Pyrénées : La réintroduction de l’ours depuis 25 ans, un “succès biologique”

Une population évaluée à 64 ours dans les Pyrénées. Photo d'archives D.-R.

Depuis Melba, la présence de l’ours dans les Pyrénées est une réussite : la population est aujourd’hui de 64 plantigrades contre zéro en 1996 en Pyrénées centrales. Mais il manque des reproducteurs. Selon l’association Pays de l’Ours-Adet, l’opinion publique est favorable à cette présence. Point noir, “l’escalade de la violence des opposants”.

C’est une histoire qui commence mal, avec l’introduction dans les Pyrénées ariégeoises le 6 juin 1996 puis la mort de l’emblématique ourse Melba le 27 septembre 2017. Elle se termine – provisoirement – par l’observation de trois naissances d’oursons, une première depuis 50 ans mis au monde par l’ourse Sorita il y a quelques semaines.

Vingt-cinq ans après que les pionniers eurent lancé cette aventure alors que c’était une affaire mineure en France, l’association Pays de l’Ours-Adet – plus de 1 100 adhérents, 200 000 € de budget dont la moitié issue des adhésions, des prestations et des ventes de livres, le restant en subventions – en a dressé un bilan exhaustif. Ainsi que de la politique contrastée de réintroduction de cet animal ô combien emblématique d’une “nature préservée” et de la prise de conscience d’une reconquête de la biodiversité.

“En 2021, une petite quinzaine de femelles sont susceptibles d’avoir des oursons et on peut espérer en détecter de nouveau neuf portées…”

Une ourse et son ourson. À Bordes-Uchentein. Photo : OFB. Équipe Ours, Réseau Ours Brun.

“C’est un succès biologique”, a résumé Alain Reynes, directeur de l’association. De zéro ours dans les Pyrénées centrales en 1996, le réseau ours de l’Agence de la biodiversité en a comptabilisé au moins 64 en 2020. “Ce sont des chiffres provisoires à consolider”, a-t-il précisé. “Aujourd’hui, les Pyrénées occidentales comptent trois ours, les Pyrénées centrales 59 spécimens. Et en 2021, une petite quinzaine de femelles sont susceptibles d’avoir des oursons et on peut espérer en détecter de nouveau neuf portées. Au total, 15 oursons sont espérés, dont trois sont dont déjà détectés.” Alain Reynes a aussi précisé que ce “succès biologique” se caractérise par 101 oursons nés en 56 portées en 25 ans, dont 60 vivants en 2020 (dont 6 sont morts dans l’année). La croissance annuelle de la population est de 10,96 %.

Il faudrait 50 spécimens reproducteurs

Ours adulte, 15 septembre 2019. Photo : caméras automatiques de l’agence de la biodiversité.

Mais cette population d’ours présente “une fragilité génétique : en effet, en 2017 nous ne comptions que 3,6 individus reproducteurs”. Et même si ce chiffre a sans doute un peu augmenté depuis, on est encore loin des 50 individus reproducteurs nécessaires pour stabiliser cette population et quelle soit “saine” et “viable” à long terme, en évitant des problèmes de consanguinité et un appauvrissement génétique préjudiciables. Il faudrait donc, selon l’association Pays de l’ours, “relâcher a minima six femelles, comme le stipulaient les recommandations de spécialistes en 2013 ; depuis, seulement un mâle et deux femelles ont été réintroduits. “Idéalement, il en faudrait 13 femelles et 4 mâles. Tout retard induira un besoin d’intervention plus important”.

“Acceptation claire et constante depuis 25 ans de la présence de l’ours dans les Pyrénées”

Alain Reynes, directeur de Pays de l’Ours

Alain Reynes a souligné “une acceptation claire et constante depuis 25 ans de la présence de l’ours dans les Pyrénées”, sondages à l’appui (autour de 80 %). En clair, l’opinion publique est de notre côté. Et d’ailleurs, cela rejoint une autre donnée tendant à prouver que l’ours, farouche, n’est pas dangereux. Sur 255 rencontres avec des promeneurs, Alain Reynes l’assure : “Il n’y a eu aucune attaque envers l’homme entre 1996 et 2020”. Par ailleurs, dans la grande majorité des cas, l’ours prend la fuite devant l’homme, assure-t-il encore. Sur la politique de remplacement des ours tués de la main de l’homme, 59 % des Français interrogés y sont favorables contre 58 % dans les départements pyrénéens.

“L’ours ne tue que quelques centaines (3 %) des 25 000 brebis, ce qui donne lieu à une indemnisation des éleveurs qui va jusqu’à 97 %”

Ours brun à Bordes-sur-Lez. Photo : caméras automatiques de l’agence de la biodiversité.

Toujours très habilement, Alain Reynes a démontré que la “cohabitation pastorale” se passe très bien. “L’ours ne tue que quelques centaines (3 %) des 25 000 brebis, ce qui donne lieu à une indemnisation des éleveurs qui va jusqu’à 97 % d’indemnisation, même si souvent il n’est pas prouvé que leurs brebis ont été tuées par un ours”. Pays de l’Ours-Adet dénonce aussi le système d”indemnisation qui est une “assurance tout risque du pastoralisme car on ne connaît pas systématiquement les causes de la mort des animaux d’élevage ; il suffit que le troupeau soit dans le territoire de vie des ours”. Ce n’est pas tout.

Le chien patou, “la clé de la cohabitation”

Le message de Pays de l’Ours, c’est : protéger votre troupeau. Comment ? Avec un chien patou, ça fonctionne ! “En 2017, en Ariège, selon la préfecture, 82 % des dégâts d’ours étaient concentrés sur 10 estives non protégées par un patou.” Avec un patou, seulement sept brebis ont été “prédatées”; sans ce chien, 33 brebis. Ces études sur l’efficacité “toutes causes confondues” du patou, qui ont été menées sur 30 exploitations, montrent que 4 brebis ont été sauvées sur un troupeau de 320 bêtes et 8 sur un troupeau de 863 brebis. Globalement, sept brebis sont sauvées chaque année. L’étude a porté sur cinq ans avant le recours au patou et cinq ans après son arrivée qui est la “clé de la cohabitation”.

La présence de l’ours crée… 500 postes de bergers

La polémique reste vivre autour de la réintroduction des ours dans les Pyrénées… Photo D.-R.

Il ajoute : “Il y a davantage de brebis sauvées par les patous que de brebis tuées par les ours.” Et même si ce ne sont pas les mêmes, cela prouve toute l’utilité de se munir de ces chiens imposants, capables de faire fuir un plantigrade. L’association précise d’ailleurs avoir saisi le tribunal administratif pour non transmission des données d’indemnisation. L’association rappelle aussi les “bienfaits” de la présence de l’ours : “Les millions d’euros d’aides versés chaque année pour améliorer et restaurer les cabanes de berger ; payer des équipement de communication en matériels solaires ; créer des sanitaires décents… Chaque année, ce sont près de 500 postes de bergers qui sont créés, 500 emplois !”

“Impunité et escalade de la violence”

L’association ne pouvait pas faire l’impasse sur ce qu’elle appelle “l’impunité de certains opposants. Il y a au moins dix affaires depuis trois ou quatre ans qui n’ont donné lieu à aucune mise en examen. Des menaces sur des agents ; un incendie de véhicule, etc. Sans parler d’un ours abattu par balles il y a bientôt un an, un fait grave dont nous n’avons aucune nouvelle ; l’ours tué n’ayant toujours pas été remplacé”. Elle dénonce une “escalade de la violence”. Et : “Le plan ours datant de 2018 est certes incomplet mais il n’est toujours pas respecté et “il n’y a pas de politique de valorisation de la présence de l’ours”.

Pour l’instant, en terme de rapports de force, nous sommes sur une bicyclette quand les opposants filent, eux, en TGV…”

Corinne Lepage

Ancienne ministre de l’Ecologie, Corine Lepage a commenté ce bilan en “regrettant n’avoir pas pu faire davantage pour l’ours et que certains de ceux que nous avions introduits soient morts” quand elle était au pouvoir de 1995 à 1997. Celle qui a rendu possible le premier relâcher en 1996, a soulevé un problème de fond : “Nos concitoyens n’avaient pas pris conscience de l’importance de la biodiversité. On a dix ans de retard par rapport à la prise de conscience sur le climat. Or, la réintroduction de l’ours n’est pas une lubie écolo.” Dénonçant la “bienveillance de l’Etat vis-à-vis du monde de la chasse et des prédateurs. Ce combat pour l’ours s’inscrit dans l’histoire. Mais pour l’instant, en terme de rapports de force, nous sommes sur une bicyclette quand les opposants filent, eux, en TGV…”

Ancien ministre également (2004-2005), Serge Lepelletier a eu, lui, à gérer la mort de l’ourse Cannelle le 1er mars 2004, “le dernier ours de souche pyrénéenne” qui restait en Béarn.Après quoi, il s’est rendu sur place, monter la montagne “pour ressentir la nature liée à l’ours (…)” Il a ajouté : “On ne peut pas interdire la chasse mais il faut le faire dans les règles. “On m’avait dit en 2004 qu’il fallait au moins 30 ours dans les Pyrénées, avec cinq lâchers par an pendant cinq ans. On en est à une population de plus de 60 individus, c’est une bonne chose…”

Olivier SCHLAMA

Pyrénées, ours, nature, c’est Dis-Leur !