Famille de champions : Entrainé à Sète, Enzo le Polynésien disputera les Jeux du Pacifique

J'aime cet effort de l'eau libre, au long cours, continu, intense qui m'amuse beaucoup surtout avec les vagues...", dit joliment Enzo. Ph.DR

Enzo Costa-Lacombe, 18 ans, s’entraîne en Ile Singulière sous la houlette de son coach, le Sétois Bertrand Venturi. Il est le (presque) cadet d’une famille de grands sportifs dont il ne veut pas être le dernier sportivement. Il adore l’eau libre, discipline dont il est un élément prometteur.

Avec 57″23 secondes au 100 mètres nage libre, Enzo Costa-Lacombe a senti qu’il se passait quelque chose quand il a enfin “battu” sa maman il y a quelques mois. Laurence était détentrice du record de France quand elle avait 16 ans, en 1985, en piscine. “Quand j’ai atteint son chrono, elle m’a dit : C’est bien, tu as mis le temps, mais c’est bien…”, révèle Enzo. Un compliment qui peut être interprété comme une injonction à la réussite. Le presque cadet de la famille (3e) ne veut pas être le dernier. Son père, Bernard, nageur, triathlète, sauveteur, à propos du record marqueur de la famille, de son épouse : “C’est l’objectif familial au départ !”

Enzo Costa-Lacombe, 18 ans, n’est pas un sprinteur. Ce qu’il aime, lui, c’est le (demi) fond. L’eau libre. Pour prendre toute sa place dans un élément où il s’épanouit. “Il a les qualités et le potentiel pour aller en Équipe de France”, murmurent sans prétention ses parents sollicités sur le sujet, dont la mère a usé ses maillots en équipe nationale. Des parents qui gèrent le club de natation le plus huppé de Tahiti, le Cercle des nageurs de Polynésie.

J’aime cet effort de l’eau libre, au long cours, continu, intense qui m’amuse beaucoup surtout avec les vagues…”

Passer un cap : c’est l’une des raisons pour lesquelles Enzo a rejoint le Sétois Bertrand Venturi, un as de la discipline, dont Dis-Leur a fait le portrait ICI. Malgré son prénom qui fleure bon les voitures de course italiennes ultra-rapides, Enzo aime, lui, “cet effort de l’eau libre, au long cours, continu, intense qui m’amuse beaucoup surtout avec les vagues. J’ai beaucoup plus de facilité en eau libre”. Il vient d’ailleurs de se qualifier – il est arrivé second, à la touche – pour les Jeux du Pacifique en eau libre, l’équivalent des JO “régionaux” pour toutes les grandes îles – Mélanésie, Micronésie et Polynésie, sans l’Australie – de ce si bel océan.

Sa mère et son frère ont déjà fait les Jeux du Pacifique, sa tante et participa aux JO de Barcelone en 1992…

Le podium – Enzo, à gauche, est arrivé deuxième – de la course qualificative à Tahiti, samedi.

Il l’a fait avec le sourire, Enzo. Malgré la houle, beaucoup de courants et les conditions de courses difficiles sur le cinq kilomètres réglementaire (1h03) dans le lagon de Punanania, à Tahiti. La stratégie était de “rester bien dans les pieds du leader et d’accélérer après quatre tours et finir par déboîter et lâcher un gros sprint en lâchant le paquet comme aux France ; Naël, lui, avait pour stratégie d’être à bloc au premier tour. Ça n’a pas marché. Moi, j’ai essayé de jouer avec les courants et les bouées sous lesquelles je suis passé à trois reprises”.

Ça s’est joué à la touche. Sans doute un déclic pour la suite de sa carrière qu’il voit davantage dans l’eau salée que dans le chlore, en piscine plus monotone. Des Jeux du Pacifique, sa mère et son frère les ont déjà faits. Quant à sa tante, Diane Lacombe, jadis en Équipe de France, elle participa aux JO de Barcelone en 1992.

Ce lundi, après une “bringue” avec son meilleur ami dont c’était l’anniversaire, Enzo avait encore quelques courbatures de sa course de samedi. Mais pas de mal de tête : son horizon s’éclaircit. Le jeune homme ne s’est pas posé de question : pas de sport à la mode, bling bling comme le basket ou le foot. “J’ai commencé aux bébés nageurs…” Non, lui, son utopie c’est l’eau libre. Ce liquide rend son rêve solide.

L’immersion lui va bien

Même s’il est monté sur la “boîte” en eau libre, “je vais aussi essayer de me qualifier en bassin, peut-être pour le 1 500 mètres, pour les Jeux du Pacifique, aussi, aux Iles Salomon”. Du 19 novembre eu 2 décembre 2023. La natation s’est imposée comme une évidence, comme si c’était décidé par un atavisme profond. Malgré le fait aussi que c’est un sport ingrat. Vu du rivage, il y a certes un peu de suspense mais ce n’est pas un sport théâtral ; il n’y pas une forte dramaturgie ; de scénario compliqué ou de coup de théâtre. Mais, lui est “tombé dedans tout jeune…, plaide-t-il. Et l’immersion lui va bien.J’ai essayé d’autre sports, le Va’a (pirogue, un sport national en Polynésie, Ndlr !), l’Optimist avec l’école ; j’ai fait des stages de judo…” 

DR.

Enzo Costa-Lacombe a une nage fluide. Avec beaucoup de glisse. “Et je nage sans les jambes”, glisse-t-il, comme son entraineur sétois qui lui a apporté “le plaisir de nager. Ça a été compliqué pendant mes deux premières années dans l’Hexagone {il est arrivé en pleine crise du covid, Ndlr} avec un entraîneur et une ambiance qui ne me convenaient pas. Il écrivait sur son tableau et criait beaucoup… J’ai changé de club {Il est licencié au Nof, à Frontignan, Ndlr} ; j’ai dû tout changer dans ma nage… Et, à force, les “temps” ont commencé à rentrer”. Le plus dur dans la natation, c’est “le mental. Tu es seul avec le chrono”, dit-il.

“J’essaie d’oublier la pression même si c’est un peu compliqué…”

Quel plaisir tire-t-il de l’eau libre ? La glisse. Le lâcher prise. Le côté hypnotique, traduisons-nous. Le mental, c’est le plus dur et aller chercher une qualification, éclore au plus haut niveau, sous le regard d’une famille de champions, ce n’est pas le plus facile. À propos de cette pression qui peut être handicap ou moteur, il dit : “Les deux premières années, ça a été compliqué ; c’était la première fois que je partais de la Polynésie où je suis né. J’essaie de faire abstraction de ça même si c’est un peu compliqué.” L’éloignement a été bénéfique, y compris pour se confronter à une adversité plus forte. À tracer son propre chemin.

Un champion arrive à dépasser des limites

Se sent-il champion, Enzo ? “Ça commence”, confie-t-il avec une économie de mots traditionnelle chez les Polynésiens. A-t-il un nécessaire égo solide ; une confiance en soi immarcescible ? Accepte-t-il la défaite autant que d’être bon ? Et d’en faire malgré tout davantage que tout autre malgré son talent inné ? “Oui ! s’éclaire-t-il spontanément. Un champion a la capacité de poursuivre son rêve même sa vie croise des contre-performances. De dépasser ses limites.” 

A-t-il le potentiel pour atteindre l’Equipe de France ? “Il n’y a que lui qui peur répondre à cela”, avance sa maman, Laurence, qui ajoute : “En eau libre, il en a les capacités. Il n’y a pas vraiment de chrono. Et puis il est arrivé en France pendant la crise du covid où il n’avait pas pu progresser ; il avait perdu confiance. Y compris envers son entraineur de l’époque.” C’est du passé glissé.

“Bertrand Venturi l’a relancé et redonné confiance”

Son papa, Bernard, analyse : “En bassin, au bout d’un moment, il s’ennuie. Il n’arrive pas à se dépasser. En bassin, en 1 500 mètres, certains gars lui mettent plus d’une minute ; en eau libre il arrive à être à leur hauteur. Il a besoin d’avoir davantage de confiance en lui et de réaliser son potentiel.” Les qualités du jeune champion ? “Il a une glisse naturelle, génétique en quelque sorte. Il a aussi pas mal progressé techniquement : comme on dit dans le jargon, il a une nage “propre”. Bertrand Venturi l’a vraiment relancé et lui a redonné confiance, justement, même s’il y a encore du travail à accomplir.”

À quoi pense Enzo dans l’eau ? “Je chantonne pendant les entraînements…” Et en course sans doute à son futur métier : “Je vais aller au bout de ce que je peux faire en natation de haut niveau, confie encore ce néo-bachelier. Après, j’aimerais faire pilote d’avion…” Pour l’instant, il cultive ses qualités dont l’une principales : “L’investissement. Si quelque chose me plait vraiment, je peux m’y mettre à 100 %…”

C’est sûr que cela amène une certaine pression mais, en même temps, c’est aussi pour eux un challenge de se dire : on s’engage sur les traces des parents pour tenter de faire mieux !”

Bernard Costa

Sa maman, Laurence Costa-Lacombe, est sage-femme à l’hôpital de Tahiti, connu dans tout le Pacifique pour ses formes modernes de bateau inversé. Originaire de Marseille, son père est chercheur en biotechnologie et développe des actifs cosmétiques et même pharmacos, via sa société Pacific Biotech. Sur l’hérédité sportive supposée de leur champion de fils qui poursuit la tradition familiale, elle explique : “Mes parents, dit-elle, n’étaient pas du tout sportifs. J’ai fait de la natation un peu par hasard. Notre aîné faisait aussi de la natation ; ça a été pour lui aussi son leitmotiv de battre mon record de France. Enzo, c’était pareil.”

Avoir une page blanche à remplir pour avancer, être performant, sans aucune référence familiale, a-t-il été une chance pour Laurence Costa-Lacombe ? Son fils n’était-il pas dans “l’obligation” inconsciente de réussir vu les exemples familiaux ? “Nous ne lui avons mis aucune pression ni à Enzo ni à mon aîné”, dit-elle. Bernard, le papa :Au départ, nos enfants ont, en effet, quelque part, une pression. En plus, dans notre milieu ilien, sur Tahiti, on est dans le microcosme sportif polynésien… On est – sans avoir la grosse tête – des références. C’est sûr que cela amène une certaine pression mais, en même temps, c’est aussi pour eux un challenge de se dire : on s’engage sur les traces des parents pour tenter de faire mieux !” On hérite toujours de ses aïeux.

Enzo est parti en France parce qu’ici il n’avait pas les conditions nécessaires pour s’entraîner deux fois par jour en y associant de bonnes études…”

Enzo a aussi un frère, Hugo, nageur de niveau national qui a participé aux Jeux du Pacifique à plusieurs reprises ; son autre frère, Romain, était en Equipe de France mais en cyclisme sur piste et il disputa le Championnat du Monde. “L’une de mes deux soeurs pratique l’équitation, explique encore Enzo Costa-Lacombe, une autre est prof de fitness.” Ses parents justifient : Enzo est parti en France parce qu’ici il n’avait pas les conditions nécessaires pour s’entraîner deux fois par jour en y associant de bonnes études. Le souci récurrent en Polynésie, dans toutes les disciplines, c’est qu’il faut aller chercher des compétitions ailleurs : ici, on est en circuit fermé. Les confrontations de niveau national, à chaque fois, c’est 20 000 km à faire avec des coûts importants.” 

Oui, Enzo Costa-Lacombe pourra rivaliser avec les meilleurs demain en eau libre mais pour cela il faut aussi nager vite en bassin…”

Bertrand Venturi
Au championnat de France d’eau libre, à Dunkerque avec Bertrand Venturi. DR.

Son entraineur sétois Bertrand Venturi a retissé les liens de confiance avec Enzo quand il l’a repris sous son aile et qu’il était “au fond du seau”. “Il s’est remobilisé. Il a fini par me donner les clefs du camion”, formule Bertrand Venturi. Il en veut pour preuve sa progression, y compris mentale. Cela s’est mesuré à cette compétition à Toulouse, fin mai, où Enzo a “réalisé tous ses meilleurs temps” ; ou encore aux championnats de France d’eau libre, à Dunkerque, fin juin, où il a tutoyé les meilleurs, dont le multiple champion du monde. Et où il a amélioré sa nage dans les enchaînements, ses prises d’eau, etc.

Poser le cerveau…

Bertrand Venturi dit : “Oui, Enzo Costa-Lacombe pourra rivaliser avec les meilleurs demain en eau libre mais pour cela il faut aussi nager vite en bassin…”, souligne le Sétois. Bertrand Venturi espère que le jeune champion saura être assez hermétique “à un trop plein de pression aux Jeux du Pacifique, y compris venant de ses adversaires. Car son plus gros défaut, c’est qu’il a les méninges sans arrêt en action ; il calcule tout le temps… Il faut qu’il pose le cerveau et qu’il nage ! Il a aussi des qualités intrinsèques : beaucoup d’abnégation ; il est très réfléchi. Quand il veut aller au bout de quelque chose, il le fait…” 

Olivier SCHLAMA

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