Particulièrement exposé au réchauffement climatique, le littoral méditerranéen français, concentre, avec près de 3,3 millions d’habitants, de nombreux risques liés à la submersion marine, aux tempêtes. Les chambres régionales des comptes d’Occitanie, Paca et Corse s’alarment dans un rapport inédit des conséquences dues au “manque de prise de conscience politique”. Sauf du conseil régional d’Occitanie. Ces juridictions font des propositions claires.
C’est ce qui s’appelle une convergence inquiétante mais qui n’émeut guerre : il y a quelque jours, les scientifiques du Plan Bleu de l’ONU ont actualisé un constat terrible avec un réchauffement qui s’accélère autour de la Méditerranée (+ 2,3 ° en 2050 alors que c’était prévu 50 ans plus tard) ; une hausse du niveau de la mer de 40 centimètres et une concentration toujours plus forte d’habitants sur le littoral, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Et comme nous le confiait Agnès Langevine, présidente du Conservatoire du Littoral : “L’enjeu, c’est l’adaptation au changement climatique”.
L’urbanisation se poursuit ; la gestion de l’espace est laissée aux communes alors que cela devrait, à notre avis, être l’oeuvre des intercommunalités qui agissent dans un territoire plus vaste”
Valérie Renet, présidente de la CRC d’Occitanie
La maison brûle mais on continue de la regarder ailleurs… “Il y a une insuffisance prise de conscience et un manque de volonté politique, y compris des gens qui continuent à acheter des biens en zone rouge à risques et, par ailleurs, les moyens ne sont pas adaptés (…) Les gens n’ont pas conscience du sentiment de menace… L’urbanisation se poursuit ; la gestion de l’espace est laissée aux communes alors que cela devrait, à notre avis, être l’oeuvre des intercommunalités qui agissent dans un territoire plus vaste. D’autant plus que ce sont les intercommunalités qui ont en charge la lutte contre le changement climatique”, a exposé Valérie Renet, présidente de la Chambre régionale des comptes d’Occitanie. Érosion, inondations, submersion marine…
Rapport inédit publié par trois chambres régionales

Le littoral méditerranéen français, qui compte près de 3,3 millions d’habitants, est particulièrement exposé au changement climatique et aux risques de tempêtes. Lui qui fut régulièrement bétonné et continue de l’être. “Façonné par l’État avant les lois de décentralisation, puis par l’intervention des collectivités locales, il est aujourd’hui remis en cause”, rappelle la Chambre régionale des compte d’Occitanie qui vient de publier un rapport inédit réalisé avec deux autres CRC, Paca et Corse, et la Cour des comptes sur L’aménagement du littoral méditerranéen face aux risques liés à la mer et aux inondations.
Le nombre de bâtiments, logements et campings touchés par le recul du trait de cote serait au nombre de 300 en 2050 à 30 000 en 2100. C’est exponentiel”
Selon les “projections des assureurs, la valeur des biens exposés passerait de 500 M€ en 2050 à plus de 11 milliards en 2100”, souligne Valérie Renet. Qui complète : “Le nombre de bâtiments, logements et campings touchés par le recul du trait de cote serait au nombre de 300 en 2050 à 30 000 en 2100. C’est exponentiel. La valeur des biens sera plus importante en 2100 car il y aura de nouveaux biens en volume et les biens existants voient leur valeur s’accroître. Paradoxalement, alors qu’ils sont menacés par les risques de submersion et le recul du trait de côte. Ces dernières années, plusieurs dizaines d’arrêtés de catastrophes naturelles ont été pris, voire plusieurs vingtaines. On peut citer Villeneuve-les-Maguelone et Lattes dans l’Hérault.”
“La mobilité du trait de côte est prévisible”

D’emblée, les magistrats jugent que “les collectivités, qui disposent des principaux outils de planification, n’ont pas encore pris la pleine mesure des conséquences de l’exposition de leurs territoires aux risques liés à la mer et aux inondations, qui sont par nature imprévisibles, mais aussi à la mobilité du trait de côte, prévisible quant à elle. Ces phénomènes sont amplifiés par les effets du changement climatique. En tout état de cause, les collectivités les plus engagées se heurtent rapidement à une insuffisance des moyens à disposition permettant de répondre à ces problématiques”.
“Le sentiment d’exposition à la menace reste insuffisant”
Les rivages sont souvent des milieux fragiles qui concentrent pêche, économie bleue, artificialisation des sols… “Le sentiment d’exposition à la menace des habitants du littoral, comme parfois celui des élus, reste insuffisant. De même, l’évaluation du coût de l’impact de ces périls sur les bâtiments, réseaux, infrastructures, populations et de ses répercussions économiques demeure imprécise. Or, leur juste prise en compte dans l’élaboration des politiques d’aménagement suppose de définir et d’apprécier cette vulnérabilité ainsi que d’en suivre l’évolution dans le temps, en la complétant d’une dimension financière.”
Et de conclure sur “l’action publique {qui} n’est pas à la hauteur des enjeux”. Il existe bien des garde-fous comme les PPRI, Plans de prévention de risque d’inondation, “outils originaux et pertinents” que “les plans de prévention des risques littoraux ont renforcés”, d’autant plus qu’ils ont été “actualisés à la suite de la tempête Xynthia de 2010”. Mais au regard de la CRC, on peut mieux faire pour mieux prendre en compte “les risques de submersion et d’érosion côtière”.
Le rapport des magistrats mentionnent le fait que “les prescriptions de ces dispositifs sont, de surcroît, ponctuellement remises en cause afin de permettre la réalisation d’opérations d’aménagement locales, au mépris du risque identifié. Cette position d’attente est également perceptible dans les documents de planification régionaux, jugent encore les magistrats financiers. Ceux-ci traitent peu ou de manière imprécise, sans objectifs chiffrés, de la surexposition du littoral méditerranéen aux risques liés à la mer et aux inondations”.
L’action de la région Occitanie saluée
Une initiative récente de la région Occitanie, fin 2023, suscite une remarque positive des magistrats. Elle “mérite toutefois d’être soulignée, puisque celle-ci s’est associée à l’État et à la Banque des territoires afin d’accompagner, par un plan d’action, les collectivités dans la mise en œuvre de stratégies locales d’organisation du littoral. Le refus d’un grand nombre de communes de transférer aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) la compétence urbanisme ne favorise pas une vision des enjeux au niveau adéquat. De fait, les documents d’urbanisme continuent souvent d’ignorer les risques”.
D’ici 2100, la valeur des biens exposés à la montée des eaux sur les zones côtières pourrait atteindre 11,5 milliards d’euros”
Or, l’urgence s’impose : “Pour faire face aux défis climatiques et aux événements exceptionnels, il est essentiel que les acteurs publics se préparent aux évolutions inévitables. À court terme, sur la période 2020-2050, la charge annuelle d’indemnisation projetée des départements littoraux méditerranéens s’établirait à 485 M€ pour les seuls risques inondations (hors submersion marine). D’ici 2100, la valeur des biens exposés à la montée des eaux sur les zones côtières pourrait atteindre 11,5 milliards d’euros, face à l’effacement des ouvrages de protection. Il est donc nécessaire de trouver des solutions pérennes pour la configuration du littoral méditerranéen.” Imparable.
Les collectivités locales doivent se saisir de ce défi

Et de proposer que “les collectivités locales doivent combler le retard dans la mise en œuvre de stratégies de gestion intégrée du trait de côte et proposer des mesures d’adaptation, de défense et de recomposition, y compris par la relocalisation d’équipements publics. L’État doit être impliqué dans une vision régionale ou interrégionale des problématiques. Le financement des mesures d’adaptation pourrait être soutenu par l’utilisation de la taxe sur la gestion des milieux aquatiques et l’augmentation des ressources liées à l’occupation du bord de mer. Pour éviter la soutenabilité des coûts lors d’événements exceptionnels, une logique préventive de relogement pourrait remplacer celle indemnitaire. Enfin, des établissements fonciers spécifiques pourraient porter les mesures de recomposition spatiale avec un financement mixte, associant solidarité nationale, locale et utilisation du littoral.”
Parlement de la Mer, Plan Littoral 21, Plan d’adaptation au changement climatique du littoral d’Occitanie

Face à ce constat et les propositions des juridictions financières, Carole Delga, présidente de la région Occitanie “partage la plupart des constats et enjeux mis en avant par la Cour”. Et d’ajouter : “Je me félicite d’ailleurs que ce rapport souligne à plusieurs reprises le volontarisme de l’action menée par la région Occitanie depuis plusieurs années sur ce sujet de la prévention et l’anticipation des risques, notamment le risque de submersion marine, en lien avec ses partenaires (État, collectivités, acteurs économiques), dans le cadre du Parlement de la Mer et du Plan Littoral 21 dans un premier temps puis, désormais, dans celui du Plan d’adaptation au changement climatique du littoral d’Occitanie (Pacclo) voté en juillet 2024.”
L’Économie Bleue : 41 400 emplois en Occitanie
Concernant l’Économie bleue, Carole Delga souligne qu’elle représente 34 800 établissements, 41 400 emplois et 6,1 MdE de chiffres d’affaires en 2022. “Concernant les échanges interrégionaux avec la Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), des réunions techniques sont en cours pour partager l’expérience de l’Occitanie. Et pour ce qui est de la Camargue, des réunions ont lieu avec le syndicat mixte interrégional d’aménagement des digues du delta du Rhône et de la mer (Symadrem) pour trouver la meilleure articulation possible entre la stratégie locale de gestion intégrée du trait de côte du Golfe d’Aigues-Mortes et la réflexion engagée par le Symadrem sur la Camargue.”
Carole Delga va plus loin : “Je tiens également à souligner que le plan d’adaptation au changement climatique du littoral d’Occitanie (Pacclo) constitue bien une stratégie régionale partagée pour faire face à l’érosion côtière et qu’en apportant des moyens en ingénierie (un équivalent temps plein d’appui technique adaptation au changement climatique) et financiers (fonds européen Féder, Fonds Vert, crédits État, région, Banque des territoires…), il propose une offre de service globale et opérationnelle pour que les collectivités locales puissent avancer dans la mise en œuvre de leurs stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte (SLGITC).”
Enfin, la présidente de région “note enfin que cet outil répond bien en Occitanie aux recommandations de la Cour relatives à l’impératif d’élaboration de stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte dans les zones littorales les plus menacées, l’intérêt de généraliser les projets partenariaux d’aménagement associant les communes littorales et leur arrière-pays”.
Olivier SCHLAMA
Recommandations urgentes des CRC
En conclusion, les juridictions financières appellent à “une réaction énergique et rapide de l’État et de l’ensemble des acteurs publics afin d’adapter les politiques d’aménagement aux risques et menaces liés à la mer et aux inondations. Cela suppose d’ériger la diminution de la vulnérabilité en priorité de l’action publique locale, d’adapter les mécanismes de financement actuels et d’en initier de
nouveaux”. À cet égard, la Cour des comptes formule plusieurs recommandations.
1. Renforcer l’information préalable obligatoire à l’attention de l’acquéreur d’un bien immobilier par l’indication que celui-ci est susceptible, en raison du risque naturel auquel il est exposé, d’une diminution voire d’une perte totale de valeur (ministère de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques, ministère du partenariat avec les territoires et de la décentralisation).

2. Compléter la connaissance cartographique de la vulnérabilité (…) en projetant les coûts de destruction, d’interruption, de retour à la normale des activités et de reconstruction.
3. Supprimer la possibilité pour les communes-membres des établissements publics de coopération intercommunale des zones littorales préalablement identifiées comme menacées de s’opposer au transfert à l’intercommunalité de la compétence en matière de plan local d’urbanisme (ministère de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques, ministère du partenariat avec les territoires et de la décentralisation).
4. Rendre obligatoire l’élaboration d’une stratégie locale de gestion intégrée du trait de côte dans les zones littorales les plus menacées (ministère de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques, ministère du partenariat avec les territoires et de la décentralisation).
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