Méditerranée : Les pêcheurs s’opposent aux éoliennes en mer dans… les zones “vitales”

Olivier Le Nézet, président du comité national des pêches. Photo : Jean PIEL.

Organisé par une instance indépendante, la CNDP (Commission nationale du débat public), le débat sur les éoliennes flottantes en Méditerranée, qui avait débuté le 20 novembre 2023, est clos depuis le 26 avril. Tout citoyen a pu y participer. Les professionnels de la mer également qui ont remis “un cahier d’acteur” (leurs propositions) face à ce projet qui modifiera leurs pratiques. Entretien avec Olivier Le Nézet, président du Comité national des pêches.

Président du Comité national des pêches, Olivier Le Nezet dit : “Des éoliennes, pourquoi pas, mais pas dans ces zones-là ! Le vrai sujet, c’est l’exercice d’une planification transversale. Le pêcheur, à la base, est contre l’éolien. Ce qui est logique et normal”, dit-il. Comme Dis-Leur vous l’avait expliqué ICI, les pêcheurs de Méditerranée avaient exprimé leur profond désaccord, à Sète, notamment, en août 2021, sur ce sujet. Pour ces derniers, “ce projet d’éoliennes en mer est une menace”. En outre, les responsables de la profession avaient argué à l’époque que : “Il est, de plus, une forme de privatisation de l’espace maritime et une forme d’industrialisation” (1).

Pêche fraîche : 51 M€ par an et 18 000 tonnes pêchées

Opération de mesures des espèces issues d’un trait de chalut, illustrant le travail d’une observatrice halieutique à bord du “Jean-Louis Vincent”, au large de Sète. Ph. Olivier Dugornay, Ifremer

La sentence de la Sathoan n’avait pas été une surprise. Incontournable, l’organisation n’avait-elle pas quelques jours avant annoncé la couleur en publiant – déjà – “Un cahier d’acteur” – une contribution écrite – qui a été versé à la concertation ? Plus grosse coopérative française, la Sathoan, c’est 100 navires répartis dans 30 ports en Méditerranée, 30 M€ de chiffre d’affaires annuel et 350 marins embarqués. Sachant que le chiffre d’affaires global de la pêche fraîche – celle, artisanale, pratiquée en Méditerranée – est de 51 M€ par an pour 18 000 tonnes pêchées. Et que l’Hexagone compte 1 300 unités de pêche pour une filière comptant 2 000 marins-pêcheurs embarqués, soit 13 % de l’emploi national du secteur.

“Il y a une volonté de l’État de réaliser ces éoliennes”

Infographie : CNDP

“En quoi la pêche sera-t-elle impactée par ces éoliennes ? Nous sommes les premiers lanceurs d’alerte !”, avait ainsi formulé il y a trois ans Bernard Pérez, le toujours président du Comité régional des pêches de Méditerranée, arc-bouté contre ce projet. Aujourd’hui, son président national change sensiblement de ton. Président du Comité national des pêches, Olivier Le Nezet reprend : “Il y a une volonté de l’État de réaliser ces éoliennes. Il y a deux options : soit on joue le jeu de la chaise vide soit on participe au projet.” Lui, demande à être associé – ce qui est déjà le cas – et que l’on entende toutes les instances de la pêche à l’instar des conseils maritimes de façade pour défendre les intérêts des pêcheurs et, en l’occurence, en proposant de déplacer les zones éoliennes ailleurs que dans les zones poissonneuses.

Je ne dis pas que nous n’en voulons pas mais que si cela nous est imposé dans des zones où c’est vital pour nos métiers, où cela va nous impacter, c’est non, pas dans ces zones-là !”

Olivier Le Nézet, président du comité national des pêches

Et que dit le monde de la pêche ? “Le pêcheur, à la base, est contre l’éolien”, mais Olivier Le Nezet tient à préciser : “Il y a deux phases du développement de l’éolien en mer, celle de 2035 et celle de 2050. La première, nous n’y sommes pas favorables telle qu’elle est prévue. Point. Je ne dis pas que nous n’en voulons pas mais que si cela nous est imposé dans des zones – que nous avons définies avec nos propres outils – où c’est vital pour nos métiers, où cela va nous impacter, c’est non, pas dans ces zones-là ! Ce que propose l’État dans cette première partie ne correspond pas du tout à ce que nous souhaitons. Il y a des propositions beaucoup plus au large et d’ailleurs dans notre cahier d’acteur, nous le disons clairement : pour nous, le minimum c’est 100 mètres de fond. Et même au-delà : il faut réviser le programme et les objectifs de 2035 que l’on n’atteindra pas à cette date ! L’État a une obligation de préserver la pêche.”

“Tout le monde est d’accord sur un point : tout le monde est contre ce projet”

Que feront les pêcheurs s’ils ne sont pas entendus ? “On va attendre d’abord le rapport de la concertation de la CNDP d’ici fin juin”, note Olivier Le Nezet. “Elus des territoires, associations environnementales, etc. : tout le monde est d’accord sur un point : tout le monde est contre ce projet.” Avant d’ajouter : “La pêche et la filière halieutique dans son ensemble avec notamment la conchyliculture, nous sommes aujourd’hui d’intérêt public majeur : on est là pour nourrir la population ; il n’y a pas les uns sans les autres. Ou les uns contre les autres. La pêche participe d’abord à la souveraineté nationale.”

Compensation pécuniaire

L’association Bloom explique aussi que les pêcheurs sont contre sans l’être tout à fait pour une raison pécuniaire : les différents comités des pêches récupèrent 35 % de la taxe éolienne, “ce qui incite le lobby de la pêche à pousser pour l’installation de parcs à proximité des côtes, contre l’avis général”. Olivier Le Nézet répond : “Il suffit de lire la loi : une clef de répartition a été définie : une participation est prévue autant pour la SNSM (les Sauveteurs en mer) que pour l’OFB (Office français de la biodiversité) que pour les collectivités et, eh oui, les comités des pêches. C’est normal dès lors que ce projet a un impact sur nos activités. C’est une compensation.”

Situation “compliquée” de la pêche

Remorquage du chalut de fond par L’Europe pendant la campagne ECAP-MEDITS 2022. Ph. Stéphane Lesbats, Ifremer

Dérèglement climatique où les pêcheurs sont les premières victimes, manque de plancton, etc. : la situation de la pêche, aujourd’hui, est “compliquée“, de l’aveu du président du Comité national. “Même si le retour du thon rouge de Méditerranée est une bonne nouvelle comme la coquille Saint-Jacques ou la langouste rouge dans l’Atlantique : exemplaires. Cela montre que lorsqu’une situation est bien gérée, les stocks se restaurent et on devrait s’en féliciter. Les pêches européennes sont les plus durables dans le monde.” Avec un bémol : en Méditerranée, la surpêche baisse mais elle touche encore 20 % des poissons débarqués. Et en Méditerranée – 18 000 tonnes pêchées par an – elle baisse aussi mais plus de la moitié des stocks ne sont pas… suivis ! Comme Dis-Leur vous l’a explicité ICI. Contre 347 000 tonnes de poissons débarqués au nioveau national.

“Nouvelle flotte engagée dans la transition énergétique”

“Bloom et les autres associations ? Mais que font-elles contre les 7 000 navires chinois qui pêchent 39 % des ressources marines dans le monde ? On ne les entend pas non plus sur les pêcheries russes, qui utilisent des prisons-flottantes… Les avancées en matière de protection de la biomasse sont importants. Je rappelle que le rendement maximum durable est passé de 4 % en 2000 à 60 % des stocks. Le sujet aujourd’hui c’est comment on fait pour renouveler une flotte de pêche bientôt plus vieille qu’un patron-pêcheur qui part à la retraite, à 55 ans ; comment fait-on pour les départements d’Outre-Mer ? Et pour nos pêcheurs en métropole – je vois des jeunes de 25 ans qui envisagent d’acheter des bateaux de 35 ans… Ce n’est pas possible…! Il faut une nouvelle flotte engagée dans la transition énergétique. Et il faut (re)donner aux jeunes l’envie de nos métiers…”

Olivier SCHLAMA

  • (1) Sur l’éolien en mer, le gouvernement veut aller vite, très vite. Déjà, les premières puissances ont été décidées pour les éoliennes flottantes en Méditerrannée. Et qui a suscité beaucoup de réticences. Et la Commission nationale du débat public, instance totalement indépendante, avait été saisie une nouvelle fois, conformément à la loi, pour organiser une nouvelle concertation sur l’agrandissement des deux parcs avant que ceux-ci n’aient vu le jour. La raison ? Devenir de plus en plus indépendants en énergie. Vite. Ces quelques dizaines d’éoliennes flottantes doivent être réparties en deux parcs, l’un en face de Fos-sur-Mer, le second au large de Port-la-Nouvelle. Leur puissance sera de deux fois 250 mégawatts chacune à l’horizon 2031 ; puis, de deux fois 500 mégawatts en 2035. Et il est donc désormais question de passer de 4 gigawatts à 7,5 gigawatts de puissance à l’horizon 2050 pour une emprise en mer de 400 km2 à 1 5 00 km2. C’est-à-dire concrètement de voir flotter plusieurs centaines de mâts culminant à plus de 250 mètres de hauteur, peut-être cinq cents, au final. Ce passage à l’industrialisation massive et à la création d’une filière industrielle est l’objet d’un webinaire public

Selon le “cahier d’acteur du CNPMEM :
– appelle à définir une véritable planification maritime globale intégrée, replaçant la pêche professionnelle au centre des enjeux, lui permettant ainsi de continuer à contribuer au tissu patrimonial et à l’aménagement des territoires et à la souveraineté alimentaire de la France. L’Etat doit ainsi reconnaître trois principes d’égal niveau dans l’exercice de planification maritime : autonomie énergétique, protection de l’environnement et renforcement de la souveraineté alimentaire.
– estime qu’il appartient à l’Etat d’associer à ses objectifs énergétiques les conditions de possibilité de la pérennité de la pêche professionnelle en apportant une solution aux enjeux structurels majeurs auxquels elle est soumise: transition énergétique des navires, réchauffement des eaux, pollutions telluriques etc.).
– plaide en faveur d’un juste équilibre entre les objectifs de conservation et les impératifs socio-économiques, en particulier à travers les zones sous protection forte (ZPF).
– insiste sur la participation des parties prenantes dans la mise en œuvre des ZPF, tout en garantissant le respect des organes de gouvernance actuels des aires marines protégées.
– est disposé à travailler sur les conditions du déploiement des EMR avec les Comités des pêches et les services de l’Etat, mais n’acceptera pas une planification mettant en péril l’avenir de la pêche professionnelle française.

Dis-Leur !, ce n’est pas du vent !

Pêcheurs de Méditerranée : “Ce projet d’éoliennes en mer est une menace…”