Pêcheurs de Méditerranée : “Ce projet d’éoliennes en mer est une menace…”

La pêche a été étudiée depuis longtemps. À preuve : pour détendre l'atmosphère - il n'y eut aucune pause - Etienne Ballan, président de la Commission du débat public, a montré de vieux livres d'études, dont un Sciences et pêche, de 1966. Année où la ville de Sète fêtait son 300e anniversaire... Photo : Olivier SCHLAMA

Fragile, la filière pêche parle d’une seule voix : les éoliennes flottantes en Méditerranée, c’est non. Les professionnels l’ont exprimé ce vendredi à Sète lors d’une réunion organisée par la Commission du débat public en vue d’un projet de 50 machines flottantes lancé par le ministère de la Transition écologique.

“Ce projet d’éoliennes flottantes en mer constitue une menace. Il est, de plus, une forme de privatisation de l’espace maritime et une forme d’industrialisation.” Sans crier gare, la sentence du directeur général de l’organisation de producteurs Sa.Tho.An (sardines, thons, anchois), le Sétois Bertrand Wendling, tombe au beau milieu d’une démonstration technique sur les balises des bateaux. Et ce, au milieu, plus largement d’un panorama, d’un “état des lieux” exhaustif de l’état des pêcheries de Méditerranée – 10 % de la pêche au niveau national – que dresseront, tour à tour, les représentants des pêcheurs présents à la Maison de la Mer de la Région (ex-CCI de Sète). Personne n’a rebondi à cette incise définitive. Équanimité sur le sujet.

50 moulins à vent au large du Golfe du Lion

Réunion du monde de la pêche à Sète sur le projet d’éoliennes flottantes en Méditerranée le 27 août 2021. Olivier SCHLAMA

Le projet consiste à implanter cinquante moulins à vent flottants, au large du Golfe du Lion et de Paca, d’ici 2028 dans une zone de 3 300 km2, entre 15 km et 60 km au large. Tout le monde peut donner son avis en ligne ou lors de réunions. L’État et RTE ont lancé la concertation, via la Commission nationale de débat public. La décision sera prise – ou pas – en 2022, quelques semaines avant la présidentielle.

Pêche fraîche : 51 M€ par an et 11 000 tonnes pêchées

La sentence de la Sathoan n’est pas une surprise. Incontournable, l’organisation n’avait-elle pas quelques jours avant annoncé la couleur en publiant “Un cahier d’acteur” – une contribution écrite – qui sera versé à la concertation ? (consulter ci-dessous). Plus grosse coopérative française, la Sathoan, c’est 100 navires répartis dans 30 ports en Méditerranée, 30 M€ de chiffre d’affaires annuel et 350 marins embarqués. Sachant que le chiffre d’affaires global de la pêche fraîche – celle, artisanale, pratiquée en Méditerranée – est de 51 M€ par an pour 11 000 tonnes pêchées. Et que l’Hexagone compte 1 300 unités de pêche pour une filière comptant 2 000 marins-pêcheurs embarqués, soit 13 % de l’emploi national du secteur.

“Faire un état des lieux précis…”

Des éoliennes flottantes. DR.

Interrogations sur le modèle économique ; sur l’impact visuel, etc. Depuis le 12 juillet et jusqu’au 31 octobre, la Commission du débat public se démultiplie auprès des touristes, des habitants de la région et des professionnels de tous horizons, comme Dis-Leur vous l’a expliqué. Et recueille des centaines de prises de parole. Version encyclopédique. Au travers des ateliers, des réunions… Et même par internet. Le but ? que l’État prenne – ou pas – une décision éclairés, sans doute d’ici la présidentielle. Le gouvernement s’y risquera-t-il…? “Qu’il y ait ou pas de désaccord entre votre profession et le projet, ce n’est pas un problème. Ce que nous souhaitons c’est de faire un état des lieux précis”, avait clarifié Etienne Ballan, le président de la Commission dont l’avis servira en tout cas au prochain président de la République.

Vendredi, c’était donc au tour des pêcheurs. Tout ce que le golfe du Lion – et le golfe de Fos – compte de représentants du monde de la pêche avait répondu présent, à l’invitation de la Commission du débat public saisie par le ministère de la Transition écologique qui porte ce projet d’éoliennes flottantes en Méditerranée. Tous sont sur la même ligne, à l’image de la déclaration liminaire de Bernard Pérez, président du comité régional des pêches.

En quoi la pêche sera-t-elle impactée par ces éoliennes ? Nous sommes les premiers lanceurs d’alerte !”

Bernard Pérez, président du comité régional des pêches

Entre deux questions-réponses, ce dernier replaça le débat dans ses préoccupations, indiquant par périphrases son opposition à ces fermes commerciales flottantes : “En quoi la pêche sera-t-elle impactée par ces éoliennes ? Nous sommes les premiers lanceurs d’alerte. J’ajoute que sur ce sujet il n’existe aucun retour d’expérience ; que la réglementation des pêches est de plus en plus drastique ; nous devons aussi faire avec les deux fermes pilotes [de la région Occitanie] et peut-être s’y adapter. Mais je suis heureux que tout le monde prenne de plus en plus conscience de l’intérêt de la pêche et l’intérêt de travailler tous ensemble…” Interrogé à l’issue de la réunion, Bernard Pérez confirme clairement son refus du projet.

OP Sud : “Nous sommes aussi contre…”

Même opposition du côté de l’organisation de production du Sud, sise à Agde, qui représente 148 adhérents en Occitanie et Paca. “Chez nous, ce sont majoritairement des petits métiers, indique Perrine Cuvilliers, la secrétaire générale. Nous aussi nous allons déposer un “cahier d’acteur” auprès de la Commission. Nous aussi nous sommes contre pour plusieurs raisons, précise-t-elle ensuite en aparté : sur la technologie des éoliennes flottantes ; sur le risque de dégradation du milieu marin ; l’impact sur les ressources halieutiques ; nous avons aussi des craintes pour cette filière fragile, notamment autour de l’enfouissement des câbles électriques qui nous font craindre que les professionnels ne puissent pas pêcher aux alentours… Déjà qu’il y aura inévitablement des zones d’interdiction de pêcher…”

Chacun de ses représentants s’est évertué à expliquer que la pêche en Méditerranée représente une spécificité. Qu’il a fallu se relever de crises successives, réclamant parfois une réduction de la flotte (avec des bateaux “déchirés”) ; redorer une image ternie, notamment dans la pêche au thon, via des plans de conservation, des quotas, etc.

Plaisanciers, contraintes réglementaires, zones interdites….

Halte Plaisance FrontignanMais aussi : continuer à gérer la cohabitation compliquée avec les plaisanciers, de plus en plus nombreux ; avec la pêche récréative qui, parfois, atteint les mêmes niveaux de prélèvement ; avec celle des petits métiers susceptibles d’aller chasser ailleurs, y compris près des professionnels, si d’aventure les éoliennes faisaient un jour surface, touchant à l’équilibre des écosystèmes. Il y fut également question des contraintes et réglementations de plus en plus implexes. Des zones d’interdiction de pêche permanentes ou temporaires. Parce que la Méditerranée n’est plus un simple espace de liberté, l’inquiétude envers l’avenir est générale.

Occitanie, le chalut, 80 % des espèces, 70 % des valeurs

Aucune réponse divinatoire à la question sur l’avenir de la pêche en Méditerranée. Oui, les pêcheries se sont toujours adaptées, oui elles devront à nouveau être résilientes comme en Occitanie où Bernard Pérez a dressé le panorama suivant : “Il y a 690 navires de pêche en Occitanie dont 52 chalutiers et 17 thoniers, quatre criées à Sète, Agde, le Grau du Roi et Port-la-Nouvelle. Un emploi en mer c’est quatre emplois induits à terre. Le chalut est le métier le plus structurant.” Dans cette zone de la Méditerranée, le chalut pêche une soixantaine d’espèces marines ; les bateaux sortent à la journée, “apportent 80 % des espèces et des volumes dans les criées et 70 % des valeurs. La plupart des poissons pêchés au large de Sète, sont vendus pour la plupart à l’export, Espagne et Italie, notamment.”

Paca : “Indispensable que nos bateaux se modernisent…”

Un amphithéâtre pour la vente immédiate des poissons. Il n’en existe pas en Paca.

Et, en Paca ? Comme l’a expliqué la représentante du comité régional des pêches, impossible de se projeter : “Nous ne sommes pas sur le même modèle que nos homologues d’Occitanie : nos 530 navires, très polyvalents, sont répartis dans 88 ports d’attache ; les productions sont vendues en direct ; nous n’avons ni criées ni halles à marée…” Ce n’est pas tout : “Depuis plusieurs années, nous avons aucune donnée officielle sur les ventes et les débarquements et sur l’activité des navires et des 22 métiers qui y sont attachés. Il sera indispensable que nos bateaux qui ont une moyenne d’âge de 20 ans se modernisent dans les prochaines années…”

Cohabitation avec la pêche amateur

Tous ont rappelé le fragile équilibre de la pêche en Méditerranée, sauf très curieusement la directrice de l’Ifremer Sète, Maria Ruyssen, qui s’est refusée à apporter sa pierre au débat. Les professionnels ont appelé à se rendre compte des vicissitudes du thon rouge sur lequel tout le monde fond, y compris la pêche dite récréative : au moins 3 000 “plaisanciers” s’y consacrent, alors certes avec des hameçons mais l’impact n’est pas négligeable. L’organisation des producteurs de Paca affirme d’ailleurs qu’une thèse de 2018, qui a zoomé sur l’étang de Berre, et une autre plus récente sur le parc des Calanques, démontrent que “cette pêche amateur équivaut aux débarquements de la pêche professionnelle”.

Étude en cours de l’Université de Perpignan et le Parc marin du golfe du Lion

Un thon rouge de la plus belle espèce. Photo Sa.Tho.An.

Ces pêcheurs amateurs devraient être soumis à déclaration de capture, comme l’exige l’Europe, mais pas avant la… présidentielle. Même si, comme son président l’a rappelé, la pêche récréative “ne ratisse pas les fonds ; qu’elle pêche à “la maille” et n’a pas de rejet contrairement à la pêche professionnelle. Nous pêchons tous à l’hameçon pas au filet… Sans oublier que nous n’avons que 1 % du quota total de thon rouge !” Le directeur du Parc marin a abondé : “Il y a une étude en cours avec l’Université de Perpignan et le Parc Marin pour évaluer justement cet impact de l’ensemble de la pêche récréative. Mais attention celle au thon ramenée au nombre de pêcheurs amateurs est réduite, marginale…”

Crise du poisson bleu

Il fallut aussi surmonter la crise du poisson bleu, notamment un problème (dû au plancton, apparemment) du nanisme de la sardine, qui obligea il y a quelques années de nombreux armements à changer de cible et pêcher d’autres poissons, notamment le poisson blanc, quitte à accentuer la pression sur d’autres ressources. Il faudra bientôt également s’adapter aux toutes premières éoliennes en mer projetées par la Région Occitanie, comme Dis-Leur vous l’a relaté ICI.

On ne peut pas vous dire ce que sera la pêche demain. Elle est en perpétuelle évolution. Rien n’est figé”

Bertrand Wendling

“Chez nous, cette crise fut une catastrophe qui a abouti à la restructuration de la flottille”, a précisé Perrine Cuvilliers de l’OP Sud. Sans oublier la très problématique cohabitation avec “la plaisance qui occupe une grande place en Paca” et “de plus en plus grande en Occitanie”. Et Bertrand Wendling de résumer : “On ne peut pas vous dire ce que sera la pêche demain. Elle est en perpétuelle évolution. Rien n’est figé.” Pas de quoi amener de l’eau au moulin pour des éoliennes flottantes…

De son côté, Hervé Magnin, directeur du Parc marin du Golfe du Lion a expliqué, en substance, que les scientifiques étudient les écosystèmes fragiles. “C’est un vrai jeu de colin-maillard pour l’Ifremer pour savoir où sont vraiment les nurseries, les zones de reproduction…” 

Olivier SCHLAMA

CAHIER-DACTEURS-VF-OP-SATHOAN

Dis-Leur !, ce n’est pas du vent !