“C’est la région de France où il y a la plus grande diversité d’oiseaux”, souligne Marc Duquet, ornithologue, qui vient de publier Migrations, Pourquoi et comment migrent les oiseaux. Gruissan ou la Camargue sont des spots intéressants pour observer certaines espèces !
Des couleurs, des arabesques élégantes dans le ciel, des battements silencieux… À tire-d’aile, des milliers d’oiseaux migrateurs traversent notre région chaque année. Souvent en direction de l’Afrique pour revenir au printemps dans nos contrées. Pourquoi ces migrations transsahariennes ? Quelles sont les principales routes empruntées ? Comment s’orientent-ils ? Etc. Co-fondateur et rédacteur en chef de la revue Ornithos depuis 1994 édité par la LPO, Marc Duquet est auteur de guides et de livres. L’ornithologue, qui observe les oiseaux depuis 40 ans et qui vit à Vendémian, dans l’Hérault, vient de publier un joli livre, Migrations, Pourquoi et comment migrent les oiseaux (Delachaux et Niestlé, 29,90 €).
Pourquoi ce livre ? À qui s’adresse-t-il ?
Il existe des ouvrages mais davantage destinés à des spécialistes. Ce livre, c’est le 3e volet d’une trilogie. Je suis auteur-traducteur depuis 1991. J’écris chaque année au moins un livre sur les oiseaux. J’avais déjà publié un ouvrage sur les vols, Des Plumes et des Ailes ; un autre Sexe et séduction, sorti en 2020. Celui-ci répond à ma question : qu’est-ce qui me fascine chez les oiseaux ? J’en sais rien ! Voir des oiseaux voler c’est fascinant. Des rapaces, des vautours qui cerclent… Les comportements nuptiaux, les parades nuptiales, les chants sont assez incroyables chez pas mal d’oiseaux.
Combien d’espèces migratrices avons-nous ?
En Occitanie, on estime qu’il y a de l’ordre de 300 à 350 espèces nicheuses dont la moitié effectuent des migrations saisonnières.
Pourquoi des espèces migrent-elles ?
On n’est même pas sûr que ces oiseaux-là partent d’ici parce qu’il fait froid en hiver chez nous. Il y a même des théories qui vont dans le sens inverse : ce sont peut-être des oiseaux migrateurs africains qui viennent se reproduire chez nous, plus au nord, mais ne sont pas originaires de nos régions. La question reste posée. Le climat peut jouer mais c’est aussi la disponibilité de la nourriture qui est en cause. Les oiseaux ne craignent ni le froid ni le chaud. Ils peuvent réguler leur température facilement. En revanche, en hiver, ce qui les empêche de vivre, c’est une grosse couche de neige, en Scandinavie ou Laponie, par exemple, où en plus aucun insecte ne vole ; il va bien rester quelques baies, quelques graines, certes, mais accessibles qu’aux espèces granivores. Les insectivores, elles, n’ont plus à manger. La nourriture est le paramètre de survie.
Et les trajets migratoires…?
Ces grands trajets migratoires sont aussi incroyables surtout pour des oiseaux parfois de quelques grammes qui font des milliers de kilomètres pour aller passer l’hiver sur un autre continent. Ce livre s’adresse au grand public. Mais c’est un livre assez documenté. Il est aussi up to date : pour le chapitre sur l’orientation des oiseaux, je parle d’un article scientifique du mois de juin 2021 du fait que les rouges-gorges sont capables de visualiser le champ magnétique terrestre pour s’orienter ! C’est une information scientifique qui vient de sortir cet été.
Plus traditionnellement, les oiseaux ont différents moyens pour s’orienter, avec le soleil, la position des étoiles qu’ils arrivent à repérer dans le ciel et en fonction des périodes de l’année pour corriger leur cap ! Même si l’homme est capable, plus ou moins, de repérer la Grande ourse ou la Ceinture d’Orion, ou savoir où est le Nord avec l’étoile polaire, ça reste sommaire. Les oiseaux, eux, s’orientent et corrigent précisément leurs trajets.
Le rouge-gorge n’est pas un grand migrateur ; certains sont même sédentaires. Mais les rouges-gorges anglais viennent hiverner sur des rives de la Méditerranée, en France et en Espagne ; seuls quelques-uns vont en Afrique du Nord. Pour cela, ils traversent la France. Ils arrivent vers octobre et pour la plupart ce sont des oiseaux anglais.
Quels sont les oiseaux d’Occitanie qui font une migration ?
Il y en a plein. Il y a le rossignol que l’on commence à entendre chanter en avril et que l’on n’entend plus, parce qu’il est parti en Afrique, en septembre, dans la région subsaharienne ; certains vont même jusqu’en Afrique du Sud, comme les hirondelles, par exemple. Les coucous vont jusqu’au Congo, dans les forêts équatoriales. Il y a aussi un hibou Petit duc qui niche en partie dans la région, le tchot comme on le surnomme, qui nous régale de sa petite note de flûte tout l’été, est un migrateur transsaharien. C’est une petit hibou qui va en Afrique.
On peut aussi citer le guêpier d’Europe que les gens d’ici appellent le chasseur d’Afrique. Typique du Sud de la France, surtout autour de la Camargue, même si on trouve maintenant dans le Nord, il se nourrit de guêpes, d’abeilles, libellules, papillons et qui revient en mai pour repartir en septembre-octobre en Afrique. Tout comme le rollier d’Europe, une espèce de gros oiseau bleu avec le dos marron. On le voit vers Marseillan, entre autres.
Les flamants roses, aussi…?
Certains migrent souvent, d’autres relativement peu. Les flamants roses de Camargue viennent passer l’hiver sur les étangs languedociens, roussillonnais et vont jusqu’en Espagne voire en Afrique.
Les oiseaux migrateurs paient-ils aussi un lourd tribut à la perte de biodiversité ?
C’est le cas pour tout. Les oiseaux. Les oiseaux migrateurs. Les amphibiens. Les reptiles… Pour certaines espèces, comme l’alouette des champs, on en est à 80 % de diminution de l’espèce en 30 ans [dont Dis-Leur ! vous a longuement parlé ICI]. J’ai même fait un ouvrage qui s’appelle Il Faut Sauver nos Oiseaux. Le constat est dramatique même dans le Sud de la France où l’on a été longtemps préservés. Il y a des jours où mon jardin est vide ; alors qu’il y a une dizaine d’années, il était animé…
Le principal coupable, c’est l’agriculture ; je n’ai pas dit les agriculteurs. C’est l’agrochimie. Il y a une destruction complète de biodiversité végétale : ce que les agriculteurs appellent une “prairie” c’est juste un champ avec deux ou trois variétés de graminées ; avec aucune fleur ; le sol est détruit ; tous les insectes et les micro-invertébrés sui vivent habituellement dans le sol ont été détruits, notamment par le fameux glyphosate. Il n’y presque plus rien dans les sols, ce qui oblige à y ajouter des engrais à tire-larigot. Comme les plantes sont détruites, les papillons disparaissent aussi…
Les haies sont arrachées ; les milieux sont aseptisés et uniformisés… Et même da,s les régions d’élevage, comme le Doubs, d’où je suis originaire, les paysages étaient de type bocager à une certaine époque, aujourd’hui, c’est morne plaine, avec un arbre esseulé au milieu… Quand j’ai commencé à observer les oiseaux en 1975, en Franche-Comté, quand je me baladais dans les champs, le chant des alouettes cassait les oreilles ! C’était presque assourdissant ; ça grésillait de partout. La dernière fois, que j’y suis allé, il y a deux ans, j’ai entendu deux alouettes à un kilomètres d’intervalle…
Au-delà de son jardin, où peut-on aller observer des migrateurs ?
Gruissan est un bon spot d’observation, précisément au Roc de Conilhac, à proximité. On y voir passer des cigognes – qui passent par les cols des Pyrénées -, des rapaces, en août l’année dernière les chanceux ont pu observer un, vol de 750 cigognes. La Camargue est aussi un bon spot. Les grues cendrées, qui hivernent de plus en plus régulièrement en Camargue, depuis une vingtaine d’années (on y observe quelques milliers d’individus), n’est pas l’oiseau que l’on voit le plus souvent passer contrairement à la Bondrée apivore, un genre de buse qui se nourrit d’insectes ; le milan noir ; et beaucoup de rapaces ; le circaète Jean-le-Blanc qui peut migrer en grandes quantités et des tas d’autres oiseaux : des passereaux, des guêpiers d’Europe que l’on entend plus qu’on ne les voit ; ils volent assez haut mais on entend leur cri roulé typique.
On peut également observer dans notre région des martinets noirs, des hirondelles… La majorité des oiseaux européens qui vont en Afrique passent par ici. On est une terre de passage. C’est ce qui fait l’une des richesses du Sud de la France. Il y a toutes les espèces méditerranéennes que l’on peut n’y voir qu’ici ; les espèces plus nordiques qui viennent passer l’hiver chez nous, comme le rouge-gorge ; le pinson des arbres ; le Gros-Bec casse-noyaux, etc.
À tous ceux-là, s’ajoutent tous les grands migrateurs, y compris ceux qui viennent du fin fond de la Scandinavie, comme les grues, qui se rendent un peu plus au Sud et qui passent donc dans notre région. Ou encore le gobemouche noir qui niche dans la taïga et qui va hiverner en Afrique. C’est l’une des régions de France où il y a la plus grande diversité d’oiseaux quand on additionne ceux d’ici, ceux qui viennent y passer l’hiver et ceux qui ne font qu’y transiter au printemps et à l’automne.
Propos recueillis par Olivier SCHLAMA
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