Portrait : Jacques Tuset, le nageur de l’extrême qui s’évade des… îles-prisons !

Lors d'une première traversée Alcatraz-baie de San Francisco... DR

Après avoir réalisé exploit sur exploit, le Montpelliérain Jacques Tuset, 58 ans, va relier, le 11 juin, le pénitencier d’Alcatraz à la baie de San Francisco, aux USA, dans les mêmes conditions que l’évasion historique. Ce champion, aux plus de 400 traversées dans le monde, le fait pour récolter des fonds pour une maladie orpheline, la choroïdérémie qui mène à la cécité.

L’évadé à perpétuité ! Le Montpelliérain Jacques Tuset, ex-président du club de natation sauvetage Aqualove et fondateur du club Nage évasion, est le nageur de l’extrême qui s’est fait une spécialité reconnue : “l’évasion” des îles-prisons à la nage. En maillot. Lunettes et bonnet. C’est tout. “J’ai découvert, au fil des années, qu’il y en plus de 70 îles-prisons à travers le monde dont 45 que j’ai déjà faites, parfois à plusieurs reprises ! Et dont quatre rien qu’en Méditerranée :Fort Brescou, le Château d’If, l’île du Levant (ancien bagne pour enfants), l’île Sainte-Marguerite dite celle du Masque de Fer…”

“Premier français à traverser le Détroit de Gibraltar, j’avais aussi  traversé la Manche”

A Alcatraz. DR.

Robben Island, en Afrique du Sud ; les Iles du Salut en Guyane française ; Rottnest en Australie, Fort Boyard et Château d’If en France… Il réalise défi sur défi, exploit sur exploit, depuis des années pour une bonne cause : faire connaître une maladie orpheline, la choroidérémie, dont les enfants d’un ami nageur sont atteints et qui mène à une quasi-cécité. “À l’époque, premier français à traverser le Détroit de Gibraltar, j’avais aussi traversé la Manche”, l’acmé dans ce sport.

Paris à la nage, Fort-Boyard…

Tout démarre par une rencontre. “J’ai, rapporte-t-il, alors croisé mon ami lors d’une traversée au Salagou. Il avait créé l’association France Choroïdérémie. Il m’a demandé d’associer mes traversées à cette maladie. J’ai accepté volontiers. De plus, c’était à une époque où je voulais arrêter de nager ! Ça m’a reboosté. C’est comme cela que j’ai effectué la traversée de Paris à la nage, 12 km dans la Seine, en maillot de bain, en 2006… On a aussi fait la traversée Fort-Boyard-la Rochelle, 17 km.”

Je nage et je “m’évade” : cette liberté-là permettrait aux malades plus tard de retrouver la liberté de voir…”

Il trouve une formule qui fait mouche en apparentant cette maladie à quelqu’un qui est dans le noir d’une cellule et qui regarde par les barreaux de la fenêtre. “Je me suis dit : moi qui ai fait tant de traversées d’îles-prisons aux continent, pourquoi ne pas essayer de créer un challenge sur plusieurs îles et récolter des fonds. Du coup, je nage et je “m’évade”. Cette liberté-là permettrait aux malades plus tard de retrouver la liberté de voir.” Il commence par imaginer un circuit sur six courses existantes : Alcatraz ; le Château d’If ; Robben Island où avait été emprisonné Nelson Mandela ; de Gorée à Dakar ; Spike Island, en Irlande et Rottness Island en Australie ; j’y ai ajouté Fort Boyard. Mais une fois cette idée lancée, les témoignages d’autres îles-prisons affluent. Le circuit grimpe à dix traversées. “Au total, il y en a plus de 70 à travers les monde et on m’en fait découvrir de nouvelles !”

Lors de la traversée de Fort Boyard. Ph. Alex Voyer.

La recherche sur cette maladie rare a besoin de fonds. C’est ce que fait Jacques Tuset qui, à ce jour, avec ce marketing aquatique en  récoltant, dit-il, au total, “au moins 30 000 € pour France Choroïdérémie et en faveur de l’Inserm de Montpellier, par des dons, notamment de particuliers ICI (1).Pas seulement : un institut, à Monaco, a versé récemment 15 000 € pour acheter des appareils pour la recherche”, confie encore Jacques Tuset.

“Je m’imprègne des lieux… Je travaille mon imagerie mentale ensuite”

Cette fois, celui qui se situe “dans le Top 50 des nageurs les plus aventureux au monde”, va mettre son crawl dans celui des célèbres évadés d’Alcatraz, comme il y a 60 ans ! Un remake, sans danger, entre cette île-prison qui avait la réputation d’être la plus hermétique au monde et son continent. “J’ai déjà fait deux ou trois fois cette traversée avec la baie de San Francisco, aux USA”, dit-il. Jacques Tuset se prépare longtemps en avance. Cartes en mains, courants sous la loupe, photos auscultées…

Je nage une à deux fois en mer chaque semaine, tout l’hiver, dans une eau à parfois 8 degrés, toujours en simple maillot…”

Et sur place “je m’imprègne des lieux… Je travaille mon imagerie mentale ensuite”, souffle cet agent SNCF de 58 ans qui travaille dans des bureaux le reste du temps. Jacques Tuset va donc se lancer un énième défi – il en a 440 à son actif ! – le samedi 11 juin prochain de réaliser la même évasion à la nage que les trois célèbres prisonniers américains (Frank Lee Morris et les frères Anglin, John et Clarence) depuis le pénitencier d’Alcatraz de San Francisco (USA) comme il y a pile 60 ans ! Il dit : “Je nage une à deux fois en mer chaque semaine, tout l’hiver, dans une eau à parfois 8 degrés, toujours en simple maillot, et une ou deux fois en piscine pour garder les appuis, les sensations, la vitesse de nage que l’on perd en milieu naturel…”

L’évasion à la nage d’Edmond Dantès, du Château d’If…

A Marseille. Ph. Alex Voyer.

Et ce, après avoir réalisé en février dernier l’évasion à la nage d’Edmond Dantes, du château d’If, telle qu’elle est racontée dans le roman Le Comte de Monte Cristo, écrit en 1844 par Alexandre Dumas, le Montpelliérain Jacques Tuset. Pour cette traversée à la nage (en simples maillot, bonnet et lunettes mais sans palmes) il sera accompagné de deux autres nageurs (Ned Denison, un Irlandais et Suzanne Heim une Américaine), afin de représenter les trois évadés d’origine. Qui avaient eu le “mérite” de dépasser leur condition.

Douches chaudes et repas copieux pour éviter les évasions !

“À l’époque, l’administration d’Alcatraz faisait prendre des douches très chaudes aux prisonniers pour qu’aucun ne soit en mesure d’être acclimaté à cette eau de mer froide ; on leur faisait aussi prendre du poids et manger gras pour éviter qu’ils aient la condition physique pour pouvoir s’échapper.” Aujourd’hui, pour cette réplique d’évasion, “on est évidemment préparés. Je nage toute l’année, en mer, dans l’eau froide”.

En Guyane. Ph. DR.

L’évasion-anniversaire débutera de nuit, à la même heure (aux environs de 23 h 30) et avec les mêmes courants forts que lors de la cavale des prisonniers le 11 juin 1962. Cette nage de nuit au milieu de la baie de San Francisco dans une eau à 12 degrés doit mener les trois nageurs jusqu’au Golden Gate Bridge : soit plus de 10 km au lieu des 2,4 km en mode compétition.

D’abord le 8 juin plus à la date anniversaire le 11 juin. Un exploit qui nécessite d’être physiquement et mentalement préparés afin d’affronter les courants très forts au large de San Francisco et la fraîcheur de l’eau qui rendaient les tentatives d’évasions presque impensables à la grande époque de la prison d’Alcatraz. “Les méduses, celles qui ne piquent pas, on s’en fout ; celles qui piquent, on s’amuse moins… On prend comme une décharge électrique ; la douleur s’estompe au bout de quinze minutes…”

Sa première traversée : à 8 ans et demi, à Canet

Jacques Tuset était un précoce. “J’ai appris à nager à cinq ans. C’est mon père, lui aussi salarié à la SNCF, qui m’a appris pour des raisons de sécurité, à nager en mer. On vivait au bord de l’eau, à Canet-en-Roussillon.” Ensuite, on l’inscrit dans un club qui faisait nager dans le port, comme ce fut le cas dans les canaux de Sète avant que ne se construisent les piscines.

La mer, c’est vivant (…) Cela permet, aussi, d’éliminer toute l’anxiété, le stress du quotidien qui s’évacue en nageant”

Sa première traversée ? “Celle de Cannet, en 1972, à 8 ans et demi…” Le Montpelliérain a quand même eu fait de la piscine à un bon niveau : “J’ai nagé en “espace banalisé” pendant quelques années ; j’ai même intégré l’équipe de France junior de natation, lors de son passage en sport études à Font Romeu…” Mais l’appel du grand large l’a gagné. “J’ai vite préféré les grands espaces. La mer, c’est la liberté. Celle aussi d’aller nager quand j’en ai envie. La mer, c’est vivant. Ce n’est jamais la même chose. Quand il y a des vagues, du mouvement, je me régale. Cela permet, aussi, d’éliminer toute l’anxiété, le stress du quotidien qui s’évacue en nageant.”

Pourquoi la nage en eau libre est à la mode

En Guyane. DR.

La nage en eau libre – c’est le nom de ce sport en espace naturel – est de plus en plus pratiqué. “Oui, énormément, confirme Jacques Tuset. C’est dû au boom des réseaux sociaux ; je constate cela depuis 2016.” C’est dû, aussi, à l’autorisation, en compétition, de la combinaison de nage quand l’eau est trop fraîche : “Avant la combi, en compétition, on était une quarantaine, aujourd’hui on est 400, 500 participants. Le phénomène est arrivé d’Espagne, dès 2012-2014 avec des départs à 700 personnes. Et le covid a permis de proposer un sport accessible à tous, d’autant qu’à moment donné, seule la mer était autorisée, plus les piscines.” Le bouche à oreille a fait le reste.

“Nager ne doit pas être une contrainte, mais un amusement…”

Pourtant, nager n’est pas aussi naturel que la course à pied, il faut apprendre les bons mouvements, à respirer… “Au contraire, le running, c’est de la contrainte avec beaucoup de poids sur les articulations ; beaucoup de gens qui s’y étaient mis viennent à la natation, conseillée par leur médecin, parce que c’est un sport porté.” Hanches, genoux, chevilles, la natation, c’est en effet un bain de jouvence. La natation leur offre à nouveau la possibilité d’un espace de liberté. Jacques Tuset confirme également “l’essor de malade de la nage en eau froide, l’Ice swimming. On essaie toutefois de canaliser les défis que les uns et les autres se lancent dans ce domaine. Son conseil pour s’aventurer dans l’eau libre ? “Se faire plaisir ! Nager ne doit pas être une contrainte, mais un amusement…”

Olivier SCHLAMA

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