Méditerranée : En 20 ans, l’hôpital pour tortues marines a accueilli 600 Caouannes

Tortue Caouanne au centre de soins CESTMed de la Grande-Motte. Photo : Olivier SCHLAMA

Créé il y a juste 20 ans, le CESTMed, l’un des rares centres de soins des tortues marines, inaugurait ce mardi ses nouveaux locaux agrandis qui vont également lui permettre de franchir un cap : aller au-delà de la trentaine de tortues Caouanne accueillies chaque année. C’est un outil indispensable pour cet animal qui bénéficie d’un grand capital sympathie. Symbole de la défense de la biodiversité, la Caouanne est par ailleurs un indicateur de la santé de la Méditerranée.

Sashae nage avec la majesté du survivant. Seule dans sa piscine-hôpital en plastique gris épais de 1 500 litres, la jeune tortue marine Caouanne de 5,1 kilos – elle en pèsera 95 de plus une fois adulte ! – pour un mètre de long, capable de devenir octogénaire, n’a rien perdu de sa belle couleur pain brûlé. Mieux : elle s’est ravivée en même temps qu’elle a repris de la vie au fil des semaines et de l’attention qu’on lui porte. En même temps que cinq autres de ces congénères, Sashae sera relâchée en mars “quand la Méditerranée sera moins froide” et après avoir repris de la masse musculaire dans un centre de réhabilitation au Ponant, formé d’un gros “tube” de 30 mètres de long posé sur une canalette. Elle fait partie de la trentaine de ses congères que des soigneurs retapent chaque année.

De nouveaux locaux inaugurés à la Grande-Motte

Malencontreusement piégé dans les filets d’un armement de pêche au Grau-du-Roi (Gard), en fin d’année dernière, l’animal a été récupéré et sauvé d’une mort certaine par asphyxie (elle peut rester une demi-heure sans respirer, ensuite…) Depuis, elle est soignée à la Caretta, c’est le nom latin de la Caouanne et du CESTMed (Centre d’études et de sauvegarde des tortues marines de Méditerranée) de la Grande-Motte qui inaugurait, ce mardi, ses nouveaux locaux, qui ne sont rien d’autre que ceux de l’ex-club house du golf local.

Seul centre de soins pour Caouannes de Méditerranée

Le centre de soins CESTMed des tortues Caouanne de la Grande-Motte. Photo : Olivier SCHLAMA

Tandis-que les futurs retraités maltraités battaient le pavé partout en France, les tortues, elles, suivaient toujours leur convalescence de plusieurs semaines, engloutissant des morceaux de poisson… Et se la coulant douce, en quelque sorte, après avoir frôlé, parfois, la mort. Le CESTMed est le “seul organisme dans l’Hexagone avec le centre de soins de la Rochelle qui prend en charge les tortues blessées pour ensuite les relâcher en mer”, soulignent Eric Maerten, président de l’association qui gère le CESTMed et vétérinaire et Jean-Baptiste Sénégas, le directeur. Monaco et Antibes ont aussi une structure mais rien d’équivalent. Contrairement à l’Italie qui détient plus de vingt centres de soins pour les tortues marines.

Six cents tortues prises en charge en vingt ans d’existence

Depuis 2003, ce centre de soins a pris en charge quelque 600 tortues Caouannes et a pu en sauver 480. Une prouesse qui s’accompagne de toutes les attentions : pour subvenir aux besoins d’eau de mer – et donc salée – de la Caouanne, le centre de soins va effectuer un forage souterrain… D’abord pêcheur “petit métier”, puis fournissant du poisson vivant au Seaquarium du Grau-du-Roi, Jean-Baptiste Sénégas, a été aux premières loges de l’engouement grandissant du public pour cet animal silencieux et gracieux.

Les Caouannes parcourent jusqu’à 5 000 km par an

Il dit : “Les Caouanne pondent qu’une année sur deux.” Ce sont de grandes migratrices : “Certaines font jusqu’à 5 000 km par an, y compris pour aller se reproduire principalement en Grèce.” Avec deux faits rarissimes : à Valras, en 2022, c’était une exception peut-être dictée par “le réchauffement climatique”… Tout aussi inattendue, une ponte de 63 bébés Caouanne qui avaient vu le jour en octobre 2018, là aussi sur une plage de l’Hérault, à Villeneuve-les-Maguelone.

Un centre largement aidé par les pouvoirs publics

Jean-Baptiste Sénégas, Eric Maerten, directeur et président du centre de soins CESTMed, à la Grande-Motte. A droite, le maire Stéphan Rossignol. Photo : Olivier SCHLAMA

Les nouveaux locaux de 300 mètres carrés où les trois salariés, les 60 bénévoles et 400 membres se retrouvent et peuvent y soigner jusqu’à une vingtaine de tortues en même temps nécessitant des soins parfois longs. Ils accueillent aussi un écomusée réalisé avec beaucoup d’intelligence pour familles et scolaires. Ce lieu unique, nettement plus vaste, dont le déménagement depuis le Grau-du-Roi a été largement aidé par les pouvoirs publics – à hauteur de plus de 300 000 € (1) – va aussi permettre d’accueillir plus facilement des chercheurs, y compris étrangers et de répondre à des appels à projets européens.

Filets de pêche, sacs plastique ingérés…

C’est le plus clair du temps la même histoire qui se répète pour ces tortues soignées : prises dans des filets de chalut à Sète, Agde ou ailleurs ; sacs plastique ingérés par accident provoquant occlusion et in fine décès… La tortue est un animal fascinant. Faible autant que forte d’une solide carapace. Placide mais pas trop : capable de tuer un congénère qui vivrait dans son espace vital. Omnivore – comme l’homme – se délectant de poissons, crustacés, poulpes et même d’algues, ayant, toutes proportions gardées, des caractéristiques approchant celles de l’homme : d’à peu près la même durée de vie, la tortue Caouanne est une étrangeté qui participe de son large capital sympathie. Au départ, les sauvetages se réalisaient grâce à quelques pêcheurs qui apportaient spontanément l’animal blessé au Seaquarium du Grau-du-Roi. Petit à petit, le centre de soins prit forme.

Tortue Caouanne, au CESTMEd, centre de soins de la Grande-Motte. Photo : Olivier SCHLAMA

Cette espèce, menacée, est sur la liste de la Convention de Washington, la plus haute protection en matière animale, au même titre que l’éléphant. “On ne connaît pas le nombre de spécimens ; on sait que le nombre de pontes se situe autour de 10 000 par an dans le monde, dont une à Valras, l’été dernier, peut-être l’un des avatars du réchauffement climatique donc et aussi “l’omniprésence des réseaux”, sans lesquels cette ponte exceptionnelle ne serait jamais arrivée aussi vite jusqu’aux oreilles du CESTMed…”

Ces tortues sont aussi un marqueur de la santé des océans (…) C’est aussi un formidable médiateur pour parler de nos mers et nos littoraux…”

Stéphan Rossignol, maire de la Grande-motte

À côté de la salle de soins équipée de bassins avec captage d’eau de mer, une autre salle dotée, elle, d’équipements muséographiques et pédagogiques pour l’accueil du grand public. Les aides publiques ont également permis de financer l’achat de nouveaux équipements vétérinaires (radiologie, matériel de prélèvement et d’analyse, caisson hyperbare). Maire de La Grande-Motte, Stéphan Rossignol a souligné : “L’association cherchait de nouveaux locaux depuis plusieurs années, dès après ma première élection” et jusqu’à l’organisation d’un colloque en novembre 2022 dans sa ville réunissant plus de 100 chercheurs passionnés par la Caouanne. “L’enjeu, c’est, bien sûr, la sauvegarde de cette espèce, a-t-il dit. Ces tortues sont aussi un marqueur de la santé des océans (…) C’est aussi un formidable médiateur pour parler de nos mers et nos littoraux…”

Il y a, certes, des scientifiques qui y travaillent ; il y a bien sûr des soins qui y sont prodigués mais rien n’y est culpabilisant. C’est avant tout une note d’espoir”

Eric Maerten, président du CESTMed
Tortue Caouanne balisée par le centre de soins CESTMed de la Grande-Motte. DR

Nouveauté, désormais, le rapport à la biodiversité s’affranchit de la dimension culpabilisante. Comme l’a dit avec beaucoup de conviction Eric Maerten, président de l’association qui gère le CESTMed : “Dans ce centre et sa partie muséale, les gens sont comme chez eux. Il y a, certes, des scientifiques qui y travaillent ; il y a bien sûr des soins qui y sont prodigués mais rien n’y est culpabilisant. C’est avant tout une note d’espoir.”

“Educateurs dans les familles…”

“Et, a-t-il ajouté, sur la frise chronologique placé à l’extérieur du bâtiment, l’homme en occupe 30 centimètres quand la tortue marine occupe 20 mètres.” C’est un message pour toute l’humanité : la Caouanne a survécu à toutes les avanies et espère continuer longtemps. Avec une allégorie parlante : “La tortue est une observatrice ; elle est en capacité de “tout analyser et tout nous dire sur le passé.” Ce centre de soins, on y vient en “spectateurs mais aussi en tant qu’éducateurs ensuite dans les familles. Il faut faire rêver. Il n’y a pas que du négatif autour de nous…”

“Ce lieu public doit permettre de découvrir l’histoire des tortues marines en Méditerranée, leur monde et les menaces qui planent sur elles.” Pour cela, la direction inventé la légende de la « tortue oeil ». Des caméras ou des sortes de judas permettront aux scolaires et à tous les visiteurs de découvrir le centre de soins”, accolé. Ces tortues arrivent à rassembler la communauté scientifique du monde entier, que l’on soit aux Caraïbes, en Polynésie ou à la Grande-Motte”, a expliqué Jean-Baptiste Sénégas.

Cette année, le ministère de l’Ecologie a décidé qu’un pêcheur ne serait plus pénalisé s’il avait pêché une tortue et s’il en déclare la capture une fois arrivé au port. Ça change tout »

Jean-Baptiste Sénégas, directeur du CESTMed
L’espace muséal du centre de soins CESTMed des tortues Caouanne de la Grande-Motte. Photo : Olivier SCHLAMA

Ce nouveau rapport à la nature se traduit aussi, concrètement, dans les décisions juridiques. Jean-Baptiste Sénégas l’exprime : “Nous avons organisé en novembre dernier, à la Grande-Motte, un colloque international sur les tortues marines. Il a lieu tous les trois ans. Une centaine de scientifiques ont planché sur le sujet et ont écrit des recommandations vouées à nourrir la réflexion du gouvernement sur cette espèce protégée. Cette année, par exemple, le ministère de l’Ecologie a décidé qu’un pêcheur ne serait plus pénalisé s’il avait pêché une tortue dès lors qu’il en déclare la capture une fois arrivé au port. C’est très important. Ça change tout. Les pêcheurs sont associés à ce sauvetage. On ne les culpabilise plus et ils sont amenés à sauver les espèces…”

Les Caouannes communiquent en émettant des sons

Nées il y a plus de 250 millions d’années quand régnaient les dinosaures, les tortues marines sont des témoins privilégiés du passé. Elles n’ont pas fini de révéler leurs secrets. La Caouanne, l’espèce telle qu’on la connaît aujourd’hui, a 100 millions d’années : l’âge de notre vénérable Méditerranée… On la croyait totalement silencieuse. Que nenni ! L’année dernière, des chercheurs ont mis en évidence leur capacité à émettre des sons, mais inaudibles pour l’oreille humaine. Apparemment c’est comme cela qu’elles communiquent.” On ne sait pas trop si elles peuvent également “parler” avec d’autres animaux marins… Mais un seul souhait : qu’elles nagent encore 250 millions d’années avec la même majesté des survivants…

Olivier SCHLAMA

  • (1) : Région Occitanie : 77 000 € ; Office français de la biodiversité : 50 000 € ; CESTmed en autofinancement : 50 000 € ; l’Etat via le programme PITE : 77 000 €. A ces sommes s’ajoute 50 000 € du groupe privé HLD qui “rachète et “remanage” des entreprises. Cette société est entre autres prorpiétaires de marques de cosmétiques comme SVR.”
  • Par ailleurs, le centre de soins a besoin d’un budget annuel de 150 000 €. “Nous le finançons avec des actions de sensibilisation dans les écoles, en organisant des visites guidées ; en répondant à des programmes nationaux et européens et en recevant des aides de l’Etat et enfin du sponsoring”, détaille Jean-Baptiste Sénégas, le directeur de la Caretta.

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