Montpellier/Nîmes : Des commerces-refuges pour les femmes harcelées

Il suffira de prononcer le mot “Maguelone” en entrant dans une boutique du dispositif mis en place hier à Montpellier pour que le commerçant appelle les secours, si besoin. Il s’agit de lutter contre le harcèlement de rue et le sentiment d’insécurité. Nîmes avait été la première ville d’Occitanie à mettre en place il y a un an le sien, Angela, dont les résultats sont jugés “très positifs”.

De l’outrage sexiste au viol : Nîmes était, il y a tout juste un an, le 8 mars 2021, la première ville d’Occitanie a créer un tel dispositif d’information accompagnant la création d’un “réseau de bienveillance”. En quelques jours, 150 commerçants ont adhéré au dispositif. Une vraie prise de conscience. “Et un premier bilan très positif” (lire ci-après), selon Mylène Mouton, élue chargé de ce dispositif, baptisée à Nîmes, Angela, dont Dis-Leur vous a déjà parlé ICI.

Déjà cinquante magasins volontaires dans l’Ecusson

L’Ecusson, à Montpellier. DR.

La ville de Montpellier lui emboîte la pas. “En France, 86 % des Françaises ont été victimes d’au moins une forme d’atteinte ou d’agression sexuelle dans la rue au cours de leur vie, d’après une étude de la Fondation Jean Jaurès publiée en 2018”, souligne la ville de Montpellier qui vient, elle aussi, de mettre en place un dispositif quasi-identique, en partenariat avec la CCI de l’Hérault. “Une cinquantaine de magasins ont déjà adhéré”, se félicite André Deljarry, son président.

Le harcèlement de rue, le sentiment d’insécurité en ville est une réalité pour un grand nombre de femmes. Pourtant, la liberté d’aller et venir, de s’habiller comme on le désire est une liberté fondamentale”, commente le maire et président de la métropole, Michaël Delafosse. Qui compte aussi bientôt “proposer des cours de self-défense afin que les femmes apprennent à se défendre et à prendre confiance en elles. Nous mobilisons toute notre énergie pour faire bloc contre ce fléau et tendre ainsi vers une ville plus solidaire et égalitaire”.

Nous assistons doucement à une dégradation du climat à Montpellier qui n’est pas la seule ville concernée. Il est temps que les politiques se saisissent du harcèlement des femmes…”

Jacques Emprin

La boutique Emprin, rue Saint-Guilhem est une institution à Montpellier (1896 !), de génération en génération. Elle fait partie du dispositif. Jacques Emprin le dit sans détour : “Incivilités, agressions, clochards, tags… C’est davantage qu’un sentiment d’insécurité. Oui, nous assistons doucement à une dégradation du climat à Montpellier qui n’est pas la seule ville concernée. Il est temps que les politiques se saisissent de cette question du harcèlement des femmes. C’est important dans une démocratie”. Il ajoute : “Il n’y a pas de commerces sans ville et pas de ville sans commerces…” La CCI dispose aussi d’une application, Destination 34, dans laquelle un onglet sur les commerces participants à “Maguelone” pourra être installé.

Un seul mot pour code : Maguelone

La Comédie, à Montpellier. DR

Chaque commerce participant fait ainsi partie d’un réseau de zones refuges géolocalisables et identifiables au moyen d’un sticker apposé sur les vitrine. Les commerçants, eux, suivront une formation pour savoir réagir, pour savoir qui appeler en cas de harcèlement, qui est d’ailleurs puni par la loi depuis trois ans (ci-dessous) : un proche, la police… Et les femmes qui se sentent harcelées pourront s’y réfugier après avoir dit le mot de passe : “Maguelone” qui a donné son nom au dispositif. Même s’il n’est pas obligatoire, bien entendu. En donnant ce code, le commerçant sait exactement que c’est une situation de harcèlement et ira jusqu’à appeler à police. C’est aussi une manière de dire aux potentiels agresseurs que les femmes doivent pouvoirs circuler librement et sans crainte dans nos villes.

Peut-être bientôt ensuite Béziers et Sète

“Nous aimerions monter à une centaine de magasins volontaires dans l’Ecusson, le centre-ville historique de Montpellier”, précise André Deljarry. Où règne, historiquement, une délinquance importante. “Nous avons trois thèmes qui nous tiennent à coeur : la sécurité, la propreté et l’accessibilité en ville des parkings. Quand le maire nous a contactés, nous avons été immédiatement partie prenante. Est-ce que d’autres villes pourraient reprendre ce dispositif ? Oui, je pense à Béziers ou Sète et plus tard, pourquoi pas, à Clermont-L’Hérault ou Lunel.” Pour accueillir ces femmes, appréhender leurs besoins, les mettre en sécurité, leur porter assistance. A terme, la “de nombreux équipements de la ville et de la Métropole deviendront aussi des zones refuges”.

Le bon bilan du dispositif Angela à Nîmes

À Nîmes, Mylène Mouton dit : “En un an, sept femmes ont pu se réfugier dans un commerce, dont quatre font partie de notre dispositif. Le lancement de notre dispositif  “Angela” n’était pas un one shot pour la Journée internationale des droits des femmes. Il est amené à durer. D’ores et déjà, il fait tâche d’huile. Ainsi, aux quelque 150 commerçants déjà sensibilisés et formés, nous avons proposé la même chose auprès des agents de neuf de nos établissements communaux recevant du public : le musée de la Romanité, la piscine Nemosa, et trois centres sociaux, etc.”

72 agents municipaux formés

Au total, 72 agents municipaux ont été là aussi formées. “On n’attend aucun retour sur investissement, si je puis dire. C’est un service important que nous rendons. Ce dispositif n’est pas réservé au centre-ville mais aussi à des quartiers de la politique de la ville.” L’élue ajoute avoir participé à une réunion sur ce thème avec les services de Montpellier. Et qu’elle a répondu favorablement à une demande de “rendez-vous justement ce jeudi 10 mars avec le maire d’Arles, Patrick de Carolis.”

Quand nous sommes arrivés à la mairie, nous avons été “inondés” de plaintes de la part de femmes et aussi d’hommes de la communauté LGBT pour agression…”

Fatma Nakib, maire-adjointe aux droits des femmes

En écho, Fatma Nakib, maire-adjointe aux droits des femmes, explique qu’effectivement, “les bons résultats de Nîmes nous ont confortés dans notre projet de créer ce dispositif. On avait eu connaissance d’autres dispositifs, notamment liés à des applications smartphone, mais souvent payantes. Or, les femmes ne doivent pas payer pour se sentir en sécurité. Ce dispositif Maguelone est complémentaire d’une autre application, Flag, avec laquelle nous avons signé un partenariat et qui s’adresse plus particulièrement aux personnes LGBT.”

L’élue confie encore : “C’était le bon moment aussi car il n’y a plus de confinement liés au covid et que la délinquance, de la bouche-même du préfet, a baissé de 40 % en centre-ville et de 20 % hors centre-ville par rapport à 2020. Quand nous sommes arrivés à la mairie, nous avons été “inondés” de plaintes de la part de femmes et aussi d’hommes de la communauté LGBT pour agression… On a voulu faire quelque chose d’utile.” “Maguelone” est promise à faire “tâche d’huile” à être étendue à des établissements publics comme l’Opéra, l’office de tourisme ou le Corum.

Un concept né en Grande-Bretagne en 2016

Béatrice Bertrand est la directrice du CIDFF (Centre d’information sur les droits des femmes et des familles) du Gard. Elle replace l’initiative qui était jusqu’à aujourd’hui quasi-unique en France de la ville de Nîmes. “Ce concept, Ask For Angela (de ange, qui protège) est né en Grande-Bretagne en 2016. En France, la première ville qui l’a expérimenté, c’est Rouen en 2017, via un groupe d’étudiantes. Puis, il n’y eut que deux autres villes qui l’ont adopté : Caen et Reims. C’est dans cette dernière ville que ma fille a eu connaissance d’une association, I For She, une branche de l’ONU féminin, qui avait aussi participé au déploiement d’un tel dispositif, précise Béatrice Bertrand. 

D’autres villes s’intéressent au dispositif

Et d’ajouter : “À Nîmes (et Montpellier, NDLR, la différence, c’est que tous les commerces peuvent participer, pas seulement les bars et restaurants comme dans les autres villes.” Aujourd’hui, elle confirme la pertinence de ce concept : “À Nîmes, cela fonctionne avec les commerçants que nous avons formés et sensibilisés. Et d’autres villes en France s’intéressent à notre dispositif : les CIDFF d’Avignon ou de Lyon m’ont déjà contactée…”

86 % des femmes disent avoir été harcelées

 

Déléguée départementale des droits des femmes et à l’égalité du Gard au sein de la direction départementale de la cohésion sociale du Gard, Sandrine Bonnamich rapportait l’année dernière que, “ce dispositif national avait été créé par Marlène Schiappa et que la loi de 2018 complète les violences faites aux femmes par “l’outrage sexiste”. Certes, dans le Gard, on a compabilisé, depuis 2018, seulement 12 infractions à caractères sexistes, quatre en zone police, 8 en zone gendarmerie mais ce n’est que la partie visible du problème ; ce ne sont que les cas où l’on a pu établir un flagrant délit. En revanche, on sait que c’est un problème massif : 86 % des femmes disent avoir été harcelées et 100 % d’entre-elles dans les transports. Enfin 8 femmes sur 10 disent avoir peur de se déplacer le soir. C’est aussi pour cela que nous avons intégré des taxis à ce dispositif.”

Le harcèlement de rue puni par la loi

Depuis le 3 août 2018, le harcèlement de rue (outrage sexiste) est puni par la loi. Et passible d’une amende de 750 € pouvant aller jusqu’à 3 000 € en cas de récidive. Pourtant 55 % des femmes disent avoir déjà été victimes d’injures dans la rue ou les transports en commun et un sur cinq d’injures sexistes en 2020. Le dispositif Angela a été promu par Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.

Olivier SCHLAMA

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