Reportage. Même au coeur de l’une des plus grosses références du tourisme de masse en France, il y existe des activités labellisées “tourisme de conservation” HQWW. Du gagnant-gagnant. Reportage sur le Catalina pour une épopée au large du Cap d’Agde à la recherche des mammifères marins. Effet waouh garanti !
Grand, gris, élastique, agile, puissant, le grand dauphin de Méditerranée s’amuse de la poussée de l’étrave du Catalina dans une eau calme et grasse. Rieur, il se tourne sous l’eau, de trois-quarts vers “son public” et le fixe droit dans les yeux : en un clin d’oeil, les 154 passagers du catamaran de la flotte des Bateaux Agathois, comprennent pourquoi le dauphin occupe cette place à part dans le coeur des Hommes.
Cette émotion, cette famille de Béthune (Pas-de-Calais) l’avait déjà ressentie, ailleurs, lors de précédents voyages. En Grèce, en Égypte, République Dominicaine. Et voulait la revivre, ici, au bord de la Méditerranée. Parce que partager un moment avec les dauphins, c’est toujours “super chouette“. Même s’il n’est pas facile de se lever si tôt, en vacances, pour embarquer à 8 heures. Pour observer l’une des espèces les plus emblématiques fortement menacée par les activités humaines et les pressions environnementales. Personne, à bord, par exemple, ne connaît le projet gigantesque d’éoliennes flottantes dont Dis-Leur vous a parlé ICI.
“Cette excursion, je l’avais cochée. Ce label, gage de qualité, HQWW, c’est un vrai plus”
C’est le même mot qui ressort régulièrement de la bouche de cette même mère de famille qui a apprécié cette rencontre puissante, à distance, “respectueuse“. “Pour préparer chacune de nos vacances, je procède de la même façon : je relève toutes les pages des professionnels du tourisme et je compare les activités proposées et celle-là on l’avait cochée. Ce label, gage de qualité, HQWW, c’est un vrai plus”, confie Céline, venue donc de Béthune avec son mari, Yanni, et leurs deux filles, Maely et Morgane, qui logent ensemble pour les vacances à Bessan. “C’est, à chaque fois, magique de croiser les dauphins…” Validant ce concept de “tourisme de conservation”, de plus en plus en vogue, qui n’a rien à voir avec un promène-couillons proposant de simples tours dans l’eau. Tous ont les yeux qui brillent d’avance.
Du gagnant-gagnant qui laisse le choix du contact aux dauphins
Valras, Saint-Pierre La Mer et même Port-la-Nouvelle et son affreuse cimenterie sont à portée de vue. La navigation et l’attente auront été relativement longues – plusieurs heures de tâtonnements et de paris géographiques – mais la récompense est à la hauteur. Jean-Yves Delalaye est le capitaine du bateau, par ailleurs pêcheur (!) fileyeur qui s’emploie à relever du poisson depuis le grand large quand il ne pilote pas le catamaran. Cette rencontre avec ces dauphins, c’est du gagnant-gagnant qui laisse le choix du contact aux mammifères que l’on peut aussi croiser à l’embouchure du fleuve Hérault, vers le lieu-dit la Tamarissière. La sortie et la rencontre n’en sont que plus belles.
En attendant, la petite troupe de six jolis dauphins gris – et rose sur le ventre- , flirtent avec les vagues que produit le Catalina. Deux jeunes réalisent une synchro parfaite. “Cela peut être parce qu’ils s’amusent ou parce que c’est de l’éducation, qu’ils apprennent…”, décrypte Marine Lange, biologiste à l’Aire marine protégée des côtes agathoises. En tout cas, des “Oh !, Ah !” spontanés se multiplient à chaque fois que l’on observe leur évent qui souffle, arrivé en surface, pour ensuite respirer. C’est l’effet waouh garanti ! Le scénario imprévu est parfait. Au bout de trente minutes, le Catalina remet doucement les gaz pour rentrer. Un sourire indéfectible se dessine sur les lèvres des participants : “C’était super chouette.”
“On ne restera pas volontairement à moins de 100 mètres des dauphins”
Il n’était pas question de plonger pour se retrouver avec un banc de dauphins ou de leur jeter à manger ; ni de les suivre au train ; on ne les siffle pas ; on ne tape pas des mains. bref, il s’agit de les res-pec-ter. “Il y a des règles à suivre, instille Jean-Yves Delahaye à la barre du Catalina, navire d’une rare propreté – que l’équipage briquait encore quelques minutes avant le départ. Si on rencontre des dauphins, on ne va pas aller vers eux spontanément ; et on ne restera pas volontairement à moins de 100 mètres. S’ils veulent nous voir, ils peuvent se rapprocher du bateau.”
En tout état de cause, pas plus de 30 minutes autorisées en leur magnifique compagnie. “Ce sont des animaux sauvages et il faut qu’ils le restent”, adoube ce père de famille, venu de l’Isère. Le dauphin est “conscient” de sa respiration contrairement à l’Homme pour qui elle est automatique. “Il ne peut donc pas dormir ; il éteint une partie de son cerveau ; l’autre est toujours en éveil pour respirer et éviter une collision…”
Des chasses de thon en guise “d’apéritif”
L’excursion est aussi interactive. “Vous pouvez participer à la recherche, enjoint aux embarqués, au bout d’une heure de navigation, Jean-Yves, les yeux plantés dans le bleu de l’horizon. “Si on a de la chance nous pourrons voir des thons qui chassent des bancs de sardines. Il nous est arrivé, plus rarement, d’observer des poissons-lune et même des requins peau bleue.” Et encore plus rarement des rorquals qui naviguent, eux, par des fonds marins très profonds. “Ici, en pleine Méditerranée, on respire le bon air ; il n’y aucune pollution”, reprend-il quelques minutes plus tard au milieu de cette vaste étendue d’eau d’un calme remarquable.
Le grand dauphin de Méditerranée peut vivre un demi-siècle
Marine Lange, biologiste de l’Aire marine protégée des côtes agathoises, acquiesce. Jumelles collées aux yeux, elle bosse. Elle observe la biodiversité. Et plus spécialement les dauphins (espèces classée en “préoccupation mineure”), participant à un programme de recherche encadré par l’association Miraceti qui a recensé une population de 76 000 individus entre Paca et Languedoc-Roussillon (600 000 dans le monde). Le grand dauphin, qui vit plutôt sur le plateau continental et n’aime pas les fonds au-delà de 200 mètres, a été bien baptisé : il mesure jusqu’à 4 mètres de long et pèse jusqu’à 600 kg. Il peut vivre jusqu’à un demi-siècle (20 ans en captivité). Il se nourrit de crustacés, céphalopodes, poissons, etc., et peut tenir en apnée plus de quinze minutes.
Méditerranée, réserve du Bagnas, étang de Thau : terrain de jeu idéal pour toute la faune, y compris les oiseaux autochtones ou migrateurs
Marine Lange explique : “On ne sait pas reconnaître mâles et femelles spontanément. Mais on peut distinguer les mâles au regard de leurs habitudes sociales : ils vivent souvent en solitaire. Les femelles, elles, vivent continûment avec leur petit durant la première année. A l’aire marine, nous étudions, entre autres, ces populations ; les interactions entre les groupes, etc. On utilise aussi des hydrophones” pour écouter le monde maritime qui n’est en rien celui du silence. Un terrain de jeu idéal pour toute la faune, y compris les oiseaux, vernaculaires, sterne ou mouette ; ou migrateurs avec des échanges complexes entre la réserve naturelle du Bagnas, à Agde ; les 7 500 hectares de l’étang de Thau et la Méditerranée.
“Rassurez-vous, nous avons vus les dauphins sur 100 % de nos sorties cette année”
Le Catalina est un bateau à part. Il permet ce genre d’expédition de six heures, dans une relation respectueuse avec les animaux marins. Son capitaine a été sensibilisé, et formé. Le discours, sur ce respect de l’environnement, de la nature en général, a été couronné par l’obtention de label encore rare, HQWW (high quality Whale-Watching), que la compagnie ne brandit pas avec prétention comme elle le ferait d’un trophée olympique. Cela semble naturel. Jean-Yves distille ses explications qui ponctuent cette aventure sans en parler. “Les grands dauphins vivent dans un milieu naturel ; ce sont des animaux sauvages et il y a une possibilité de ne pas les rencontrer. Rassurez-vous, nous les avons vus sur 100 % de nos sorties cette année et à 43 de nos 44 sorties en 2023”, avait distillé Jean-Yves.
“Parfois, quand c’est une grande chasse, il y a tellement de thons que l’on “bout” !”
On a d’abord croisé des thons qui effectuent “des chasses” dans les bancs de sardines. “Parfois, quand c’est une grande chasse, quand il y a tellement de thons, l’eau “bout” !”. Arrive la première rencontre avec deux dauphins solitaires, dont l’un a l’aileron panaché de blanc. Jean-Yves a sa propre intelligence de connexion pour aller observer le grand dauphin (tursiops).
Il n’y a pas de “spot” bien défini pour observer ces mammifères marins ; pas forcément de “route” préétablie mais, grâce aux habitudes de ces animaux “opportunistes“, on peut arriver à les retrouver plus ou moins dans certaines zones géographiques en suivant un jeu de pistes empirique. “Je suis en contact permanent avec des copains pêcheurs professionnels…”, dit Jean-Yves, entre deux SMS. Car dans les chalutiers, on commence à remonter la pêche du jour et, régulièrement, on remet à l’eau certains poissons, notamment ceux sous-taille, trop petits. C’est là que le dauphin, opportuniste, vient s’en délecter au cul du bateau ! Et les visiteurs du jour aussi, du regard.
“Le dauphin a l’humeur qui ressemble à la météo marine !”
Depuis 2019, on peut effectuer cette excursion – labellisée en 2022 – dont raffolent les touristes venus de partout en France. “En fait, chaque matin, c’est un pari et j’ai la pression ! Je me sers aussi d’une carte avec tous les endroits où l’on a déjà croisé des dauphins ; et quand je n’ai pas beaucoup de renseignements, je me rend là où on en a vu beaucoup. Cela peut être à 40 km au large comme près des côtes où le grand dauphin aime s’y retrouver. On a remarqué que le dauphin a l’humeur qui ressemble à la météo marine ! Il est tout fou fou quand il y a du vent, plus sage quand la Méditerranée est calme. Faut aussi faire attention, dit-il aux touristes : quand le dauphin frappe l’eau avec sa queue, cela peut être un signe d’énervement signifiant que l’on n’est pas les bienvenus. Faut partir.”
Déjà 40 moniteurs de jet ski formés
“Peu de bateaux sont labellisés comme nous le sommes en Méditerranée”, note Jean-Yves, le capitaine (1). Il y en a un qui espère l’obtenir, au Grau-du-Roi (Gard). Il y a aussi des travers à ce genre de safari photos en mer. Certains, sans scrupules, s’aventurent eux aussi près des chalutiers pour observer au plus près les dauphins, faisant fi du moindre des respects.
Récemment, ce sont des jet-skieurs, qui ont concrétisé cette envie répréhensible, à près de dix miles des côtes, où ils n’auraient pas le droit de se trouver. Des dauphins qu’ils ont bien évidemment dérangé. La préfecture maritime a même été saisi. “L’Aire maritime des côtes agathoises a justement formé une quarantaine de moniteurs de jets ski de différentes bases nautiques du Cap d’Agde aux règles d’approche, aux règles de bases de la conduite pour respecter l’environnement et les animaux marins. Et cela marche bien : les moniteurs sont demandeurs d’informations, justement !”, prolonge Marine Lange.
Comme disait Antoine de Saint-Exupéry fait de ta vie un rêve et de ton rêve une réalité ; c’est totalement la réaction des clients après avoir vu les dauphins. On passe du rêve à la réalité c’est énorme”
Patron des Bateaux Agathois, Eric Bousquet a cette réflexion en forme de prise de conscience : “Nous travaillons avec Renaud Dupuy de la Grandrive, directeur de l’aire marine protégée depuis maintenant plus de dix ans et c’est lui qui m’a conseillé d’obtenir ce label. L’observation des dauphins en Méditerranée et en Atlantique s’est beaucoup développée ces dernières années. Il était nécessaire de poser des limites, et d’encadrer les prestataires. Tout le monde est gagnant, tout d’abord nous car on a une instruction qui est enrichissante alors que l’on connaissait rien à leur sujet. Puis, le client que l’on arrive à faire rêver comme disait Antoine de Saint-Exupéry “fait de ta vie un rêve et de ton rêve une réalité” ; c’est totalement la réaction des clients après avoir vu les dauphins. On passe du rêve à la réalité c’est énorme.”
Les jeunes pêcheurs favorables à l’Aire marine et à une pêche plus durable
“Vous avez eu peur ? Moi aussi !”, avoue Jean-Yves Delahaye heureux de ce partage. Sur cet aspect de tourisme de conservation visiblement partagé par le plus grand nombre, ce qui marque un vrai tournant, Jean-Yves Delahaye confirme que ce que fait le Catalina illustre “la volonté de préserver la nature.” Et même chez ceux que l’on accusait jadis de vider la Méditerranée. “Beaucoup de jeunes, notamment ceux issus d’une nouvelle génération de pêcheurs – dont son fils !, Ndlr – ont été favorables à la création de l’Aire marine et sont tout aussi favorables à une pêche plus sélective ; plus durable…!” C’est vraiment chouette…
Olivier SCHLAMA
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(1) Mis à part les Bateaux Agathois a être labellisés, on trouveIles d’Or Evasion ; les Vedettes Iles d’Or et le Corsaire, Sanary Aventure Marine, Vertical Horizon -Even Crew à Hyères ou Pirat à Bandol, Espace Mer, à Giens, et l’Atlantide, à Bandol, dans le Var ; Méditerranée pêche découverte à Beaulieu-sur-Mer, Befree2dive, à Villeneuve-Loubet ; Nature Essentielle à Cannes, dans les Alpes-Maritimes, Navivoile départs de Canet-en-Roussillon et Port-Vendres et Compagnie maritime Roussillon Croisières à Argelès-sur-Mer dans les Pyrénées-Orientales.
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Merci aux Bateaux Agathois pour les vidéos de drones
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