Portrait : La « surhumaine » Caroline Suné, la force intranquille

Caroline Suné : La bataille ne sera gagnée que quand une femme sera aux responsabilités et qu'elle sera aussi nulle qu'un homme. Les femmes doivent toujours prouver davantage, encore plus que les hommes. C'est ce que je fais. Et ce n'est pas normal. Et c'est pour cela que je suis autant autodéterminée..." Photo : Olivier SCHLAMA

“C’est miraculeux ce que je fais…” Sans jouer des biscoteaux, Caroline Suné, 36 ans, est une star, à Frontignan, menant une vie de sportive de très haut niveau, notamment en force athlétique où elle est parmi les meilleures mondiales, mais aussi en rugby ; en tant qu’adjointe au maire et de manager de l’Equipe de France de rugby féminine des moins de 20 ans ! La championne, “usée”, se livre avec une rare sincérité et révèle aussi les coulisses peu reluisantes du monde sportif.

Il se joue maintenant une autre partie pour la championne : et c’est moins une épreuve de force pure qu’un bras de fer avec soi-même. Même après avoir dompté sa timidité, accompagné sa boulimie de sport avec le même répondant depuis des décennies et donné forme à une puissante détermination chevillée au corps, Caroline Suné, 36 ans, se cherche un second souffle dans la vie. Celle qui vole d’un rendez-vous à l’autre ; d’un entrainement à une réunion, d’une compétition à un défi, se dit “vidée”. Comme si, poussée par une insatisfaction jamais rassasiée, elle s’imposait l’exploit permanent. Sur un mur de sa salle d’entrainement figure l’évocation d’une sorte de fort des halles, un fortiche à l’ancienne. Pour Caroline Suné, c’est “la force tranquille”, un exemple sans doute à suivre pour elle dont la force est devenue intranquille.

Elle veut prouver aux autres, mais pas seulement aux autres, à elle aussi, qu’elle existe”

Photo : Olivier SCHLA-MA

Une amie, qui veut rester anonyme, dit d’elle : “Caro, est surhumaine. Tant qu’elle n’est pas mise à terre, elle veut rester debout. Elle veut prouver aux autres, mais pas seulement aux autres, à elle aussi, qu’elle existe. Cette insatisfaction est son moteur pour réaliser ses exploits. C’est grâce à ça qu’elle réussit. Elle pousse toujours plus loin ses limites et elle est ultra-exigeante envers elle-même. Mais elle est aussi humble, à l’écoute et quand elle a besoin de faire une coupure, on est là…”

Béquilles et minerve avant les compétitions…

La championne est fatiguée. De quoi laisser percer une prise de conscience. “Avec les blessures, le sur-entrainement, mon corps a commencé à dire stop…, confie l’athlète. Personne ne l’a vraiment su mais j’ai été blessée cette année : j’ai dû aller aux championnats du France en juillet, diminuée ; j’étais en béquilles une semaine avant la compétition qualificative à cause d’un genou largement mangé par l’arthrose.” Sacré sacrifice. En Suède, à Halmstad, en août, aux Championnats du Monde, de force athlétique, elle est obligée, jusqu’à la veille de la compétition (!), de maintenir son cou douloureux par une minerve… Tout en réussissant, finalement, du haut de son mètre soixante jadis survitaminé, à lever 165 kg en squat ; 80 kg en développe-couché et 177,5 kg en soulevé de terre…

“Etre en guerre avec moi-même…”

Caroline Suné, DR.

Sous son fin blouson de cuir marron, elle ne joue pas des biscoteaux. “Je suis à un tournant de ma vie…”, confie-t-elle, dans une périphrase. Lessivée, la championne qui, après s’être classée 4e des derniers Championnats du Monde en moins de 57 kg (“Ex-aequo avec la 3e, j’ai loupé la médaille de bronze pour 100 grammes de poids en plus qu’elle…”), dit que sa discipline, la force athlétique, est “passionnante parce que c’est, pour moi, une façon d’être en guerre contre soi-même ; la barre, je dois la dominer ; gagner…” 

“Vidée”, “Épuisée” avant les Championnats du Monde…

“Faire 4e des championnats du monde dans ces conditions, c’est miraculeux ! Il ne faut pas oublier que les trois premières du championnat du monde sont professionnelles, elles !” La jeune femme se dit “vidée”. La bouillonnante et touchante Caroline Suné rajoute : “Je suis épuisée”, depuis son retour, en août, de ces Championnat du Monde de force athlétique, pure, sans accessoires, et avant les Championnats du Monde “équipés” avec accessoires et protections (power lifting) le 9 novembre, en Norvège. Elle mène sa vie et toutes ses carrières de front : sportive de haut niveau, maire-adjointe à Frontignan chargée des sports ; manager de l’Equipe de France féminine de rugby des moins de 20 ans ; cadre technique à la Ligue de rugby d’Occitanie…

Elle s’entraîne dans une chambre aménagée

Caroline Suné, dR.

Dans ce qu’elle appelle de façon joliment enjolivée sa home training – l’ancienne chambre de son frère transformée en salle de muscu et d’entrainement – la championne “tire” seule ses barres dépassant les 150 kg ; sans camarades de sueur à côté d’elle pour l’entrainer dans une dynamique et un compagnonnage bienfaiteur ; seuls, ses parents sont présents au cas où… Elle habite près de chez ses parents “qui m’ont toujours aidée et soutenue”, aux Pré-Saint-Martin. “Cela fait trois ans que je m’entraine là parce qu’il n’y a nulle part du matériel spécifique à ma discipline. Par exemple, quand l’haltérophilie réclame des barres souples, la force athlétique demande justement l’inverse : une barre rigide.”

Du répit demandé à l’équipe municipale

La discipline, qui a dépoussiéré l’haltérophilie de papa, comme le crossfit a ringardisé le body-building des années 1980, est certes promise à un bel avenir mais “consomme” pas mal d’athlètes qui n’en restent pas moins que des amateurs non rémunérés et doivent trouver, seuls, les moyens de s’entrainer correctement, sans aide ou presque. N’étaient quelques sponsors compatissants, ce genre de sportif de haut niveau, “mais amateur”, paierait tout de sa poche. Et surtout de sa personne. “Même la Championne du Monde de force athlétique n’a peut-être reçu qu’un chèque de 1 000 €, c’est dérisoire !” Elle vient de demander un peu de répit à l’équipe municipale pour souffler. Histoire de souffrir un peu moins d’un emploi du temps démentiel.

Trois brevets d’Etat, un bac + 5 et deux licences !

Catharine Suné, championne de force athlétique. Photo : Olivier SCHLAMA

La jeune femme, une vraie star dans la région, a vécu mille défis, mille vies qu’elles a vécues branchée sur mille volts. Une vie de résiliences. Imaginez : elle a été au plus haut niveau en handball – ailière notamment au pôle espoir entrainée par le Sétois Alain Porte à Nîmes – qu’elle délaissera après une vilaine blessure des croisés ; au rugby (trois-quarts centre) et à la force athlétique qu’elle découvrit par hasard lors d’un stage en Equipe de France de rugby, où l’une de ses coéquipière en faisait en complément du rugby. À chaque fois, l’Equipe de France lui a naturellement ouvert ses portes dans ces trois sports ! Elle est même titulaire de trois brevets d’Etat dans les trois disciplines, titulaire d’un bac + 5 et de deux licences !

A Noël, petite, très peu de console vidéo pour moi ; il fallait que je bouge ! Quand j’ai eu un ballon, j’y jouait sans arrêt avec mon frère”

Caroline Suné

Né à Montpellier, où elle n’a jamais vécu, Caroline Suné a un père catalan, Albert, originaire de Elne (P.-O.). Directeur commercial dans une grande société pharmaceutique, c’est lui qui lui a transmis le virus du sport. “C’est un ancien très bon joueur de l’USAP, à Perpignan. À Noël, petite, très peu de console vidéo pour moi ; il fallait que je bouge ! Quand j’ai eu un ballon, j’y jouait sans arrêt avec mon frère ; pareil pour le ping-pong ou le basket : nous avions une table et un panneau pour y jouer. Et puis, j’allais voir les matches de rugby le dimanche… Tout ça s’est fait naturellement. À l’époque, une fille comme moi, il n’était pas rare qu’on la surnomment “garçon manqué”. Mais ça ne m’a jamais blessée.”

Des parents qui l’ont toujours accompagnée

Sa mère, Marie-Pierre, est née à Alger, tient une pharmacie à Frontignan. C’est la seule non-sportive. Son frère, Hugo, 31 ans est entraineur-joueur dans le club de rugby de Frontignan. Elle a aussi une soeur, Julie, orthoptiste à Argelès (P.-O.) qui a 38 ans et joue depuis peu gardienne de but au handball. Caroline Suné rend hommage à ses parents qui ont toujours accompagné ses passions.

Garder les pieds sur terre, ne pas lâcher amis et parents

Caroline Suné, photo : Olivier SCHLAMA

Elle accorde désormais beaucoup plus de place à ses amis et pas seulement ses amis sportifs. “C’est important de garder les pieds sur terre et ne jamais lâcher amis et parents ; c’est le conseil que je donnerais à une jeune sportive.” Sa vie perso ? Elle est entre parenthèses… “Il n’y en a pas trop…” Même si elle a un amoureux “non sportif” dont elle ne veut pas parler. On comprend qu’elle aimerait lui donner davantage de temps comme à ses amis et à sa famille. “Ça va venir !”, positive-t-elle. D’abord souffler et peut-être voyager pour son plaisir, face à agenda  himalayesque. “Jadis, j’avais aussi eu une guitare un Noël ; je vais y rejouer un jour !”

Je veux juste dire aux Frontignanais qu’ils ont de la chance d’avoir autant d’infrastructures en accès libre ; de grands projets sportifs…”

En mairie, par exemple. “Il faut que les gens sachent : élue, ce n’est pas un métier ! Comme adjointe, j’ai une indemnité de seulement 500 €. On ne fait pas ça pour l’argent mais il faut le savoir. Et quand j’achète un billet de tombola ; que j’invite au restaurant ; que je vais à Montpellier ou ailleurs pour la ville, je paie pas mal de choses de ma poche et à la fin il ne reste pas grand-chose quand il en reste… Mais je ne plains pas. Je veux juste dire aux Frontignanais qu’ils ont de la chance d’avoir autant d’infrastructures en accès libre ; de grands projets sportifs. Pour une ville de 25 000 habitants, nous avons 18 associations de niveau national ou international ; 70 associations sportives et 9 000 licenciés.” Sa motivation ? “Je ne vais pas dire que je me sens redevable mais un peu : pas mal de gens à leur niveau m’ont aidée ; c’est une façon de le leur rendre. C’est ce qui me pousse à donner autant de moi…”

“Les fédérations s’en fichent pas mal de leurs athlètes…”

Pourquoi autant de détermination jalonne sa vie ? “Je ne sais pas… Sans doute mon éducation.” Une détermination sans faille mâtinée toutefois de déception : “En fait, les fédérations sportives s’en fichent pas mal de leurs athlètes, de leurs efforts inouïs pour y arriver ; ceux qui s’en vont sont vite remplacés… Certains de mes entraineurs m’ont littéralement tuée… Même si on est suivie médicalement, on fait des trucs pas forcément bons pour le corps pour tenir le poids de sa catégorie de compétition tout en menant parallèlement une vie …”

Manger très salé, boire huit litres d’eau… !

Comme adopter des stratégies nutritionnelles difficiles à supporter. Un exemple ? “Manger très salé puis boire huit litres d’eau pour grossir dans un premier temps ; puis, arrêter le sel et couper l’eau pour jouer sur la déshydratation ; faire des saunas et se coucher dans des couettes juste avant la pesée… J’ai déjà perdu ainsi cinq kilos en cinq jours. Je peux aussi pour respecter les 2 000 calories par jour, au lieu de manger 500 grammes de riz et 500 grammes d’un autre bon aliment, avaler 300 grammes de M&M’S qui occuperont le minimum de place dans l’estomac…”

“Ma résilience, je me la suis faite toute seule”

Caroline Suné ajoute dans une déclaration puissante : “Je ne sais pas si je suis féministe. Ce que je peux dire c’est que c’est tellement difficile pour une femme dans un monde d’hommes, et quoi qu’on en dise, nous sommes dans un monde d’hommes… La bataille ne sera gagnée que quand une femme sera aux responsabilités et qu’elle sera aussi nulle qu’un homme. Les femmes doivent toujours prouver davantage, encore plus que les hommes. C’est ce que je fais. Et ce n’est pas normal. Et c’est pour cela que je suis autant autodéterminée. Ma résilience, je me la suis faite toute seule.”

Olivier SCHLAMA

Quand Dis-Leur ! tire le portrait…