignés de notre territoire ou totalement étrangers au métier d’éleveur, voudraient nous faire croire” (…)
Le pastoralisme est attaqué tous les jours ; vendredi, il y a eu un déroctage – une partie d’un troupeau de brebis, poursuivie par des prédateurs, tombe dans un précipice -, par exemple…”
Christine Téqui, présidente du département de l’Ariège
Ils débutent leur missive par un problème sérieux de forme et un “affront” dû à “déni de démocratie” : “Nous en avons eu connaissance par le plus grand des hasards : le dossier “trainait” sur un bureau et la Dreal n’avait pas l’intention d’en parler ; cela a ensuite pris un certain temps pour que l’on ait un peu d’info et encore c’était sous la forme d’un résumé de six pages alors que le dossier en fait 206″, affirme Christine Téqui, présidente PS du département.
“En voyant que la pression montait, ajoute-t-elle, la Dreal a organisé une réunion de présentation le 12 mai. Ce Life Ours acte clairement pour les années prochaines la cohabitation hommes-ours. Or, on constate que le pastoralisme est attaqué tous les jours ; pas plus tard qu’aujourd’hui (vendredi), il y a eu un déroctage – une partie d’un troupeau de brebis, poursuivie par des prédateurs, tombe dans un précipice -, par exemple ; nous avons un nombre important de brebis attaquées.” Un ours aurait également pourchassé un berger à Saint-Lary, le 4 août. Un acte rarissime et “inquiétant” (1). Qui fait dire à Alain Servat que “la situation est compliquée” . Pour le président de la Fédération pastorale, il faut déjà parer à l’urgence : non seulement un berger, et un berger expérimenté, a été attaqué par un ours mais non loin de là 56 brebis sont mortes hier dans un “dérochement”, effrayées par un autre ours. Et dans ce dossier on ne nous propose rien d’autre que multiplier par deux la population d’ours ! Il y a urgence n’en rajoutons pas !”
“Une vision très parisienne et très éloignée du terrain”
La présidente précise : “Le but de ce projet Life Ours c’est, résume en lisant le rapport, Christine Téqui, de leur assurer une reproduction saine ; favoriser les couloirs pour que les ours circulent facilement entre zones est et ouest ; et toute une partie – c’est honteux – améliorer les échanges de populations ; prolonger la dynamique de croissance des populations d’ours en lui donnant accès au territoire ; augmenter l’attractivité des habitats en rive droite pour inciter les jeunes femelles à s’y établir… Et quand il est dit qu’il faut réintroduire les groseillers en montagne, mais l’ours, s’il y a des brebis, il va les préférer aux groseilles ! Tout est comme ça sur 206 pages.”
Christine Téqui commente encore : “C’est une vision très parisienne et très éloignée du terrain… Ils veulent également planter des arbres “farineux”, on a compris que c’était des hêtres, bon, mais avec la masse de forêts que nous avons… Il faut savoir aussi qu’avec ce budget de 8 M€, il y a des services de l’Etat comme l’ONF (Office national des forêts), l’OFB (Office français de la biodiversité) associés… J’ai mis des post-it partout…”
“Embrigadement et aculturation des élus”
Ce n’est pas tout. Il y a une formulation qui ne passe pas du tout : le projet parle “d’aculturation des élus et des populations”, pointe Christine Téqui. “Il y est expliqué que pour arriver à l’acceptation de l’ours dans les territoires, ils vont passer par deux phases : la première c’est de l’embrigadement (ce qu’ils appellent de “l’éducation à l’environnement”) mais ils sentent que ça va prendre 10 ans ou 15 ans, le temps que les jeunes qui sont visés par ce programme soient matures… Et ensuite faire aussi de l’aculturation des élus !”
Supercherie construite autour d’une manne financière européenne de 8 M€”
Sur le fond encore, ce dossier est, enfoncent les élus dans leur lettre à Macron, “une supercherie construite autour d’une manne financière européenne de 8 M€. Sous prétexte d’une meilleure protection des troupeaux face aux attaques répétées des grands fauves, rien d’original n’est posé par rapport à ce qui est déjà fait depuis des années en vain, à l’exception de quelques gadgets aussi puérils qu’ils seront inopérants“, dit encore le courrier au président. “Les prédateurs surprotégés depuis trop longtemps ont perdu toute notion de crainte vis-à-vis de l’homme. En l’absence de véritables actions visant à les éloigner des troupeaux, ils s’adapteront toujours pour contourner facilement ces dispositifs de protection trop passifs”.
Comme les requins à la Réunion…
Cette affaire c’est, avance Christine Téqui, “comme le requin à la Réunion qui va peu à peu subtiliser la mer puisqu’ils sont là et bien là… De la même manière, j’ai l’impression que l’ours va subtiliser la montagne. L’objectif ? Permettre un réensauvagement de 10 % du territoire, comme si c’était le summum de la biodiversité ; ce que je ne pense pas. Un jour, ce ne sera plus possible. Imaginez que certains éleveurs ne sont pas remonté cette année sur les estives [de peur de l’ours, Ndlr] ! Là plus question de faire de la randonnée : il n’y aura même plus de chemins…”
Olivier SCHLAMA
Colliers ultrasons, GPS, bergers experts…
Dans cet épais dossier que nous avons consulté, il est question de pérenniser l’ours dans le massif des Pyrénées.
Pour cela, il s’agit “d’analyser les mécanismes de déprédation sur les animaux domestiques pour améliorer la protection des troupeaux” ; mettre en place un “réseau de chiens de protection” ; d’un “effarouchement automatique” ainsi qu’une médiation territoriale” et d’un “centre de ressources sur l’ours”. Ce n’est pas tout.
Evaluer l’efficacité du dressage…
Pour favoriser la pérennité de l’ours brun, “en danger critique d’extinction en France” et très menacé en Europe, les auteurs de ce projet de conservation proposent la création “d’un observatoire des mesures de protection ; d’équiper les brebis de colliers ultrasons lumineux pour tenir l’ours à distance ; d’équiper les brebis et les chiens de protection de colliers GPS pour “analyser leurs déplacements et évaluer l’efficacité du dressage de ces chiens”. Mais aussi d’équiper les estives pilotes de caméras thermiques “pour mieux comprendre les mécanismes de prédation”.
Espèce clef de voûte
Le catalogue de mesures se poursuit avec la volonté “d’une appropriation culturelle de la présence de l’ours” ; de la création d’un “corps” de bergers experts à même de s’approprier les résultats des différents systèmes recueillis au plus près des besoins des éleveurs et bergers et assurer leur large diffusion.”
Le dossier Life Ours Pyr rappelle que l’ours est une espèce emblématique des endémismes de la faune et la fore des Pyrénées ; c’est aussi une espèce “parapluie” : “Sa conservation exige celle de ses larges habitats et par là même de nombreuses espèces animales et végétales. C’est enfin une espèce “clef de voûte : au sommet de la chaîne alimentaire, l’ours interagit avec de nombreuses espèces et la prédation pourrait même potentiellement contribuer au contrôle des maladies (…)” Le plantigrade consolide “la présence d’espèces nécrophages elles aussi menacées comme le vautour ou les rapaces, en danger, grâce à l’apport de nouvelles carcasses”.
O.SC.
Attaque d’ours sur un berger : “L’échec de la protection passive…”
Pour la fédération nationale ovine, c’est “l’échec de la protection passive. Le gouvernement doit gérer sa population d’ours, pour garantir la sécurité des personnes et des troupeaux”, dit-elle dans un communiqué.
“Sur les hauteurs du village de Saint-Lary à l’estive de l’Estremaille en Ariège, dans la nuit du 3 au 4 août, est-il précisé, un ours a poursuivi un berger après avoir attaqué ses brebis. Le troupeau était à moins de 50 mètres de la cabane. En voyant le berger, l’ours a laissé les brebis qu’il poursuivait et l’a chargé. Ni le feu, ni les lumières, ni les chiens ne l’ont arrêté. Le drame a pu être évité car la cabane à proximité a permis à ce berger expérimenté de s’y réfugier.”
“Une question de sécurité publique”
Pour Franck Watts, responsable du dossier Ours à la Fédération Nationale Ovine : “En avril 2021, l’ours attaquait pour la première fois en bergerie. Cette semaine, l’ours attaque pour la première fois un berger. Jusqu’où faut-il aller ? On ne peut que constater l’échec de la protection passive des troupeaux prônée par l’Etat et la carence en terme d’éducation de SA population d’ours. Les ours doivent avoir peur de l’homme, c’est une question de sécurité publique.”
“Pas du gibier pour les ours”…
Et d’ajouter : “Les bergers, les usagers de la montage ou les troupeaux ne sont pas du gibier pour les ours. Une nouvelle fois, la FNO demande que l’effarouchement renforcé, conduit par les agents habilités de l’Etat, soit généralisé à l’ensemble des zones de présence des ours afin de leur apprendre la crainte de l’homme et de ses activités. La FNO revendique également l’autodéfense des bergers et des éleveurs, c’est-à-dire le droit d’assurer leur sécurité en cas d’attaque d’ours. Avant que nos montagnes soient désertées, il est urgent que le gouvernement assume la responsabilité de son plan de réintroduction.”
La FNO sera présente lundi 09 août à 19 heures, à la réunion de crise organisée par la Chambre d’agriculture de l’Ariège pour “décider des actions à mener suite à cette situation invivable pour les éleveurs de montage et leurs bergers”.
dossier LIFE OURS PYRPyrénées, ours, nature, c’est Dis-Leur !
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