Comptage des oiseaux de jardins menacés : “Il n’y a pas que le panda ou l’aigle royal !”

Rouge gorge, Ph. F. Crozet.

Sous la houlette de la LPO et le Muséum d’histoire naturelle, vous pouvez participer à un comptage national depuis votre jardin, un parc voire votre balcon. Cela donnera au final une photo de la stabilité ou du déclin de certaines espèces et d’une biodiversité malmenée. L’an dernier, 4 000 volontaires ont observé 90 000 oiseaux se poser sur leur lopin ! Un engouement depuis les confinements alors que l’agriculture est la première cause de l’érosion continue de biodiversité…

Oiseaux, liberté, étrangeté… Comment ne pas être fasciné par exemple par le martinet noir, ailes taillées comme celles d’un avion de chasse, en forme de faucille ? D’avril à août, revenant d’Afrique, ceux que l’on confond parfois avec les hirondelles, passent l’été dans nos contrées, où ils occupent leurs soirées à engloutir des insectes ; ne se posant jamais au sol – au risque de pas pouvoir redécoller, vu les toutes petites pattes dont la nature les a affublés.

Ces as de la voltige dorment en vol, mangent et s’accouplent même en l’air… Ils ne se posent que juste parfois dans leur nid sous les toits. Le martinet comme des dizaines d’autres oiseaux, vous pouvez les observer, les reconnaître et les compter en s’inscrivant sur le site dédié les Oiseaux des jardins. 

“Quand les oiseaux déclinent, d’autres espèces ne vont pas bien…”

Observation oiseaux des jardins Ph. A. Orseau

Le martinet produit un cri strident ; le goéland ricane ; d’autres oiseaux hululent… Outre le ravissement de ces multicolores qui bariolent les ciels céruléens, les oiseaux de nos jardins sont précieux pour la biodiversité. “Ce sont de bons indicateurs de la bonne santé des autres espèces et de celle des milieux naturels. Quand les oiseaux déclinent, d’autres espèces ne vont pas bien”, note Marjorie Poitevin. Responsable du programme de comptage annuel des oiseaux dans les jardins à la Ligue de protection des oiseaux (LPO) associée au Muséum d’histoire naturelle, elle explique que “chaque volontaire participe de chez lui avec le matériel dont il dispose. Sur un site dédié, les gens peuvent trouver des fiches espèces et des fiches confusions”. 

“Sont concernés des jardins des particuliers, mais aussi publics, cela peut être un balcon…”

Moineau friquet Ph. F.Croset

Ce comptage bénévole se tient le week-end du 29 et 30 mai prochains. Il s’inscrit dans un programme plus large baptisé, Observatoire des oiseaux des jardins créé en 2012. Et ces week-ends de comptage ont débuté en 2013. Le but ? “Que chaque année, à la même période, les gens comptent pendant une heure, durant le week end, précise Marjorie Poitevin. Ce qui nous fait un état des lieux complet dans toutes les régions.”

Elle ajoute : “À terme, on compareront les périodes et de savoir quelles sont les espèces qui viennent fréquenter nos jardins et ce, en pleine période de reproduction. Sont concernés des jardins des particuliers, mais aussi publics, cela peut être un balcon… L’important est de ne compter que les oiseaux posés, à la ville, à la campagne, peut importe. Mais pas ceux qui sont en vol. Ce comptage concerne les oiseaux nicheurs. Il vient après celui traditionnel de janvier pour les oiseaux hivernant.” 

Ne pas tailler les haies, éviter les produis chimiques…

Fauvette a tete noire femelle Sylvia atricapilla, Ph; F. Crozet

Le but de cet observatoire c’est de faire prendre conscience aux gens que la biodiversité de proximité existe ; que les espèces menacées ou en déclin, ce n’est pas que le panda le grand aigle royal, mais aussi des espèces qui vivent près de nous. Ces observateurs-citoyens peuvent aussi agir chez lui en posant des nichoirs, en faisant attention à ce qu’il fait dans son jardin. De ne pas mettre de produits phytosanitaires ; “de ne surtout pas tailler les haies où nichent les oiseaux ! et ne pas les nourrir en cette période” Le gazon, faut le laisser aussi tranquille : “Il faut avoir des zones non entretenues pour que les insectes se développent”, poursuit Marjorie Poitevin.

4 000 observateurs en 2020 et 90 000 oiseaux comptés

Rougequeue a front blanc. Phoen icurus phoenicurus. Ph. F. Crozet

L’appel est lancé à tout citoyen qui veut participer. En 2020, quelque 4 000 personnes s’étaient mobilisées pour ce comptage. Vous confondez tout, même un moineau avec un gabian ? Pas de souci. “D’abord, confie encore la spécialiste de la LPO, souvent on distingue des oiseaux que l’on a l’habitude de voir dans son jardin et ensuite l’intérêt du site c’est que l’on peut prendre des photos et les mettre sur le site de l’Observatoire des oiseaux des jardins.

Depuis le 1er confinement, beaucoup ont réentendu les oiseaux chanter. Sans doute parce que plus réceptifs à ce petit réenchantement de la vie. Mais en réalité, ils avaient chanté plus fort et davantage parce qu’il y avait du silence, ont confirmé des études, et devaient moins s’épuiser face à l’habituel brouhaha ambiant.

Les populations d’oiseaux les plus inféodés aux espaces agricoles sont les plus menacées

Marjorie Poitevin. DR.

Les mammifères ont le plaisir de se cacher. Pas les oiseaux qui prennent, eux, plaisir à se montrer. Une belle étrangeté. Mais certaines espèces n’échappent pas à la nouvelle loi d’airain de la biodiversité en déclin, en étant menacées. “On fera un bilan général pour les dix ans d’observation l’an prochain mais on ne va pas se leurrer : que ce soit pour les oiseaux, les hérissons ou le reste, la biodiversité ne se porte pas très bien, tranche Marjorie Poitevin. Et leurs milieux non plus.” Les populations d’oiseaux les plus inféodés aux espaces agricoles sont les plus menacées. Comme les alouettes. Pas forcément les espèces des jardins.

En cause l’agriculture et la disparition des habitats

Le chardonneret élégant, que l’on trouve également dans les jardins, est aussi concerné. “Et même les hirondelles rustiques qui nichaient avant dans les fermes. Or, il y a de moins en moins de fermes et de bétails, spécifie Marjorie Poitevin. C’est bien à cause de la disparition de leurs habitats que ces oiseaux sont menacés : de la même manière, il y a de moins en moins de haies, par exemple, de nourriture parce qu’à cette période les oiseaux sont insectivores pour nourrir leurs jeunes. Or, avec les produits chimiques, les insectes il n’y en a plus beaucoup… Et ceux qui restent sont un peu “empoisonnés”…

Certaines espèces ont vraiment décliné

Chardonneret élégant. Ph Michel FERNANDEZ

Marjorie Poitevin ajoute des recommandations : “On demande toujours aux gens de placer des nichoirs parce que la disparition des zones de nidification c’est la première cause de disparition des oiseaux. Certaines espèces, plus plastiques, plus adaptables, vont plutôt bien s’en sortir : c’est le cas de la mésange charbonnière et de la mésange bleue qui s’adaptent à de nombreux milieux et qui maintiennent leurs populations depuis une vingtaine d’années. En revanche, d’autres espèces déclinent : c’est le cas de la mésange noire – qui apprécient les arbres, les milieux forestiers – ou du moineau friquet que l’on voyait beaucoup et qui a drastiquement décliné parce qu’il ne trouve plus d’endroit où nicher. Il est de plus en plus rare.”

Comptage avec les enfants, en famille

Énormément d’oiseaux sont protégés par le Code de l’Environnement, notamment. Les hirondelles, rustiques ou de fenêtre, par exemple sont intégralement protégées. On n’a pas le droit de les tuer, ni même les déranger ni de casser leur nid. De les empêcher de nicher. Moineau, merle noir, la mésange charbonnière sont les espèces les plus observées qui vivent près de nous tout au long de l’année. En 2020, quelque 90 000 oiseaux ont été observés lors de ce comptage national. “Les gens participent très volontiers à ces journées de comptage. C’est un moment où ils prennent davantage le temps ; où ils sont au calme ; c’est leur moment de plaisir. En cette saison, ils le font avec leurs enfants, en famille.”

Aggravation de l’érosion de la biodiversité en Europe

Verdier d’Europe. Ph Michel FERNANDEZ

Non seulement l’érosion de la biodiversité n’a pas été enrayée au sein de l’Union européenne (UE) ces dernières années mais la situation s’est encore aggravée, notamment en raison des activités agricoles. C’est le constat du rapport sur l’état de la nature dans l’UE, rendu public le 19 octobre 2020 par la Commission.

Tous les six ans, les Etats membres de l’UE rendent compte de l’état de conservation des espèces et des habitats protégés par deux textes clés, les directives oiseaux et habitats. Les données concernant 463 espèces d’oiseaux sauvages, 233 types d’habitats représentatifs et menacés, allant des prairies sous-marines aux alpages, ainsi que près de 1 400 autres plantes et animaux ont ainsi été recueillies pour la période 2013-2018, et étudiées par l’Agence européenne pour l’environnement.

Réduire de moitié les pesticides…

Oiseaux Tourterelle Turque. Ph Michel FERNANDEZ

La situation s’est également aggravée pour les oiseaux sauvages. Seulement 47 % des populations sont dans un état favorable, contre 52 % lors de la publication du précédent rapport, en 2015. Les oiseaux hivernants et de passage souffrent avant tout de la chasse – au moins 52 millions d’oiseaux sont chassés chaque année sur le territoire européen –

En mai 2020, la Commission européenne avait adopté deux feuilles de route ambitieuses pour la biodiversité et pour l’alimentation et une agriculture durable, premiers jalons de son “pacte vert”. Les stratégies Biodiversité 2030 et De la ferme à la fourchette prévoient notamment de protéger 30 % des terres et mers au sein de l’UE et de réduire de moitié l’usage des pesticides. Encore faut-il une vraie volonté politique à l’oeuvre…

Olivier SCHLAMA