Portrait : Édouard Rowlandson : “On pousse trop les athlètes à se faire mal”

Edouard Rowlandson, à la paillote Le Spot, à Frontignan avec sa gamme de Sport and Green. Photo : Olivier SCHLAMA

C’est l’histoire d’un champion de volley-ball, hautement résilient, qui utilise d’autres qualités que physiques pour réussir sa reconversion dans la “confection de plats sains” pour aider sportifs et salariés à mieux s’alimenter. Il a fondé Label Green, à Montpellier, incubée à Flex, pépinière spécialisée à Sète.

Perce un je-ne-sais-quoi de sauvage en lui, au sens noble du terme. Doux yeux bleus, sourire authentique, il arrive avec un chouia de retard au rendez-vous. À l’inverse de son avance instinctive, primale, sur les ballons de volley qu’il empêchait continûment de mourir à terre pendant sa carrière de joueur pro. Edouard Rowlandson est l’archétype du volleyeur. Musculeux. Explosif. Gainé. “Focus” sur l’objectif.

“Des sacrifices que personne n’imagine…”

Quand il était à l’Arago… Ph. DR.

Même à 35 ans, il ferait encore les beaux jours des meilleurs clubs de pro A. Mais la baballe, c’est bel et bien fini. La faute à un vilain burn out. À des “sacrifices que personne n’imagine”. Edouard aux mains d’argent est “tenace et ambitieux. C’est un faux calme, dépeint son épouse, Laurie. C’est un gros bosseur. Une personnalité posée. Il n’est pas très extraverti mais il sait être éloquent et parler devant une salle.”

“Je suis en mission…”

Y compris, s’il le faut, de son nouveau match à la tête de sa boîte Label Green incubée à la pépinière sétoise Flex, “pour se donner toutes les chances de réussir” : “Je suis en mission”, formule-t-il, curieusement. Lui a tant souffert de blessures, physiques et mentales, au cours de sa carrière, réalisée principalement à l’Arago de Sète et en Équipe de France. de volley-ball, où il a cumulé 52 sélections.

Traiteur de repas sains pour sportifs et salariés

Label Green est une SAS qui exploite la marque Sport And Green. “L’idée est de confectionner, depuis Montpellier, des repas, les vendre par abonnement et de les livrer. Elle m’est venue avec mon staff médical, quand j’étais pro. Nous sommes traiteur et nous nous adressons aux sportifs et aux salariés. Nos repas remplissent un cahier des charges strict d’un diététicien validé par un médecin et confectionnés par des chefs locaux.”

La douleur est banalisée pour les sportifs de haut niveau. Je veux transformer le dicton no pain no game en no pain more game. C’est mon leitmotiv : sans douleur, plus de résultat” 

Edouard Rowlandson. Ph. Olivier SCHLAMA

Car, forcément, un champion, ça a des blessures plus ou moins importantes dans sa carrière. Il évoque “des gênes physiques se transformant malheureusement parfois en blessures (lombalgies, hernies discales, tendinites ou encore tensions musculaires). J’ai difficilement réussi à les faire disparaître… Les prescriptions d’antalgiques médicamenteux étaient devenues si récurrentes, que je n’en ressentais plus l’efficacité…” Il complète : Un jour, j’ai dit au staff : “Pouvez-vous me trouver autre chose que ces médocs ?” D’où l’idée que l’alimentation est la première médecine, comme le disait jadis Hyppocrate, au Ve siècle avant J.-C. Le premier médicament. 

Edouard Rowlandson veut, dit-il, participer à un changement de paradigme. Son “état d’esprit, comme il dit, c’est d’affirmer que la douleur est banalisée pour les sportifs de haut niveau. Je veux transformer le dicton no pain no game en no pain more game. C’est mon leitmotiv : sans douleur, plus de résultat. On pousse trop les athlètes à se faire mal.” 

Il certifie “que l’association de certains produits peut avoir des propriétés anti-oxydantes et anti-inflammatoires intéressantes notamment.” Thé, légumineuses, rhizomes, huiles, céréales complètes, légumes “colorés”, poissons gras… Il y ajoute une dimension à sa certitude qui rejoint “l’ambition de chefs d’entreprises de plus en plus nombreux : une bonne alimentation favorise le bien-être des salariés et même augmente leur productivité.” Il se passionne pour cette alimentation “plus saine”. S’entoure d’avis autorisés et lance sa boîte, en pleine phase de croissance.

Une gamme de soins naturels

Edouard Rowlandson et Youssef Krou, 1er médialle d’or, en 2015, d’une paire française sur une étape du circuit international, à l’Open de Xiamen en Chine. DR

“Label Green c’était 15 000 € de chiffre d’affaires il y a deux ans. Pour les six premiers mois de l’année 2023, nous en sommes déjà à 20 000 €.” Ce qui autorise tous les espoirs. Edouard Rowlandson cible les entreprises pour faire fructifier la sienne. Les plats sains préparés par des chefs, c’est donc sa dernière idée. Aboutie. “Depuis deux ans, nous proposons aussi une gamme de soins naturels avec des principes actifs reconnus comme l’huile de CBD garantie anti-dopant”, précise-t-il.

“Ma famille est multicuturelle ; ça aide pour l’ouverture d’esprit…” 

Ce coup-là, il l’avait bien préparé, y compris aussi parce qu’il a pris des… coups. “Il se fixe des objectifs à atteindre, décrypte son épouse, Laurie qui travaille dans un cabinet de notaire. Et il a besoin de se surpasser. Pour ce projet, il a écouté beaucoup d’entrepreneurs”. Et lui-même s’est formé. Au Spot, la paillote la moins bobo du littoral héraultais, située à Frontignan, la moins chichi pompon qu’il a choisie pour cet entretien, il dit : “Je suis né au Luxembourg d’une mère franco-serbe et d’un père anglais. D’une salariée de banque et d’un ingénieur en informatique. Ma famille est multicuturelle ; ça aide pour l’ouverture d’esprit…” 

CNVB, Arago de Sète, Équipe de France…

À six ans, la famille s’installe en France, au Touquet-Plage. Là, pas le choix du sport. Ce n’est ni terre de handball ni de rugby encore moins de cricket, des “sports que j’aurais pu pratiquer”. Il aurait pu, à l’adolescence, aussi, choisir le tennis en compétition où il excellait. Ou encore l’athlétisme : un explosif, disions-nous ! Ses grands-parents tiennent un hôtel-restaurant. Lui, fera ses gammes dès ses sept ans, avec un ballon de volley entre les mains “avec des potes de mon âge”. Le collectif : c’est ce qu’il préfère. Il est vite repéré pour ses qualités physiques naturelles.

En beach. DR.

La suite va très vite : il intègre le Pôle espoir puis le CNVB (Centre national du volley-ball), l’antichambre des futurs champions, à Montpellier ; toutes les équipes de France, dès les cadets. Puis c’est l’Arago et l’Équipe de France où il succède à Hubert Henno comme libero (joueur spécialisé dans la réception et la défense). Vu ses qualités hors normes, il se laisse tenter, ensuite, en 2012, par le beach volley, discipline encore plus exigeante physiquement, à deux sur 80 mètres carrés de sable. Fait la paire avec un premier coéquipier, Grégory Brachard. “On m’avait même, à l’époque proposé un contrat en or en Pologne ; 80 000 € la première année, 100 000 la deuxième…” Mais il refuse pour “garder mon équilibre personnel”. Avec une idée fixe : aller aux Jeux Olympiques… où il n’ira malheureusement jamais.

Il loupe deux fois les Jeux Olympiques

Les “Rolandsonkrou” (RK), comme on les appelle à l’époque, c’est la première paire française. “J’ai loupé deux fois la qualification pour les JO, remâche Edouard Rowlandson. Ça a été les plus gros moments de ma carrière…” Déception immense due à une première vilaine blessure : désinsertion du droit fémoral. En clair, déchirure du muscle qui permet la flexion de la cuisse, un an avant les JO de Rio 2016, “alors que l’on était classés avec mon partenaire 12e paire mondiale et que les 15 premiers se qualifiaient, on finit 17e…” Il gardera espoir pour les Jeux suivants. Mais, là encore, patatras, pour la paire française. “Youssef se blessera gravement à l’épaule et doit s’arrêter dix-huit mois…”

“C’est le burnout : je ne voulais plus toucher un ballon de volley…”

Aux Deux-Alpes, où il a repris un café avec son épouse. DR.

Entre les deux JO, Edouard Rowlandson, en 2016, craque. Là, “c’est le burnout ; je ne voulais plus toucher un ballon de volley…”, souffle ce diplômé de master 2 MBS en management des hommes et RH. Là on se rend compte des sacrifices… Des fêtes que l’on n’a pas faites avec les copains… Des rassemblements avec la famille où je n’ai pas pu aller…”, dit celui qui a deux enfants de trois ans et cinq ans. La situation est grave mais pas désespérée. Edouard Rowlandson ne se laisse pas abattre.

Seulement trois mois après cet épuisement total, il se lance, alors, dans… la restauration ! “On a alors repris avec ma femme un petit café à la française aux Deux-Alpes, où j’avais déjà un appartement, pour en faire un coffee shop, le Laurie’s Coffee, un concept qui existe notamment en Australie.”

Il créé un coffee shop avec son épouse aux Deux-Alpes

En même temps, Edouard Rowlandson se met au vert. Au menu, pas de sport “co” : de la rando, notamment. “J’étais même en train de passer le diplôme de moniteur de ski”, dit-il. Au bout de deux saisons réussies, le couple envisage même d’acheter un second troquet dans la station d’en face, l’Alpe d’Huez, mais reçoit en 2019 un appel de la FFVB, la fédé, pour rempiler. “J’accepte en vue de Tokyo…”

Avec seulement trois mois de préparation et deux ans et demi sans volley, il remporte un tournoi, à Montpellier, face à son ex-coéquipier Youssef Krou. Le destin est trop fort. Il est aussi cruel avec la blessure soudaine de Krou qui les empêchera de participer aux JO de Tokyo. Le report des JO en 2021 à cause du covid-19 a eu définitivement raison de ce projet dans lequel Edouard Rowlandson avait investi toute son énergie qu’il a dépensée “non stop depuis dix ans”.

Il respire l’honnêteté et la gentillesse. Il est passionné de trucs sains ; il aime le partage…”

Sandrine Di Stéfano

Fallait absolument rebondir. “C’était, soit je travaillais en entrant dans la vie active et j’arrêtais définitivement le volley, soit j’acceptais la proposition de la Fédé de continuer le beach et de m’entraîner – à Toulouse – pour à peine 10 000 € par an et avec le statut d’auto-entrepreneur… C’était impossible : j’ai une vie, une famille, une maison, un crédit… Je n’avais pas droit au chômage ; mon réseau pro ne répond pas à mes appels. Je suis chamboulé.” Il obtient quand même un CDI comme commercial dans une boîte puis une seconde, Kinvent, spécialisée dans les capteurs destinés aux kinés et préparateurs physiques. Un an plus tard, alors qu’il avait déjà créé Sport And Green, il se lance définitivement à son compte. Et il peut compter sur des amis fidèles.

C’est le cas de Sandrine Di Stéfano : “J’ai rencontré Edouard la première année où il jouait à l’Arago, se remémore-t-elle, on a tout de suite “accroché”. Il transpire la joie de vivre et le respect. quand on est ami avec lui, c’est pour la vie. Il ne fait pas semblant. Sa reconversion ? Je suis fan ! Il respire l’honnêteté et la gentillesse. Il est passionné de trucs sains ; il aime le partage…” 

Olivier SCHLAMA