Harcèlement de rue : À Nîmes, les commerces sont aussi des refuges

Lancement dispositif Angela Nîmes

De l’outrage sexiste au viol : Nîmes est la première ville d’Occitanie a créer un tel dispositif d’information accompagnant la création d’un “réseau de bienveillance”. En quelques jours, 150 commerçants ont adhéré. Une vraie prise de conscience.

Cécile Lopez a tout de suite dit : “Oui !” La gérante des Lunettes de Cécile en plein coeur de l’Ecusson à Nîmes n’a pas hésité une seconde. “J’ai un magasin d’angle et un local qui peut servir de refuge de 50 m2, avec un escalier dérobé et une porte de sortie qui donne sur une rue adjacente…”

Pour cette Parisienne d’origine, d’abord installée à Pézenas, puis près de la Maison Carré, participer à un dispositif d’envergure était “naturel”, comme l’ont fait, en quelques jours, 150 autres commerçants nîmois qui ont apposé un autocollant sur leur vitrine #ouestangela, qui est aussi mot de passe pour les victimes. Et qui fait partie de “Angela”, du nom d’un dispositif unique, que portent localement la ville de Nîmes, la préfecture du Gard et le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles du Gard (CIDFF) grâce auquel toute personnes victime d’un harcèlement de rue, d’une agression voire puisse puisse se réfugier dans un commerce partenaire.

“J’ai été moi-même harcelée jusque dans mon magasin où un détraqué m’avait poursuivi…”

“L’idée de harcèlement ou de violences m’est insupportable en 2021, que ce soit pour une femme ou un homme”, poursuit Cécile Lopez, l’opticienne. Désormais, une personne agressée n’aura “plus besoin de se terrer ou d’errer”, dit-elle. Dès qu’elle se sent en danger, elle peut entrer préférentiellement dans une boutique participant à ce programme. Ce sont des zones refuge. “J’ai été moi-même harcelée jusque dans mon magasin où un détraqué m’avait poursuivi…” La commerçante note surtout la récente “prise de conscience collective”. Enfin, Cécile Lopez a accueilli avec intérêt la visite le jour de la Journée des droits des femmes, de la préfète, nouvellement nommée et porte l’espoir que “les harcèlement ne resteront pas majoritairement impunis et que les forces de l’ordre interviennent rapidement si besoin…”

Accueillir la victime, adapter le niveau d’alerte

Le gérant d’un magasin Jeff de Bruges, également en centre-ville de Nîmes, complète : “Adhérer en tant que commerçant, c’est complètement naturel ; mais ce dispositif ne devrait pas exister…” Sous-entendu, personne ne devrait agresser une femme. Il avoue qu’en trois ans qu’il tient boutique “il n’a eu connaissance d’aucun fait marquant”. Il a suivi une sensibilisation en visioconférence sur le harcèlement menée par le CIDFF. “Tout le monde a pu poser ses questions : comment accueillir une victime, adapter le niveau d’alerte (faut-il appeler une personne de confiance ou la police…)”

Il y a un vrai besoin, à Nîmes comme ailleurs. En 24 heures, 90 commerçants se sont inscrits à ce dispositif et ils sont plus de 150 aujourd’hui”

Béatrice Bertrand, directrice du CIDFF du Gard

Béatrice Bertrand est la directrice du CIDFF du Gard, justement. Elle replace l’initiative quasi-unique en France de la ville de Nîmes. “Ce concept, Ask For Angela (de ange, qui protège) est né en Grande-Bretagne en 2016. En France, la première ville qui l’a expérimenté, c’est Rouen en 2017, via un groupe d’étudiantes. Puis, il n’y eut que deux autres villes qui l’ont adopté : Caen et Reims. C’est dans cette dernière ville que ma fille a eu connaissance d’une association, I For She, une branche de l’ONU féminin, qui avait aussi participé au déploiement d’un tel dispositif, précise Béatrice Bertrand. A Nîmes, la différence, c’est que tous les commerces peuvent participer, pas seulement les bars et restaurants comme dans les autres villes.”

De l’outrage sexiste au viol : c’est le CIDFF qui s’occupe de la phase sensibilisation. “On explique aux commerçants participants les bons réflexes, les bonnes paroles à tenir envers la victime.” Et, dit-elle, “il y a un vrai besoin, à Nîmes comme ailleurs. En 24 heures, 90 commerçants se sont inscrits à cette sensibilisation et ils sont plus de 150 aujourd’hui.” Boutiques de prêt-à-porter, agences immobilières, épiceries, restaurants, cavistes, animaleries, boutiques de décoration… plus de 150 commerces nîmois ont répondu présent. “Nous leurs avons aussi confectionné une “fiche réflexe”. Ce que nous avons cherché à faire c’est de créer un réseau de bienveillance. Une chaine d’entraide. En 2018, il y a eu deux cas de féminicide dans la rue…”

Depuis 2018, l’outrage sexiste est puni par la loi

Depuis le 3 août 2018, le harcèlement de rue (outrage sexiste) est puni par la loi. Et passible d’une amende de 750 € pouvant aller jusqu’à 3 000 € en cas de récidive. Pourtant 55 % des femmes disent avoir déjà été victimes d’injures dans la rue ou les transports en commun et un sur cinq d’injures sexistes en 2020. Le dispositif Angela a été promu par Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.

“86 % des femmes disent avoir été harcelées”

Déléguée départementale des droits des femmes et à l’égalité du Gard au sein de la direction départementale de la cohésion sociale, Sandrine Bonnamich rapporte que, “ce dispositif national avait été créé par Marlène Schiappa et que la loi de 2018 complète les violences faites aux femmes par “l’outrage sexiste”. Certes, dans le Gard, on a compabilisé, depuis 2018, seulement 12 infractions à caractères sexistes, quatre en zone police, 8 en zone gendarmerie mais ce n’est que la partie visible du problème ; ce ne sont que les cas où l’on a pu établir un flagrant délit. En revanche, on sait que c’est un problème massif : 86 % des femmes disent avoir été harcelées et 100 % d’entre-elles dans les transports. Enfin 8 femmes sur 10 disent avoir peur de se déplacer le soir. C’est aussi pour cela que nous avons intégré des taxis à ce dispositif.”

Quand j’ai vu le nombre de femmes qui racontaient ce qu’elles mettaient en oeuvre par peur, j’ai constitué un bon gros dossier et je suis allé voir le maire…”

Mylène Mouton, élue nîmoise.

Mylène Mouton est la cheville ouvrière de Ask for Angela dans la cité de la célèbre brandade. Elle est la première conseillère déléguée au Droit des femmes, à l’égalité, à la lutte contre les discriminations et à l’aide aux victimes de la ville de Nîmes. Que dit-elle cette élue, par ailleurs cette cheffe d’entreprise ? “Tout est parti d’une volonté du maire de créer cette délégation il y a un an.” Et puis les choses se sont accélérées. “En juillet 2020, peu de temps après sa réelection, deux femmes ont été violemment tabassées. Ça  été un électrochoc pour tous. Un collectif de citoyens s’est créé qui a mis au point un questionnaire ; quand j’ai vu le nombre de femmes qui racontaient ce qu’elles mettaient en oeuvre par peur, en prenant la voiture pour faire 200 mètres, en faisant un détour pour éviter une bande qui avait l’habitude de les ennuyer, j’ai constitué un bon gros dossier et je suis allé voir le maire.”

Et d’ajouter : “On a mis au point deux buts : offrir un lieu de sécurisation des victimes et informer les gens sur les limites de la drague et du harcèlement, par exemple. Ma première crainte, c’était l’adhésion des commerçants à ce dispositif, surtout en cette période compliquée pour les affaires. Et qu’ils n’ont rien à y gagner. Si ce n’est un élan d’humanité…”

Olivier SCHLAMA

(1) Agréée par l’Etat, le CIDFF se charge d’organiser des sessions de formation-sensibilisation aux commerçants adhérents volontaires au dispositif Angela. L’association a pour mission de favoriser l’autonomie sociale, professionnelle et personnelle des femmes, de faire évoluer leur place dans la société et contribuer à développer l’égalité entre les femmes et les hommes.

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