Apport massif de population, bétonisation, surtourisme, érosion, submersion marine, manque d’eau annoncé… Les défis qui s’entichent de nos 220 km de bords de mer sont nombreux. Et leur gestion, un enjeu majeur. Le dernier opus d’Etudes héraultaises fait savamment le tour de la question et s’ouvre aux possibles.
On est bien loin de la si agréable poésie surannée du petit train de Palavas, immortalisé par le dessinateur Dubout, trait d’union touristique entre Montpellier et le littoral. Presque 60 ans après la mission Racine il y a comme une urgence, si bien reconstituée, décortiquée par une revue, bienveillante, qui tire la sonnette d’alarme sur les enjeux de l’adaptation aux “changements globaux” de notre littoral du Golfe du Lion s’étirant du Cap de Creus, en Catalogne, au cap de Sicié en Provence. Quelque 220 km d’un “linéaire de plages sableuses et de dunes du cordon littoral, sa partie languedocienne court du Grau-du-Roi aux franges rhodaniennes jusqu’au Cap Cerbère, flanquée de 40 000 hectares d’étangs et de lagunes, cette côte, qui attire un tourisme de masse, accueille, bon an mal an quelque 10 millions de touristes par an”, est-il présenté.
Occitanie, un littoral en mouvement : une revue écrite par des spécialistes
C’est aussi une revue à front renversé : l’érosion, l’apport massif de population et, en filigrane, sa gestion, forcément politique. C’est une bible laïque que les quelque 50 000 nouveaux arrivants annuels en Occitanie (bientôt six millions d’habitants !), comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI devraient se procurer dare-dare. Titrée, Occitanie, un littoral en mouvement, elle est publiée par Études héraultaises (1). Elle ne déroge pas aux habitudes de cette association qui fait intervenir les meilleurs spécialistes sur des sujets variés. À l’heure où le surtourisme menace ; où les paillotes ne sont plus en odeur de sainteté, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI ; où les épisodes cévenols s’impatronisent durant des mois parfois ; où la sécheresse n’a plus rien de pagnolesque, ces encyclopédistes envoient un message clair, y compris entre les lignes de ce livre.
“Faut-il continuer à conquérir les espaces naturels des dunes et des bords d’étang ?
Géographes reconnus, Alexandre Brun, Dominique Ganibenc, Llewella Maléfant y posent crûment le contexte : “Faut-il continuer à urbaniser, à densifier, à conquérir les espaces naturels des dunes et des bords d’étang ? Est-il raisonnable de multiplier les paillotes ? Plus largement, les enjeux de la banalisation d’un paysage “naturel” constamment menacé par l’action des aménageurs, le vieillissement du parc résidentiel et les conséquences du réchauffement climatique se télescopent (…)”
Érosion : la lutte devrait se faire à l’échelle du littoral
On comprend que ce “rapport au littoral naît de la Méditerranée plus que du continent”. Que les Étrusques ont inauguré un réseau d’échanges efficace dans notre Golfe du Lion ; que le littoral est tellement vivant et “dynamique” qu’aucune grande agglomération de s’y est fixée ; que, dès le 19e siècle, les bains de mer ont amorcé le tourisme et qu’une première génération de stations balnéaires sont sorties de terre (Palavas, Sète, le Grau d’Agde, Valras) ; les raisons de la mission Racine, bien sûr, lancée il y a 60 ans en 2023. Que la lutte contre l’érosion qui devrait se construire à l’échelle du littoral comme la pénurie annoncée d’eau potable et de foncier…
La côte du Golfe du Lion a jadis été un formidable moteur d’innovation
La multitude des enjeux doit dicter “un développement durable du littoral (…) chaque auteur de ce numéro tente d’ouvrir une voie nouvelle (…)” Et : “Après tout, la côte du Golfe du Lion a jadis été un formidable moteur d’innovation. Elle peut à coup sûr servir de vitrine aux autres régions riveraines de la Méditerranée à condition d’échapper aux spectres de l’immobilisme et du populisme”, prophétiseAlexandre Brun.
“La route, les dunes, oui. Mais il faudrait aller plus loin”
Contributeur lui-même de l’ouvrage et artisan de sa publication, le géographe Jean-Paul Volle, spécialiste de la géographie du Languedoc, jadis sous la houlette notamment de Raymond Dugrand, ex-adjoint à l’urbanisme de Georges Frêche, amorce une vision politique sous-jacente : “Ce littoral se doit d’être exemplaire pour penser son avenir face à la crise climatique d’une part et face à la configuration politique, surtout. On se trouve confrontés à une densité urbaine inconnue il y a quarante ans et qui a modifié profondément notre environnement. Le conservatoire du littoral a fait ce qu’il a pu, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Mais on se rend compte que des aménagements proposés, comme ceux de la commune de Mauguio au Petit-Travers, mécontentent beaucoup de monde et ce n’est pas forcément quelque chose qui a été étudié dans le détail et en co-construction avec la population. La route, les dunes, oui. Mais il faudrait aller plus loin.”
Sète visée par le Rassemblement national
En des endroits, on n’y comprend plus rien. Vias, comme l’a prouvé la Chambre régionale des comptes, est un exemple criant de l’efficacité contrarié des lourdes dépenses publiques pour lutter contre l’érosion, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI… Et Sète, avec son exemple européen de lutte contre l’érosion, avec un coûteux mais indispensable recul de la route littorale vers Marseillan à 55 M€ ? Pour lui, le Rassemblement national vise, avec de vraies raisons d’espérer, cette commune aux prochaines municipales.
Quand la grande agglo avec Montpellier avorta
Tout part de la volonté de feu Frêche de créer une intercommunalité de Lunel à Sète, il y a 17 ans, à partir d’une fusion de trois intercommunalités réunissant 45 communes. Projet d’avenir contre crainte d’une perte d’identité : c’est la peur de la seconde doublée d’un appétit sans fond du maire de Montpellier qui a fait la différence et emporté la décision du préfet de l’Hérault. L’un de ses successeurs a validé ensuite la fusion des deux intercommunalités du Nord du Bassin de Thau et de celle de Sète.
“Le discours de Frêche d’une grande métropole allant de Montpellier à la mer n’était pas convaincant parce qu’il s’était trompé d’allure dans le discours…”
Jean-Paul Volle, géographe
La métropole de Montpellier jusqu’au littoral a donc été un échec. “Cet échec s’est payé très cher, y compris en termes de transports : on sait ce qu’il en est du tram mais cela c’est la partie la plus éclatante ; le reste c’est du non-dit. Et c’est très dangereux. Son discours d’une grande métropole allant de Montpellier à la mer n’était pas convaincant peut-être parce qu’il s’était trompé d’allure dans le discours. Mais il n’en reste pas moins vrai qu’il fallait qu’il y ait quelque chose entre Vic-la-Gardiole dans l’Hérault, et l’Espiguette, dans le Gard.”
“S’il y avait une organisation politique différente, on pourrait éviter l’émergence du RN et mieux traiter les enjeux du littoral”
En clair, “s’il y avait une organisation politique différente, on pourrait éviter l’émergence du RN et mieux traiter les enjeux du littoral en Languedoc-Roussillon. C’est ça. C’est un point sensible entre la Camargue gardoise, déjà conquise par le RN, et l’Hérault. La Métropole agrandie n’a donc pas été créée aurait pu faire émerger quelque chose de partagé ; un devenir commun. Dans la métropole de Montpellier, on constate que le discours de banalisation du RN ne passe pas même si l’émergence de la Nupes est un point faible que le RN va exploiter.” Traduction, “le RN joue sur les angles morts de la politique pour progresser comme à Mauguio ou Palavas ; les maires, qui travaillent sur un petit périmètre, ont un pouvoir finalement très faible avec des moyens qui ne sont pas ceux d’un espace métropolitain.” Et, à moyen terme, la Grande-Motte et Sète qui sont “les cibles du RN”.
Deux siècles de façonnement du littoral
C’est aussi pour cela que Carole Delga a lancé, dès sa première élection, le Plan Littoral 21 que vous retrouverez P 65 de l’ouvrage. Où la Région Occitanie et les collectivités prennent le relais de l’Etat pour prolonger et mettre au goût du jour l’architecture des politiques d’urbanisme. Vous trouverez également dans ce numéro exceptionnel d’Occitanie, un Littoral en mouvement, des chapitres saillants, comme Deux siècles de façonnement du littoral, par Stéphane Durand, professeur d’histoire moderne à l’université d’Avignon. Il faut aussi s’attarder à La Mémoire d’un paysage disparu, récits de voyage et peintures sur le littoral héraultais au 19e siècle.
Quelles marges de manoeuvres spatiales ?
Dans sa dernière partie, tout aussi passionnante (Risques Littoraux et planification territoriale en Occitanie, P.126), l’ouvrage d‘Études héraultaises évoque le changement climatique et l’érosion. Passé le constat, et les relations implexes entre tous les acteurs, l’analyse de Sylvain Barone et de Laura Michel, chercheur en science politique à l’Inrae, et maîtresse de conférence de science politique à l’université de Montpellier, tentent de définir les marges de manoeuvre pour une “recomposition spatiale”. Y compris d’obtenir des avancées législatives et budgétaires.
“Tout le monde a levé le bouclier en disant “hors de question à législation constante on ne peut pas faire mieux”
Tous deux disent : “Jusqu’à peu, la législation prévoyait assez peu de solutions pour organiser la délocalisation des biens et des activités menacés par l’érosion littorale et l’élévation du niveau marin (…) Le ministère voulait relancer les appels à projets (…) Tout le monde a levé le bouclier en disant “hors de question à législation constante, on ne peut pas faire mieux”. C’est le constat à Vias, où la commune a fait le choix de l’expérimentation pour bénéficier des marges de manoeuvre réglementaires qui se sont avérées très limitées in fine. De ce fait, des juristes, relayés par des parlementaires ont milité en faveur d’innovations réglementaires, qui ont été traduites dans la loi Climat et résilience.”
Un détournement partiel de la vocation de ce fonds est observable, l’Etat effectuant des prélèvements au profit du budget général”…
Autre enjeu, donc, le financement. Au niveau national, le risque de submersion est pris en charge par le Fonds Barnier : les dépenses atteignent 180 M€, dont 8,2 M€ en 2017 et 37,5 M€ en 2016. “Toutefois, un détournement partiel de la vocation de ce fonds est observable, l’Etat effectuant des prélèvements au profit du budget général”… Quant aux “problématiques d’érosion, elles ne sont pas éligibles au fonds Barnier…” Alors que, selon une étude récente du Cerema, citent les auteurs, la seule valeur des logements impactés, d’ici 2100, se situe entre 2,2 milliards d’euros et 8 milliards d’euros, à cause de l’élévation attendue du niveau de la Méditerranée. Pour l’heure, aucune piste de financement n’a été avancée.
Laisser s’exprimer la nature, c’est permettre (…) d’offrir aux générations futures l’occasion d’observer les processus naturels en cours et leur donner à voir une nature sauvage…”
Cette situation va de concert avec la volonté de préservation d’espaces naturels. Lisons le dernier chapitre, celui du directeur de recherche au CNRS à Montpellier, Rutger de Wit. Et concluons avec lui : “Comment bien prendre en compte le continuum aquatique terre-mer ? La réserve de biosphère de la Camargue donne le bon exemple en l’intégrant dans un ensemble territorial, surmontant ainsi la division classique entre gestions continentale et marine.”
Et aussi : “Dans les espaces naturels plus vastes, il faut plaider pour laisser une place plus importante aux processus naturels (…) Ces processus, parfois incompris car pouvant détruire des habitats, sont aussi susceptibles de s’adapter aux changements climatiques. Laisser s’exprimer la nature, c’est permettre (…) d’offrir aux générations futures l’occasion d’observer les processus naturels en cours et leur donner à voir une nature sauvage (…) Les solutions pour le littoral doivent se faire avec la nature et non contre elle !”
Olivier SCHLAMA
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