Méditerranée : La surpêche baisse mais plus de la moitié des stocks ne sont pas suivis…

Opération de mesures des espèces issues d'un trait de chalut, illustrant le travail d'une observatrice halieutique à bord du "Jean-Louis Vincent",  chalutier de 25 mètres, au large de Sète, dans le cadre du projet ObsMer. ObsMer (Observation des captures en mer) est un projet lancé en 2003.  Ph. Olivier Dugornay, Ifremer    

En France, la surpêche touche encore 20 % des poissons débarqués. En Méditerranée, cela n’excède pas 10 % des 18 000 tonnes pêchées mais avec un biais énorme : même pris en compte, 54 % des tonnages ne sont pas évaluables, dont le poulpe, le maquereau et la dorade royale “difficiles à suivre”, dit l’Ifremer dans son rapport annuel.

Y aura-t-il encore du poisson dans nos assiettes dans vingt ans ? Impossible à dire même si la politique commune des pêches (PCP), gérée par l’Union européenne, avec des quotas ambitieux pour limiter la surpêche, a montré en partie son efficacité. Les stocks “reconstituables” de thon rouge sont, par exemple, au beau fixe, ou celle des rougets, “en bon état”. “En Europe, explique Clara Ulrich, halieute qui coordonne ces études à Ifremer, les courbes montent un peu partout ; il faut dire que l’on partait d’assez bas il y a 20 ans. Au niveau mondial, on est en au même point au niveau des stocks mais les trajectoires sont différentes ; beaucoup d’espèces n’étaient pas exploitées. De plus, on manque d’infos…”

“Loin de l’objectif de 100 % des populations pêchées au niveau du rendement maximum durable”

Et d’ajouter :  En France, “la surpêche touche quant à elle 20 % des volumes des débarquements, et 2 % proviennent de populations considérées comme “effondrées”. Une progression donc peu marquée avec des chiffres qui sont encore loin de l’objectif de 100 % des populations pêchées au niveau du rendement maximum durable (RMD) fixé par la Politique commune de la pêche.” Ce n’est pas le cas en Méditerranée où ce chiffre n’excède pas 10 % mais avec un biais énorme : plus de la moitié des prises ne sont pas évaluées (lire ci-dessous).

Méditerranée : 18 000 tonnes de poissons pêchées

Opération de mesures des espèces issues d’un trait de chalut, illustrant le travail d’une observatrice halieutique à bord du “Jean-Louis Vincent”,  chalutier de 25 mètres, au large de Sète, dans le cadre du projet ObsMer. ObsMer (Observation des captures en mer) est un projet lancé en 2003.  Ph. Olivier Dugornay, Ifremer

En Méditerranée, en 2000, on pêchait 33 000 tonnes de poissons. Ce chiffre a été quasiment divisépar deux en vingt ans : en 2022, explique Clara Ulrich de l’Ifremer, l’Institut français de recherche en mer, le tonnage s’évalue à quelque 18 000 tonnes par an. Contre 347 000 tonnes pêchées en France (1). “C’est un chiffre stable par rapport à 2022.” Mais qui ne représente que 20 % de ce que nous mangeons en France : 80 % des poissons que nous consommons est… importé.

Thon rouge, 30 % des volumes débarqués

En Méditerranée, “le volume total des débarquements est stable, indique le rapport qu’elle a coordonné. Il atteint 18 000 tonnes en 2022, comme en 2010, contre 16 000 tonnes en 2021. La problématique sur cette façade reste que seuls 2,5 % des volumes de poissons débarqués sont issus de populations en bon état (rouget de vase du golfe du Lion – contre 2,4 % en 2021 et zéro pour cent en 2010). 34 % sont néanmoins issus de populations reconstituables ou en voie de reconstitution (notamment avec le thon rouge qui représente environ 30 % des volumes débarqués) ce qui porte la part des volumes de poissons exploités durablement à 36,5 %. A noter que 54 % des débarquements sont issus de populations de poissons qui ne sont pas évaluées (dont le poulpe, le maquereau et la dorade royale)”.

Réchauffement climatique et manque de planton

L’incertitude est majeure. Malgré la PCP, certains stocks – pas forcément en Méditerranée – comme la sole du Golfe de Gascogne, le merlu (l’espèce la plus pêchée) dont les populations s’effondrent partout ou le hareng de la Mer du Nord (2e espèce la plus pêchée) ne voient pas leurs stocks reprendre du poil de la bête. Pourquoi ? Les scientifiques essaient de comprendre et avancent une hypothèse, probablement liée au réchauffement climatique : “On observe un décalage entre le pic de larves de poissons et le boom planctonique qui n’est pas forcément au rendez-vous et dont elles se nourrissent. Il semble y avoir un rôle du changement climatique dans cette désynchronisation…”, précise Clara Ulrich, coordinatrice des expertises halieutiques à l’Ifremer.

“Beaucoup des espèces débarquées ne font pas l’objet d’une évaluation”

Remorquage en Méditerranée du chalut de fond par L’Europe pendant la campagne ECAP-MEDITS 2022.Ph. Stéphane Lesbats, Ifremer

Il s’agit d’un biais important : quelque 340 espèces sont remontées dans les filets des chaluts français mais certains débarquements sont “difficiles à suivre et à estimer, pointe Clara Ulrich. Il y a même quelques espèces locales qui ont des cycles de vie particuliers comme la seiche, le calmar ou le poulpe de Méditerranée qui ont une certaine importance économique mais que l’on ne peut pas vraiment suivre”, confie Clara Ulrich.

Elle précise : “(…) Une cinquantaine d’espèces contribuent à 95 % des volumes débarqués. Beaucoup des espèces débarquées ne font pas l’objet d’une évaluation, c’est-à-dire d’un suivi scientifique des tendances (catégorie “non évalué”) ; elles sont néanmoins prises en compte dans ce bilan en volume et représentent 20 % des débarquements totaux. D’autres populations, évaluées, ne peuvent néanmoins pas être classifiées par rapport à l’objectif RMD, du fait de la difficulté d’établir des niveaux de référence (catégorie “non classifié”) ; elles ne représentent plus que 2 % des débarquements totaux en 2022.”

“56 % des volumes de poissons débarqués dans l’Hexagone proviennent des stocks exploités durablement”

La scientifique ajoute plus globalement sur l’ensemble des façades françaises : “En 2023, 49 % de la population de poissons débarqués est en bon état (47 % en 2022) et 7 % sont exploitées durablement.” Au total, pour l’Ifremer, “56 % des volumes de poissons débarqués dans l’Hexagone proviennent des stocks exploités durablement, soit une très légère progression”, a précisé Youen Vermard, lui aussi halieute à l’Ifremer.

Tri du poisson lors de la campagne d’évaluation halieutique EVHOE 2019. Avant d’être mesurés, sexés et âgés, les poissons sont triés par espèces dans des bacs qui sont ensuite pesés. Pour une évaluation de la quantité de poissons par espèces présente dans le golfe de Gascogne.
Ph. Stéphane Lesbats, Ifremer

Clara Ulrich souligne : “Le renouvellement des populations de poissons reste fragile. Sur 100 000 larves, 1 % deviennent des poissons. Un mauvais recrutement sur une année peut suffire à causer une diminution importante de la biomasse les années suivantes”, insiste-t-elle. Et d’ajouter : “Pour que la pêche soit durable, il faudrait non seulement atteindre l’objectif de 100% des populations de poissons en bon état mais aussi s’y maintenir sur le long terme. Pour cela, il faut considérer et mieux comprendre les facteurs qui influencent le développement des œufs et des larves de poissons, en particulier avec le changement climatique.”

Les pêcheurs amateurs appelés à se déclarer…

C’est dans ce contexte également que les pêcheurs amateurs de Méditerranée sont appelés à se déclarer et à déclarer leurs prises… Comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. L’Ifremer a proposé aux pratiquants, sétois dans un premier temps – Sète est test -, de se compter grâce à son application, Catch Machine. “Il s’agit d’anticiper” sur l’avenir de la ressource en zone côtière. De quoi, aussi, préparer les esprits : l’UE aimerait que, d’ici 2028, la déclaration des pêcheurs devienne obligatoire suivie peut-être de celle des captures. La liberté de pêcher, sans en rendre compte à personne, vit peut-être ses dernières années…

Et si on allait vers la pêchécologie…?

Juvéniles de hareng (à 70 jours post-éclosion), obtenus par fécondation artificielle. Ph. Ph. Olivier Dugornay, Ifremer.

Le spécialiste des pêches Didier Gascuel, prône un changement de paradigme en tenant compte de tout l’écosystème : pêcher le poisson quand il est adulte ; sélectionner davantage les espèces ou mieux protéger les fonds marins… Cela s’appelle la pêchécologie, néologisme qui marie écologie et économie halieutique. Il explique aussi pourquoi les aires marines protégées ne le sont pas. Sans parler de l’aquaculture… Car, depuis les premiers hameçons, il y a 15 000 ans, l’homme n’a eu de cesse d’améliorer ses engins… jusqu’à la surpêche.

En tout cas, l’analyse présentée ce jour montre l’évolution légèrement positive de l’état des ressources et de leur exploitation au cours des vingt dernières années, puisque en 2000, “la part dans les débarquements français des populations estimées non surpêchées (i.e. en bon état ou reconstituables) ne représentait que 18 %, alors que cette part était de 56 % en 2022. Cependant, l’amélioration du statut des débarquements en France hexagonale, forte entre 2008 et 2017 marque le pas depuis, et l’amélioration entre 2021 et 2022 est limitée, puisque cette part était de 54 % en 2021″.

Olivier SCHLAMA

(1) Les débarquements de poissons en France hexagonale en 2022 totalisent 347 000 tonnes. Ils sont en augmentation suite aux débarquements plus faibles de la période 2019-2021 (325 000 tonnes par an environ) sans pour autant atteindre les 400 000 tonnes débarquées annuellement entre 2010 et 2018. Pour autant, malgré ces variations des volumes de poissons débarqués, l’évaluation 2023 de l’état des populations révèle une répartition stable par rapport à 2022.

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