Pour la seconde fois en quelques mois, les maires du Bassin de Thau, emmenés par Sète, demandent une révision du projet de ligne nouvelle. Sauf ceux de Mèze et Frontignan qui n’ont pas signé ce second courrier ! La présidente de la Région s’est battue depuis des années pour que ce serpent de mer soit remis en selle et financé. Le préfet de région pourrait être amené à organiser une réunion-vérité. Vice-président de la Région, Jean-Luc Gibelin défend ce projet “vital“.
“Carole Delga est colère et moi aussi.” La sentence est du vice-président de la région Occitanie, Jean-Luc Gibelin, chargé des transports. La future ligne TGV, de Montpellier à Perpignan (une ligne supplémentaire qui doublera la ligne existante, saturée), qui s’étire sur 150 km, pourrait ne jamais voir le jour : c’est le risque que font courir les maires du Bassin de Thau, François Commeinhes, maire de Sète, en tête, vent debout contre le projet. “Si nous ratons ce coche, c’est perdu”, avertit pour sa part Jean-Luc Gibelin.
Submersion marine ; viaduc imposant à Poussan ; coût exorbitant ; moins de TGV en gare de Sète…
Risque de submersion marine de la ligne actuelle d’ici un siècle ; viaduc imposant à Poussan (pour les trains de fret) ; coût exorbitant estimé in fine de la ligne TGV (10 milliards d’euros) ; moins de TGV en gare de Sète à l’avenir… La future LNMP concentrerait tous les inconvénients selon les maires du Bassin de Thau qui n’en démordent pas : après avoir envoyé une missive à Michel Barnier à l’automne 2024, ils récidivent le 6 janvier dernier en écrivant une longue lettre à François Bayrou – que nous nous sommes procurée – pour demander la révision du projet avec de nombreuses contraintes, qui ne pourront pas être satisfaite, signant son arrêt de mort. Ne serait-ce que parce qu’il faudrait en repasser par une nouvelle et fastidieuse déclaration d’utilité publique.

Une ligne nouvelle socio-économiquement vitale dans un bassin où vivent 200 000 habitants (500 000 l’été). “Ces mêmes maires avaient déjà saisi le Premier ministre Michel Barnier à l’époque contre ce projet que l’on a mis des décennies à bâtir et que Carole Delga a sorti de l’ornière et ils viennent de recommencer avec Bayrou ! Si on voulait qu’il capote, on ne s’y prendrait pas autrement… Surtout que Carole Delga se démène depuis son élection pour ce projet vital pour l’économie ; un projet dont Macron ne voulait pas !”, maugrée un bon connaisseur du dossier. Est-ce dû à l’approche des futures élections municipales… ?
Thierry Baëza, maire de Mèze, et Michel Arrouy, maire de Frontignan n’ont “jamais signé” cette lettre à Bayrou
Pire, cette seconde missive au Premier ministre, les 14 maires sont censés l’avoir paraphée ; or, Thierry Baëza, maire de Mèze, affirme n’avoir jamais donné sa signature pour ce second courrier à Bayrou. Et même d’avoir donné sa parole de ne pas remettre en cause ce tracé. Contacté, le maire de Frontignan, seconde commune la plus peuplée après Sète, Michel Arrouy (PS), proche de Carole Delga, dit également qu’il n’a pas apposé sa signature au bas de ce second courrier.
Réunion organisée par le préfet de région ?

La solution pourrait venir du préfet de Région si, comme il se murmure, il organisait très vite une réunion de concertation avec tous les acteurs politiques du bassin de Thau et remettait tout le monde sur les bons rails. “Si le territoire ne veut pas cette ligne, on ne la fera pas”, aurait cinglé Carole Delga. “Mais il ne faudra pas venir nous dire qu’il y a des problèmes sur la ligne encombrée, avec des retards…”
“Il faudra mettre tout le monde autour de la table pour que la question soit tranchée”
Jean-Luc Gibelin abonde : “Il faudra mettre tout le monde autour de la table pour que la question soit tranchée ; on ne peut pas se dire tous les matins, on la fait cette ligne ou on ne la fait pas…” La future ligne entre Montpellier et Béziers a une particularité : elle a la capacité d’être dédiée à la fois au fret et aux voyageurs ; ce qui est une bonne solution pour diminuer le nombre de poids lourds sur l’autoroute A 9 et les routes. Cette ligne serait donc mixte entre Nîmes jusqu’à Béziers et “nous avons demandé qu’elle soit aussi mixte jusqu’à Perpignan”.
Ligne nouvelle Montpellier-Perpignan, serpent de mer

La ligne nouvelle Montpellier-Perpignan est un serpent de mer qui dure depuis des décennies. “Elle a été relancée par Carole Delga qui en a fait une priorité depuis 2016. Elle a été portée en même temps que la liaison TGV Bordeaux-Toulouse, rappelle Jean-Luc Gibelin. Quand en 2017, Macron a dit : “sur ces grands projets, on fait une pause, on ne fait plus rien”, on a beaucoup bataillé pour l’imposer. Quand Jean Castex {ex-maire de Prades dans les P.-O. et passionné de trains Ndlr} a été nommé Premier ministre, il a été d’une aide déterminante. Il sait que ce n’est pas un caprice. Ça change la vie ! Il n’y qu’à regarder Bordeaux et Nîmes, avant et après l’arrivée du TGV : cela clôt les débats.”
C’est à ce moment-là que Carole Delga trouve même le financement et la répartition des 6,12 milliards d’euros du coût, dont 2 à 3 milliards rien que pour le premier tronçon à réaliser Montpellier-Béziers : 40 % Etat, 40 % collectivités (les trois conseils départementaux concernés et dont la plus grosse part est apportée par la Région Occitanie) et 20 % de l’Europe.
“Alors qu’approchent les élections municipales, le tracé de la ligne TGV dans le Bassin de Thau est remis en cause !”
“La présidente fait alors grandir l’idée suivante : faisons des sociétés de projet comme celle du Grand Paris qui permet de faire de l’ingénierie financière et de ne pas avoir la charge de l’emprunt pour les collectivités, confie encore Jean-Luc Gibelin. Carole Delga obtient ces deux sociétés qui permettent de collecter les participations des sociétés de projets des collectivités. Il y a, à ce moment-là aussi, un accord pour une fiscalité dédiée : une augmentation de la taxe de séjour pour les trois régions : Occitanie, Aquitaine, Sud. Elle est inférieure à 1 €. Et il n’y a pas de concurrence entre les trois régions qui peuvent augmenter cette taxe. Et alors qu’approchent les élections municipales, le tracé de la ligne TGV dans le Bassin de Thau est remis en cause !”
Jean-Luc Gibelin poursuit : “La ligne traditionnelle, il faudra la réaménager. La submersion marine de cette ligne actuelle, entre mer et étang de Thau, est prévue dans 80 ans à 100 ans. On a un peu de temps. Mais pour s’occuper de cette ligne menacée dans un siècle, il en faut bien une autre pendant les travaux !”
Toujours des TGV en gares d’Agde et de Sète

Pour le vice-président de la Région, la fréquence future des TGV en garde de Sète relève du volet commercial et il ne peut pas y avoir aujourd’hui d’engagement ferme de la SNCF pour 2032. “Sète a aujourd’hui une gare desservie par des TER, des trains d’Etat dits d’équilibre du territoire (ex-corail), la transversale Marseille-Bordeaux et les TGV, pose l’élu. Demain, Sète les aura toujours. Depuis 2017, Carole Delga a demandé à que l’on passe à 14 dessertes de ces ex-Corail au lieu de 8. L’Etat a même commandé des rames nouvelles “Oxygène” pour 2027. Pour le TGV, sur la période dite “estivale” (plusieurs mois dans l’année), vu qu’il y a comme augmentation de population l’été à Agde personne ne peut penser que les TGV ne s’y arrêteront pas. Et s’ils s’arrêtent à Agde, ils s’arrêtent obligatoirement à Sète.”
“Mais savoir aujourd’hui ce que sera la desserte de Sète des TGV Sète en 2032, ce n’est pas possible. En fait, dans les toutes premières études, il y a eu l’idée qu’il y aura moins de TGV. Évidemment qu’il y aura moins de TGV, mais il y en aura. Et rien ne permet de dire ce que sera la desserte en 2032. Il ne peut pas y avoir d’engagement si lointain. C’est déraisonnable de le réclamer. Quand il y a eu le contournement de Nîmes et Montpellier, nous avons augmenté de manière très importante le nombre de TER puisque nous avions des sillons sur la ligne classique. Donc, de la même manière, si les TGV passent par la ligne nouvelle, nous aurons davantage de sillons sur la ligne classique entre Montpellier et Béziers. Et la région augmentera le nombre de TER.”
“Nous ne sommes pas du tout opposés à cette ligne TGV !”
Premier vice-président de l’Agglopôle de Sète, Jean-Guy Majourel n’en fait pas mystère : “En réalité nous avons envoyé un premier courrier au Premier ministre le 26 ou 27 novembre 2024 et le 4 décembre, Michel Barnier, c’est la censure : il est obligé de partir de son poste. On a fait juste un copié-coller de ce courrier que nous avons renvoyé au nouveau Premier ministre, François Bayrou.” Mais peut-être que les signataires d’hier ne sont plus favorables à signer un tel courrier… ? “Si certains maires s’en émeuvent, qu’ils nous expliquent pourquoi ils auraient changé de position.”
Cette opposition n’est-elle pas en train de faire capoter le projet ? “Certes, nous ne sommes pas du tout opposés à cette ligne TGV !” Mais quand on demande de modifier un projet, cela met trop de temps et cela l’enterre le plus souvent. “Sur ce territoire, on connaît bien le projet de TGV. La phase 2, entre Béziers et Perpignan, est réétudiée dans sa totalité et l’intérêt de cette nouvelle ligne est d’avoir les deux phases de réalisées. C’est là que l’on gagne des sillons, de la fréquence de trains. Sur la première phase, on ne va rien gagner. A cause de son réexamen, la phase 2 va au moins être retardée de cinq ans. Avec une estimation du coût revue à la hausse, de plus de deux milliards d’euros.”
Olivier SCHLAMA
Lettre à Bayrou : “Un projet obsolète”
Y sont invoqués des “impératifs budgétaires, socio-économiques, paysagers et écologiques de demain”.
La lettre à François Bayrou, Premier ministre est datée du 6 janvier 2025 dans laquelle ils demandent “un réexamen complet du projet dans sa conception actuelle. Ces préoccupations, déjà communiquées à votre prédécesseur, nous paraissent essentielles et nécessiter un examen approfondi de votre part”.
Entre 8 milliards et 10 milliards d’euros

Et de poursuivre : “Même si l’on peut considérer la valeur socio-économique de ce projet comme objectivement faible (gain de seulement 39 minutes – dont seulement 18 minutes pour la tranche Montpellier-Béziers – sur une durée moyenne de 6 heures pour un Perpignan-Paris, un gain bien moindre que sur la plupart des autres LGV ; report modal de seulement 1% du fret routier de l’A9 vers le mode ferré entre Perpignan et Montpellier), pour un coût (6 milliards d’euros à date qui termineront selon toute vraisemblance entre 8 et 10 milliards d’euros à la livraison) et un impact écologique extrêmement élevés, l’ensemble des collectivités parties prenantes a joué le jeu du soutien à cette ligne et du financement des premières études et acquisitions nécessaires.”
“Perte de la desserte en TGV à Sète, dégradations environnementale, menaces sur la ressource en eau…”
La lettre à Bayrou ajoute que Sète Agglopôle Méditerranée participe à la phase 1 du projet à hauteur de 13 millions d’euros (40 M€ minimum sur l’ensemble des deux phases) et s’implique même dans ses instances de gouvernance alors qu’elle sera clairement la grande perdante de ce projet : perte de la desserte en TGV dans sa gare ; importantes dégradations environnementales et menaces potentielles sur notre ressource en eau ; implantation d’un viaduc de grande envergure au milieu d’un paysage remarquable ; perte globale d’attractivité économique et touristique de la destination.
Et cette saisine de rappeler que ce projet n’est pas compatible avec les “les efforts d’économies budgétaires au sein de l’Etat et des collectivités” demandés (…) “Un tel projet qu’il faut raisonnablement projeter à 10 milliards d’euros minimum de coût final, pèsera à 40% sur l’Etat et à 40% sur des strates de collectivités d’ores et déjà en difficulté. Ainsi des 3 conseils départementaux (Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales) qui doivent contribuer au projet et qui font partie des 20 au plan national qui ont été dispensés du mécanisme de prélèvement sur recettes mis en place par votre gouvernement. Il en va de même pour la situation budgétaire des EPCI traversés.”
Gel de la participation du département de l’Hérault
“Comment, dans ce contexte nouveau et durable de recherche d’économies à tous niveaux, considérer que l’Etat et les collectivités seraient en capacité de financer 80% du coût d’un tel projet, même déclaré d’intérêt général ? Le président du Département de l’Hérault vient ainsi d’annoncer le gel de sa participation à la phase 1 du projet de ligne nouvelle (149 millions d’euros, sa contribution totale sur le projet devant approcher le demi-milliard d’euros). D’autres suivront sans aucun doute.” Il y a aussi “la submersion annoncée de la ligne ferrée actuelle” et l’érosion du trait de côte.
“Une faute majeure”
Le courrier poursuit : “Aucun “coup de pioche” n’étant prévu avant 2029 pour la tranche 1, et la tranche 2 étant même en complète redéfinition sur le tracé comme sur la localisation des gares prévues, rien n’est irréversible et tout reste possible pour éviter ce qui serait une faute majeure en matière de dépense publique et une négligence coupable dans la prise en compte de la résilience des territoires littoraux. La phase 2 du projet (la seule qui permettra de dégager des sillons supplémentaires pour les TER) étant elle-même en cours de réanalyse, cela n’est pas de nature à retarder la réalisation du projet final à l’horizon 2040, grâce un meilleur enchaînement des travaux entre les 2 phases.”
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