Emblématique de la Camargue, le flamant rose se reproduit en masse dans une zone en bonne partie domestiquée par l’homme. Ce qui pose naturellement la question : ne faut-il pas, alors que l’espèce est sauvée, moins optimiser ses conditions de reproduction par la main de l’homme ? C’est ce que prônent les scientifiques de la Tour du Valat pour trouver un “équilibre”. Et pourrait servir d’écologie du sauvage. Mais il y a tellement d’enjeux économiques…
Un vrai baby boom ! Six cents poussins flamants roses ont été bagués ce mardi 3 août 2021 sur le Salin d’Aigues-Mortes, propriété des Salins du Midi (1). Quelque 120 personnes ont participé à cette opération, en partenariat avec la Tour du Valat (2). Le baguage est devenu une étape essentielle pour l’étude des flamants : il consiste à équiper chaque poussin d’une bague sur laquelle est gravé un code unique, lisible à distance.
C’est sa carte d’identité – poids, taille – permettant aux ornithologues, répartis autour du bassin méditerranéen, zone principale des sept espèces de flamants, d’étudier ensuite “les déplacements de chaque flamant et de connaître leur durée de vie, la fréquence de leurs reproductions, leurs sites d’alimentation”, souligne Jean Jalbert, directeur de la Tour du Valat.
15 000 flamants roses adultes et 6 000 poussins
Le salin d’Aigues Mortes est devenu le premier territoire d’accueil des flamants roses depuis 2016. Cette année encore, les flamants ont choisi le Salin d’Aigues-Mortes avec la présence d’environ 15 000 flamants roses adultes et de 6 000 poussins. Toutes les conditions sont réunies : sur ce salin il y a également la production industrielle de sel de table La Baleine réalisée “dans un grand respect de la nature”, soulignent les Salins du Midi qui revendiquent de favoriser “l’accueil et la reproduction d’autres espèces protégées (avocettes, spatules…) Par ailleurs, le confinement est un des paramètres qui a contribué à cette réussite et notamment une activité aérienne nulle”.
Tout est fait pour leur tranquillité
Une situation rendue possible grâce à “un travail de fond avec la Tour du Valat” comprenant la création d’îlots artificiels, notamment. Avec une gestion rigoureuse par les sauniers des mouvements des eaux. Tout est fait pour leur tranquillité. “Tout le personnel joue le jeu en terme de circulation et de manière de travailler sur le site ; les sauniers modifient leurs itinéraires de travail ; la vitesse y est réduite…” Cette zone est devenu un sanctuaire sans aucune visite possible. Aider à la protection du flamant rose, c’est aussi profiter de son image commercialement.
Quelque 50 000 flamants roses en Méditerranée
Derrière ce tableau idyllique où prend place cet oiseau à l’indépassable d’élégance, des questionnements se font jour. Aujourd’hui, il est un très important viatique pour les activités économiques associées : riz, vins excursions touristiques, campings… “On compte entre 45 000 et 50 000 flamants roses sur les côtes méditerranéennes, entre avril et août”, précise Jean Jalbert. Ce sont des oiseaux complexes, capables de faire 200 km dans la journée pour se nourrir ; nomades, ils ne se reproduisent pas forcément chaque année ; ils sont relativement farouches et ont besoin de grands espaces ; il en existe sept espèces dont certaines en Afrique du Sud et en Inde…
La place du flamant rose nous interroge sur notre rapport au vivant”
Jean Jalbert, directeur de la Tour du Valat
Le flamant rose est aussi l’emblème de l’engouement de réensauvagement de nos territoires. Où il y a lieu de s’interroger. “La place du flamant rose nous interroge sur notre rapport au vivant. Et sur la coexistence entre l’homme et le reste du vivant. Il y a un paradoxe, en effet, reconnaît Jean Jalbert. Nous sommes dans un territoire, le Delta du Rhône et la Camargue, domestiqués par l’homme, avec des endiguements du Rhône ; l’eau y est pompée savamment, avec des ouvrages hydrauliques…” Il ajoute : “Il y a un paradoxe avec cette image d’Epinal sur la liberté du flamant rose que l’on a poussé à se reproduire dans une zone artificielle, au début sur l’étang du Fangassier et aujourd’hui, sur les salins d’Aigues Mortes.” Mais, c’était à l’époque, dans les années 1970, le passage obligé pour sauver l’espèce d’extinction.
Frédéric Mistral et les “pillards de nids”...
L’espèce est connue depuis la nuit des temps. Mais au début du 20e siècle, déjà, on retrouve les prémices d’un questionnement. “On a retrouvé une inscription sur laquelle Frédéric Mistral, en 1913, dénonçaient les “pillards de nids”... (2). L’intervention de l’homme sur les flamants est très compliquée ; c’est une espèce très vulnérable : si on intervient à proximité, ils peuvent fuir et renoncer. En 1963, lors d’un tournage d’un documentaire, même pas une silhouette de flamand n’avait été filmée, par exemple.” La relation entre l’homme et cet oiseau l’est tout autant. Du coup, la cohabitation avec les activités humaines peuvent s’en trouve problématique.
Belle image marketing
Certes, cette cohabitation avec la production de sel se passe bien. Mais, depuis les années 1980, le flamant aime s’inviter dans les rizières inondées, causant des dommages parfois importants qui créent des tensions avec les riziculteurs qui n’en sont d’ailleurs pas indemnisés. C’est compliqué parce que les riziculteurs utilisent commercialement et pour leur marketing la belle image porteuse du flamant et pestent contre ces dommages.
Cohabitation problématique avec les riziculteurs
Dans les années 1960, on comptait 30 000 hectares de rizières et peu ou pas de flamants. Depuis 1978, les dégâts ont commencé. Avec l’accroissement des populations de flamants, la question là aussi de la cohabitation mérite d’être posée car le problème n’est pas résolu.” On a en revanche résolu l’énigme du choix qui semblait aléatoire des rizières endommagées. “Le flamant a besoin d’une grande étendue, sans haies qui pourrait lui boucher la vue sur l’arrivée d’un prédateur. C’est dans ceux-là qu’il choisit d’aller pour se nourrir des semis.“
“Faire avec la nature plutôt que sans elle”
Cet oiseau arrive aussi à point pour inventer ce que Raphaël Mathevet, écologue, directeur de recherche au centre d’écologie fonctionnelle et évolutive du CNRS à Montpellier, aujourd’hui une “écologie du sauvage” : “Faire avec la nature plutôt que sans elle”, définit Jean Jalbert. en gros, une nature qui cherche à conserver le potentiel d’une espèce et de son milieu pour en garantir sa pérennité.
C’est aussi pour cela que le flamant rose est une zone – un delta du Rhône très artificialisé pour contrôle le fleuve ; les eaux de la Méditerranée et la salinité des sols ; une Camargue pâturée par des taureaux domestiqués… – qui peut servir de modèle dans cette écologie du sauvage. Ce qui pose aujourd’hui la question, paradoxe dans le paradoxe, de continuer ou non d’aider le flamant rose à se reproduire sur une zone dédiée alors qu’il est lui-même nomade et sauvé de l’extinction ?
“Nous prônons un équilibre…”
“La question nous nous la posons depuis dix ans”, exprime Jean Jalbert. A la Tour du Valat, nous prônons un équilibre et de moins optimiser les conditions de reproduction du flamant”. Mais il n’y a pas unanimité. Pour les acteurs économiques et touristiques ce rassemblement de milliers d’oiseaux au teint rosé est une aubaine pour l’économie locale. Et ne voudrait pas spécialement d’une reproduction clairsemée, éparpillée aux quatre coins de la Camargue… Voire pas de reproduction systématique année après année.
“Quand on protège le flamant rose, on protège toutes autres sortes d’espèces”
En clair, c’est bon pour les affaires. De la même manière, ce site de reproduction aux salins d’Aigues-Mortes est géré par les Salins du Midi, un privé qui a repris le flambeau des scientifiques et naturalistes d’origine. Le flamant doit pour eux rester une attraction et une valorisation de leur image. “Leur recette est éprouvée : la création d’un îlot avec beaucoup de place ; un substrat qui leur convienne pour faire leur nid.” Et de conclure : “Quand on dézoome, ce qui me frappe c’est l’extinction du vivant. Quand on protège le flamant rose, on protège toutes autres sortes d’espèces. On montre son intérêt pour le monde du vivant. La question la plus fondamentale, c’est le rapport entre l’homme et le vivant…”
Olivier SCHLAMA
(3) La citation de Frédéric Mistral en 1913 : “Hélas! Depuis quelques années, d’infâmes pillards ont pris l’habitude, après avoir enlevé un certain nombre d’œufs, bien payés par les collectionneurs et les musées d’Histoire naturelle, de saccager tous les nids, pour le seul plaisir de détruire. Si aucun pouvoir n’intervient, le temps n’est pas loin où le dernier flamant aura disparu de Camargue et notre faune méridionale aura perdu l’un de ses plus rares spécimens.”
Plus de 40 ans de baguages
Le baguage fait partie d’un programme d’études initié dès la création de la Tour du Valat en 1954, et fortement structuré à partir de 1977 avec le marquage annuel de plusieurs centaines de poussins. Ce programme est aujourd’hui mené conjointement en France, en Espagne, en Italie, en Turquie, en Algérie et en Mauritanie dans le cadre d’un réseau international.
Plus de 700 000 lectures de bagues aux quatre coins du bassin méditerranéen ont ainsi permis de mieux connaître le comportement migratoire et de dispersion de cette espèce étonnante. Des mesures de conservation adaptées au contexte local et aux besoins de l’espèce ont pu être mis en place grâce à l’action conjuguée des chercheurs et des gestionnaires des zones humides consolidant aujourd’hui les effectifs des populations de flamants roses à un niveau satisfaisant pour la sauvegarde de l’espèce.
Les flamants roses, ambassadeurs des zones humides
Lagunes, estuaires, deltas, marais, lacs, étangs, ruisseaux… Les zones humides sont parmi les milieux les plus productifs du monde et fournissent des ressources et des services essentiels. Ce sont aussi de véritables réservoirs de biodiversité. Pourtant ces 50 dernières années, environ 35 % des zones humides ont été détruites. Les pressions sont particulièrement fortes sur les zones humides littorales, lieu de vie des flamants roses. Ces oiseaux emblématiques, inféodés aux lagunes peu profondes d’eau saumâtre et salée, affectionnent particulièrement les salins. Ils restent donc une espèce vulnérable, la plupart des zones humides dont ils dépendent étant menacées.
Pour aider le réseau d’observateurs en Méditerranée à poursuivre leurs efforts pour la sauvegarde de cette espèce emblématique et les zone humides qui les accueillent, il est possible “d’adopter un flamant” sur le site monflamant.com, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Déjà plusieurs centaines de “parrains” ont fait cette démarche.
O.SC.
(1) Le groupe Salins est le leader du sel, avec des marques emblématiques comme La Baleine et Le Saunier de Camargue, produit indispensable à notre vie par ses 14 000 utilisations. En décembre 2013, le salin d’Aigues-Mortes a obtenu le prix de la meilleure gestion de site en matière de biodiversité délivré par le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie et l’Ademe.
(2) La Tour du Valat, Institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes, créée il y a plus de 65 ans par Luc Hoffmann, a pour vocation de mieux comprendre les zones humides pour mieux les gérer. Convaincue que ces milieux menacés ne pourront être préservés que si activités humaines et protection du patrimoine naturel vont de pair, la Tour du Valat développe depuis de nombreuses années des programmes de recherche et de gestion intégrée qui favorisent les échanges entre usagers et scientifiques, mobilise une communauté d’acteurs et promeut les bénéfices des zones humides auprès des décideurs.
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