Portrait : Destins croisés de deux amis globe-trotters, avec Sète en port d’attache

Nicolas Kassianidès, 3e debout en partant de la gauche, a joué au FC Sète. Ph. DR

Jean Touboul et Nicolas Kassianidès, sont les “meilleurs amis du monde”. L’un vient d’être nommé patron en Inde, de Pernod-Ricard, le numéro 2 mondial des spiritueux ; le second Consul général de la France à Jérusalem, le lieu le plus tellurique, le plus chaud du Globe. L’Île Singulière est un “socle fort”.

Sauvé ! Il a fait la Saint-Louis en junior qui, à Sète, a valeur d’imprimatur à vie : “Ça a fait un “bouquet”, mais il l’a faite !”, plaisante Bernard Touboul, à propos de son frère Jean, 45 ans, et ci-devant nouveau patron de Pernod Ricard en Inde, un marché à très haut potentiel de croissance – le 2e mondial pour Pernod Ricard, avec 15 % du chiffre d’affaires et où est produit un tiers des volumes du groupe -, pour le numéro deux mondial des spiritueux. Et ce, après avoir été en poste à Paris et patron en Asie de la société à Singapour, Taiwan, Corée. Issu de la fusion en 1975 entre les deux sociétés, le groupe représente plus 12 milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploie 19 000 salariés dans le monde. Ricard avait, à l’origine, été créée à Marseille.

L’un fabrique des boissons anisées, le second démêle le “pastis” de situations difficiles

Jean avec son frère Bernard Touboul. DR.

Simple, accessible, formé dans le creuset culturel sétois, pas avare de “déconnades” et de joies simples autour d’un “apéro où l’on refait le monde“, qui suit une trajectoire d’une réussite exotique comme celle de “Kassia”, “avec qui on forme presque une famille maintenant ; nos mères sont même elles aussi devenues les meilleures amies du monde”, amorce Jean Touboul. “Kassia”, c’est Nicolas Kassinidès, lui aussi sétois : c’est le nouveau boss du Consulat général à Jérusalem, Macron – dont il dépend directement avec la ministre des Affaires étrangères – ayant signé le décret début août. Des deux amis, l’un fabrique des boissons anisées, le second passe son temps à le démêler le “pastis” de situations difficiles.

De la Fête des pêcheurs au Saint-Sépulcre !

Nicolas Kassianidès devant le minaret Al Hadba, détruit par Daesh. L’Unesco est en train de le reconstruire « sur une initiative que nous avons lancée avec Audrey Azoulay ». DR.

Il y représente depuis trente-six heures la France à Jérusalem, la Cisjordanie et Gaza. L’endroit le plus chaud de la planète ! Nicolas Kassianidès parcourt ainsi le monde au gré de postes de la fine diplomatie internationale ; des emplois qu’il dit “utiles” à l’humanité. Osons la comparaison avec la bénédiction annuelle de la Fête des Pêcheurs, à Sète : “Au Saint-Sépulcre, à mon arrivée, s’émeut-il, je vais être béni en présence des trois patriarches ! Et je vais porter l’un des derniers uniformes de la République.”

Meilleurs amis du monde, tous deux se sont connus sur les bancs de l’école Renaissance, à Sète. Ils n’ont pas de photos l’un de l’autre. Pas la peine : les souvenirs sont toujours imprimés dans leur coeur. Nicolas Kassianidès, dont le père était médecin, à Sète, n’a de cesse d’écrire ses lettres de noblesse et vient prendre les rênes du consulat de France à Jérusalem après avoir travaillé aux côtés de la directrice de l’Unesco, Audrey Azoulay ; après avoir été la plume d’Alain Juppé, entre autres.

“Sa famille et ses enfants passent avant tout”

Jean Touboul en famille. DR.

Papa de trois enfants, Jean Touboul, le matheux, a, lui, un parcours tout aussi exemplaire. Bac S au lycée Paul Valéry, à Sète, classes préparatoires à Joffre, à Montpellier ; école de commerce à Paris. “Au départ, il voulait faire véto”, confie Bernard, son frangin. Et, puis, le virus familial, du commerce sans doute, l’a rattrapé. Son père, Maurice, n’était-il pas, comme son grand-père, commerçant ? Lui, exerce ce métier à un niveau mondial. C’est juste un changement d’échelle. “Mon frère sait où il veut aller. Il est décidé. Il est sûr de lui mais pas prétentieux, confie Bernard, détaché de la SNCF et qui a repris un bar-glacier à Saint-Pierre-la-Mer. En revanche, sa famille et ses trois enfants passent avant tout.”

“Les trois cultures, catholique, juive et musulmane, c’est regarder la diversité avec bienveillance…”

Reste que son défi est important : le pastis n’est pas la boisson alcoolisée la plus facile à vendre dans le monde, surtout dans les pays qui la prohibent comme il n’est pas toujours aisé non plus de vivre sa judéité dans des pays où cette religion rencontre des murs d’hostilité. “Le pastis n’est pas ce qui fait vivre le groupe, rectifie Jean Touboul, c’est 4 % de nos ventes dans le monde. Nous, c’est davantage whisky et vodka ; le Cognac, aussi. Sinon je n’ai pas été élevé dans la religion. La religion, pour moi, fait partie d’une diversité intéressante. Ma mère est chrétienne, mon père est juif et ma femme, Sandra, est musulmane…! Les trois cultures, pour moi, c’est regarder la diversité avec bienveillance…” Ce qui n’est pas le mieux partagé et, d’ailleurs, “source d’énormes problèmes” de part le monde. “La bienveillance, c’est essayer de comprendre l’autre et accepter cette différence. C’est aussi une source de résolutions de conflits énormes.” 

Mon père me disait toujours : j’ai fait une connerie en n’allant pas loin à l’école ; tu n’as pas le droit de la faire. Je suis le pur produit de l’ascenseur social”

Jean Touboul renchérit : “Avant tout, gamin, je voulais toujours être avec mon frère, Bernard, avec qui je n’ai que dix-sept mois d’écart. Quand il faisait quelque chose, je me disais que si lui pouvait le faire, moi aussi je le pouvais ! C’est comme ça que j’ai aussi pu bien travailler à l’école ; alors, c’est vrai que si l’on regarde les déterminismes, avoir une mère prof de maths, comme la mienne, c’est un atout.” Mais l’injonction paternelle a joué à plein : “Mon père me disait toujours : j’ai fait une connerie en n’allant pas loin à l’école ; tu n’as pas le droit de la faire. Je suis le pur produit de l’ascenseur social”, formule le nouveau patron de Pernod Ricard qui est marié à une Libanaise.

Nicolas Kassianidès devant le minaret Al Hadba, détruit par Daesh et l’Unesco est en train de les reconstruire sur une initiative que nous avons lancée avec Audrey Azoulay. DR.

“Sète offre un ancrage, une compréhension des autres et du monde à nulle autre pareille”

Sète, port d’attache. “Quand on vient de Sète, cela offre un ancrage, une compréhension des autres et du monde à nulle autre pareille. Pour certains, à Paris, où j’ai travaillé, il y la capitale d’un côté et la province qui, à leurs yeux, est partout identique. Moi, je suis issu d’un milieu simple, je connais les réalités.” Jean Touboul a “cette ouverture d’esprit” chevillée au coeur. Sa famille est bigarrée. Sa mère n’est-elle pas d’origine espagnole née à Casablanca ? “Je parlais espagnol avec ma grand-mère”, dit-il.

“Kassia”, d’île en île…

Nicolas Kassianidès. DR.

Sauvé aussi, “Kassia”, le littéraire ! Il a aussi, validé sa “sétorité” : “J’ai longtemps joué au FC Sète – un nom désormais malheureusement vintage… – des poussins jusqu’aux juniors ; au bar des Halles, si on regarde bien, je suis dans une photo de groupe…”, revendique-t-il. “Kassia” est un ilien : Chypre, nimbée d’une histoire difficile et compliquée, où il est né, est une île ; grandir dans un creuset, Sète, qui est elle aussi une (presque) île, où son père fut longtemps “le médecin de la Zup”. Avec une vie professionnelle faite d’exils volontaires répétés.

Quand on me voit arriver ; que je discute avec les Israéliens et les Palestiniens, ils voient quelqu’un qui connaît les situations complexes”

Nicolas Kassianidès

“Je n’y avais pas pensé mais oui… Ce parcours de vie d’île en île est un atout, analyse-t-il ; ça aide à au moins créer une possibilité de dialogue. Quand on me voit arriver ; que je discute avec les Israéliens et les Palestiniens, ils voient quelqu’un qui connaît les situations complexes”, reconnaît-il. Et qui connaît les codes, la culture méditerranéenne “commune“. Une insularité faite de singularités qui sert sa vie de diplomate. Nicolas Kassianidès valide, ajoutant que Sète reste son port d’attache à vie : “C’est très important de revenir régulièrement à Sète où j’ai encore passé quelques jours pendant la dernière Saint-Louis ; j’y retrouve tous mes copains, dont la plupart étaient au FC Sète, d’ailleurs.”

“Kassia”, second, accroupi, à partir de la gauche, toujours au foot…DR

“On était tous les deux nouveaux dans cette école. Ce qui m’a tout de suite plu chez “Kassia”, c’était son côté “exotique”

Jean Touboul

C’est aussi le cas de Jean Touboul : “On était tous les deux nouveaux dans cette école. Ce qui m’a tout de suite plu chez “Kassia”, c’était son côté “exotique” ; il arrivait de Chypre – je ne savais même pas où c’était – ;  il parlait grec… Ça a éveillé tellement de curiosité et puis, j’ai toujours aimé les choses dont je n’avais pas l’habitude dans mon quotidien. On échangeait beaucoup. Je ne sais si je finirais ma vie à Sète – c’est une probabilité forte – mais je ne pouvais pas imaginer vivre toute ma vie dans cette ville ; c’était trop limité pour ma curiosité. Sète reste une base forte. Quand tu pars à l’étranger, que tu es confronté à l’adversité, parfois déstabilisé par des rencontres, les amis, la famille, c’est le socle fort que tu as construit. Et c’est pour la vie. Les amis que j’ai aujourd’hui sont les mêmes que lorsque on était enfant.” Parmi lesquels… Cassou, Sylvain Casses, un DJ très connu à Sète.

“Kassia” est “fidèle et simple”

Que dit-il Jean de son ami d’enfance, “Kassia” ? “Il est fidèle et simple. Les copains n’arrêtaient pas de se moquer de lui : il a fait toutes les grandes écoles possibles et imaginables au point qu’on lui disait qu’un jour il faudrait bien qu’il travaille ! Il gravit les échelons dans son métier à des âges où tous les autres diplomates sont plus vieux que lui et il le fait en toute simplicité. dès que l’on parle avec lui, ça vire vite déconnade ; ça parle foot ; FC Sète…” Après vingt ans dans le marketing, Sandra, son épouse est coach de cadres dirigeants et chasseure de tête. Tous deux se sont connus à l’âge de 20 ans à l’ESCP (Sup de Co), l’école de commerce de Paris.

Il fait revenir les USA dans le giron de l’Unesco

“Kassia” lui retourne le compliment. Que ce soit depuis les Nations Unies, à New York, où Nicolas Kassianidès se penchait, déjà, sur cet inextricable conflit Israël-Palestine ; à Paris ; à l’ambassade de France, en Egypte ; à la direction de l’institut français, en Espagne ou, enfin, à l’Unesco – où, directeur de cabinet d’Audrey Azoulay, il a oeuvré en faveur du patronage d’Escale à Sète ! – et depuis cette semaine comme consul général à Jérusalem. Il est de ceux qui ont réussi à faire revenir cet été les USA, qui devaient beaucoup d’argent, dans le giron de l’Unesco. Excusez du peu ! “L’autre chose dont je suis très fier, c’est que l’on est en train de reconstruire la vieille ville de Mossoul (Irak). Mosquées, maisons patrimoniales, églises…”, souligne-t-il avec gourmandise.

“Je voulais faire ce métier, exigeant qui te bouffe aussi beaucoup de temps de la vie perso parce qu’il est utile”

Ce poste de Consul général à Jérusalem, “j’en suis très honoré, complète Nicolas Kassianidès. Tous les jours, tous les jours, il s’y passe des trucs très sensibles. C’est un poste très politique qui couvre toute la ville sainte, Jérusalem, qui est celle des trois religions du Livre. Il s’agit de servir tous les Français sur place, entretenir les relations politiques ; il y a aussi une partie importante et historique de mon travail : protéger les populations chrétiennes. Ce que la France fait depuis des siècles. Je dois aussi donner ma part pour que cohabitent dans cette ville les trois religions”, confie-t-il. Son moteur ? “Je voulais faire ce métier, exigeant qui te bouffe aussi beaucoup de temps de la vie perso parce qu’il est utile.” 

“Si je n’y croyais pas, moi qui ai fait Sciences po, HEC, l’ENA, je serais parti dans le privé depuis longtemps. Mes collègues qui ont fait HEC et qui sont dans le privé gagnent beaucoup plus d’argent que moi…”

Nicolas Kassianidès
Jean Touboul. DR.

Il contextualise ce qui s’apparente pour lui à une mission : “Je vais à Jérusalem dans une zone très sensible pour représenter la France auprès de l’Autorité palestinienne ; c’est très compliqué. À Gaza, par exemple. Ce qui m’a toujours motivé, c’est de faire quelque chose qui soit vraiment utile à la société. C’est ça qui fait que tu acceptes d’avoir ta vie personnelle un peu sacrifiée ; d’aller dans des endroits dangereux, comme au Caire pendant la guerre civile et la révolution…”  

Et il y “croit” : “Si je n’y croyais pas, moi qui ai fait Sciences po, HEC, l’ENA, je serais parti dans le privé depuis longtemps. Mes collègues qui ont fait HEC et qui sont dans le privé gagnent beaucoup plus d’argent que moi…” Lui, n’exclut pas de faire partager sa passion du foot avec des petits Palestiniens. “Le foot rassemble, ça m’a permis de m’intégrer partout !” Comme les Jeux Olympiques, en France, en 2024 : “Cela va nous permettre de faire venir des gens et construire des choses positives.”

“Jean est droit, persévérant, fidèle”

Sur son ami Jean Touboul, il dit à son tour : “Il est droit, persévérant ; il aime s’amuser et rigoler et quoi qu’il arrive il sera là. Fidèle. Il a été mon premier copain à Sète qui a joué un rôle très important pour moi avec qui j’ai noué des liens très forts. On est pour ainsi dire de la famille avec Jean. C’est même plus que de la famille : on s’est choisis et nos familles sont devenus très très amies…On aime bien rigoler ; on a regardé beaucoup de matches de foot chez lui : à l’époque, c’était “l’aristocrate” : il avait Canal + !

Il faut rester vigilant à ce que tout ceux qui veulent habiter Sète puisse le faire. C’est ce qui en fait sa beauté. C’est un creuset que l’on n’a pas perdu

Nicolas Kassianidès

Comment qualifie-t-il l’évolution de Sète ? “Je vois un énorme changement avec un développement très important. Il y a des évolutions plutôt positives. Mais il y a des choses auxquelles il faut faire attention et qui tiennent à la géographie de la ville : son développement a naturellement des limites.” Boboïsation, gentrification? “C’est un vrai sujet. Mais ce n’est pas la Côte d’Azur. À Paris, quand je parle de Sète – et j’y ai fait venir beaucoup de Parisiens – ça reste authentique. Vrai. Tous les ambassadeurs, etc., vont à Nice, à Cannes, je leur dit : venez à Sète, vous y verrez une vraie ville, un vrai endroit. Il faut rester vigilant à ce que tout ceux qui veulent habiter Sète puisse le faire. C’est ce qui en fait sa beauté. C’est un creuset que l’on n’a pas perdu.” Et pour lui, Sète est un “pôle de stabilité”.

On a besoin de développement économique ; après, il faut faire attention à ne pas perdre l’authenticité de la ville”

Jean Touboul
Jean Touboul à Sète. DR.

Jean Touboul partage la même analyse sur l’île Singulière. “Je reste attaché à Sète où j’ai acheté une maison pour plus tard. C’est une ville qui arrive à garder son caractère authentique. C’est ce que me disent les gens que j’y amène. Cette authenticité peut être parfois remise en question par des projets un peu trop tournés vers le tourisme. L’immobilier. On a besoin de développement économique ; après, il faut faire attention à ne pas perdre l’authenticité de la ville.

Une carrière politique l’intéresserait-elle, seul ou en duo avec Nicolas Kassianidès, le diplomate ? “Je lui laisse la politique ! La politique m’intéresse, bien sûr ; elle a une grosse influence. Je suis curieux et avec mon métier, je suis obligé de m’y intéresser mais je n’ai pas envie d’en faire. Il faut trop de compromis ; il y a trop de faux-semblant… Et puis, s’agissant de politique locale, je ne suis pas sûr qu’il y ait une politique de droite ou de gauche. Il y a des valeurs, un développement harmonieux à avoir… L’empathie, la bienveillance et essayer de comprendre l’autre…” On est sauvés !

Olivier SCHLAMA

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