Pyrénées ariégeoises (3/3) : “Dix ans après sa réintroduction, le bouquetin retrouve toute sa place”

Bouquetins des Pyrénées. Ph. Julien Canet

“C’est l’une des réussites majeures en matière de restauration de la biodiversité en France.” Comme il n’est pas chassé, le bouquetin n’est pas farouche et s’observe dans le Parc naturel régional où il se reproduit en nombre. Pour autant, pas de nouveaux lâchers en vue de cette espèce protégée, importée d’Espagne, pour laquelle on n’a pas de certitude sanitaire. Le PNR recherche aussi une autre source d’approvisionnement pour améliorer sa diversité génétique.

Dans l’art pariétal de la grotte préhistorique de Niaux, le bouquetin est bien présent depuis 16 000 ans, notamment dans le fameux Salon Noir. Depuis l’époque du Magdalénien, dernière culture archéologique du Paléolithique supérieur. Sauf que le bouquetin a disparu il y a cent ans de ces montagnes. La raison ? Principalement la chasse. Certes, sa façon d’échapper à un danger, c’est de monter sur une falaise, restant néanmoins à portée d’armes à feu. Même si, sur une espèce dépeuplée, la question de la faible diversité génétique a sans doute participé au déclin.

Réintroduction réussie dans le Parc naturel régional

Bouquetin des Pyrénées, à Ustou. Ph. Julien Canet

Cela fait exactement dix ans, en juillet 2014, que le bouquetin, de souche ibérique, a été réintroduit dans les Pyrénées, avec succès, comme nous vous l’expliquions ICI. C’est une réussite également dans le Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises. “Le premier test, c’était de réussir à ce que les bouquetins se reproduisent et trouvent leur place. Et c’est le cas” ; il y a pas mal de reproduction et donc une belle dynamique de population qui a même débordé jusqu’à la catalogne espagnole”, se satisfait Matthieu Cruège, directeur du parc naturel. Leur population atteint quelque 230 à 250 individus dans les Pyrénées ariégeoises.

Plusieurs lâchers successifs à Ustou, Aulus, Le Port, Cauterets, Gavarnie-Gèdre, et dans la vallée d’Aspe

La réintroduction du Bouquetin ibérique (capra pyrenaica) dans les Pyrénées, espèce protégée en France, disparu des versants français depuis 1910, constitue “l’une des réussites majeures en matière de restauration de la biodiversité en France”, souligne la préfecture. Ce projet, amorcé dans les années 1980, a vu sa première concrétisation en 2014 avec le lâcher de neuf bouquetins de la Sierra de Guadarrama en Espagne, de la communauté autonome de Madrid. “Depuis, plusieurs lâchers successifs ont permis de créer des populations viables dans les Pyrénées, notamment à Ustou, Aulus-les-Bains, Le Port, Cauterets, Gavarnie-Gèdre, et dans la vallée d’Aspe.” Comme ce fut le cas en 2020, comme Dis-Leur ! vous l’a relaté ICI.

Aujourd’hui, les populations de bouquetins dans l’ensemble des Pyrénées françaises comptent quelque 600 individus répartis sur cinq principaux noyaux : Cagateille et Mont Béas en Ariège, Cauterets et Gavarnie-Gèdre dans les Hautes-Pyrénées, et Accous dans les Pyrénées-Atlantiques. Un autre noyau existe dans le massif transfrontalier du Maubermé. Ces populations font l’objet d’un suivi de leur adaptation et de leur insertion dans ces nouveaux territoires, ainsi que d’un suivi sanitaire.

En Ariège, il y a beaucoup de grottes et de grottes ornées, le patrimoine préhistorique y a beaucoup d’importance. Ça a beaucoup “parlé” aux Ariégeois…”

C’est une histoire qui rapproche les hommes. “Cette réintroduction est positive également sur le plan humain, confirme Matthieu Cruège. Les partenaires locaux, les chasseurs, les communes, le PNR, etc. se sont associés pour cette réussite. Avant la création de ce parc naturel, des pyrénéistes, des amoureux des Pyrénées qui avaient lancé cette idée de la réintroduction de bouquetins et notamment Michel Sébastien, pyrénéiste (géographe érudit, ardent promoteur du parc des Trois nations entre France, Espagne et Andorre, Ndlr) qui réussit à créer une adhésion autour de ce projet. Au début, il était un peu moqué mais finalement l’idée a bien pris. Les chasseurs se sont mobilisés et il y a eu une prise de conscience. En Ariège, il y a beaucoup de grottes et de grottes ornées, le patrimoine préhistorique y a beaucoup d’importance. Ça a beaucoup “parlé” aux Ariégeois…”

“Ce fut compliqué pour les Espagnols…”

Présidant à cette réintroduction, il y eut un accord transfrontalier entre France, Espagne et Andorre au plus haut niveau, signé notamment par Philippe Martin, ex-ministre de la Transition écologiste et ex-président du département du Gers, entre autres, avec ses homologues des deux autres pays. Avec une contrepartie : que le gouvernement espagnol facilite l’importation de bouquetins en France et que la France aide l’Espagne dans la restauration d’un oiseau, la gélinotte des bois. “Ce fut compliqué pour les Espagnols, retrace Matthieu Cruège : là-bas, le bouquetin y est chassé, notamment pour ses trophées et il y a un gros bizness autour de ça. La gestion n’est pas assurée par le gouvernement, à Madrid, mais par les communautés autonomes. Il a fallu trouver une communauté autonome qui était d’accord et qu’elle ait des populations de bouquetins exemptes de maladies ou de parasites. Il y a eu une situation de blocage pendant longtemps.”

En partenariat avec le Parc national des Pyrénées

Bouquetin des Pyrénées Ph. Julien Canet

Cette réintroduction dans les Pyrénées ariégeoises fait partie d’une réintroduction plus large dans les Pyrénées. “C’est un partenariat avec le Parc national des Pyrénées qui mène des opérations et des lâchers parallèlement à notre parc naturel régional. Notamment à Cauterêt, dans le Béarn… Ce qui nous réunit, c’est qu’à partir de ces deux noyaux, il y ait une colonisation de l’ensemble des Pyrénées.” Au total, ce sont plus de 500 individus estimés. Y a-t-il eu des conséquences sur la biodiversité ?

Le bouquetin se porte bien et se développe vite

“Aucunement, répond Matthieu Cruège. C’est ce qu’a montré la réintroduction du bouquetin : le biotope de cet animal, ce sont avant tout des zones rocheuses. Il peut vivre en altitude comme au niveau de la mer (c’est le cas en Espagne) ; sur des falaises ou des rochers. Nous faisons des suivis grâce à la pose de colliers GPS sur des animaux pour tracer leurs déplacements. Et sur nos cartes, on voit qu’il se porte bien. On fait aussi des suivis d’animaux avec des vétérinaires et on constate que le bouquetin se développe très vite. Même physiquement, nos bouquetins sont bien portants et costauds. Et il y a une accélération de ces paramètres.”

“Trouver un autre lieu d’approvisionnement avec de la diversité et zéro problème sanitaire”

Bouquetin des Pyrénées. Ph. Julien Canet

Reste une inquiétude aujourd’hui ou, en tout cas, un axe de travail pour le Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises : la faible diversité génétique des bouquetins. “Comme ils viennent de la même région géographique, on est dans une forme de diversité à améliorer. L’enjeu, c’est de trouver un autre lieu d’approvisionnement avec de la diversité et zéro problème sanitaire.” C’est aussi un animal qui s’est très bien adapté aux montagnes ariégeoises. “Il vit dans des milieux où il n’y a pas de concurrence alimentaire avec les autres animaux. Ils mangent de l’herbe, des lichens…”

Pour autant, pour l’instant, il n’est pas question d’un nouveau lâcher de bouquetins. La raison ? “On n’a pas encore la certitude à 100 % d’avoir des animaux parfaitement sains, dit-il. On ne peut pas prendre le risque de voir se développer une maladie dans les populations de bouquetins, ce serait très embêtant. Cet hiver, on nous avait signalé le cadavre d’un bouquetin, mâché, polytraumatisé, comme l’avait constaté l’un de nos techniciens.”

“Cette souche ne se trouve qu’en Espagne ou au Portugal”

Il précise : “A priori, il a été pris dans une coulée de neige. On veut s’assurer qu’il n’y aucun problème sanitaire. On suit ce genre d’événement de près pour agir très vite, si besoin. Nous sommes d’une vigilance absolue. C’est pour cela qu’aujourd’hui nous ne faisons pas de lâchers de bouquetins : les informations qui nous arrivent d’Espagne sur le sujet ne nous certifient pas que les animaux sont sains. Cela ne veut pas dire qu’ils sont malades. Mais on ne veut pas prendre de risque.” Pourquoi ne pas faire venir des bouquetins d’autres populations d’un autre pays ? “Cette souche ne se trouve qu’en Espagne ou au Portugal. Cela n’a rien à voir avec le bouquetin des Alpes qui est une autre espèce. C’est comme l’isard dans les Pyrénées et le chamois dans les Alpes.

Olivier SCHLAMA

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