Pyrénées-Orientales : La réserve naturelle du Mantet et son “inspirante recherche d’équilibre”

Prospection hivernale © C Galy Fajou

Ce 1er février, ce tient à Prades le forum Réinventons la Montagne, pour clore le 40e anniversaire de l’exemplaire réserve du Mantet. L’occasion d’expliquer ce “modèle vertueux”, comme le démontrent Aude Vivès, vice-présidente du département, Jean-Luc Blaise, président de la Fédération des réserves des P.-O., Guilhem Laurents, conservateur. Et, bien sûr, Fiona Mille, présidente de Mountain Wilderness, invitée d’honneur.

Alors, bien sûr, là haut, il y a, dans la réserve naturelle nationale du Mantet qui s’étale sur 3 000 hectares et court de 1 400 mètres à 2 700 mètres d’altitude, dans les P.-O., des animaux protégés ; des espèces galiformes spécifiques aux Pyrénées (grand Tétras, lagopède, perdrix grise…) ; des invertébrés remarquables (le criquet catalan, la miramelle…) ; des papillons assez rares, notamment le Damier de la Succis, l’Apollon. Alors, bien sûr, là haut, “il y a un endémisme très fort”, souligne Guilhem Laurents, conservateur de la réserve du Montet dont les quelques dizaines d’habitants eurent refusé que leurs montagnes dodues n’accueillent une station de ski avec ses pylônes et ses télésièges. Il y a aussi des habitants fiers.

Forum “réinventons la montagne”

Indice lagopede alpin ©RNN Mantet

Mais la principale richesse de cette réserve, située entre les massifs du Canigó et de la Carançà, c’est son modèle anti-station de ski contre lequel elle s’érigea ; son “modèle de résilience doublé d’une volonté de renaturation”. Sans parler de sa mission de protection. “Ces réserves sont comme des “bulles” qui doivent essaimer ailleurs”, définit Aude Vivès, vice-présidente du département des P.-O. La réserve, qui est “l’une des plus grandes de France avec une source de biodiversité folle”, a fêté ses 40 ans d’existence, anniversaire qui se clôt ce 1er février avec un forum “Réinventons la montagne”, un forum citoyen (lire ci-dessous).

“C’est un modèle extrêmement vertueux”

En 40 ans, la nature s’y est reposée et s’est maintenue. Et elle va au mieux ; le tourisme y est différent. “On peut à partir de là se poser aussi la question de l’avenir des réserves alors que nous sommes dans un objectif de renaturation. C’est un modèle extrêmement vertueux qui permet en outre de gérer les flux…” Que démontre cette réserve d’intéressant ? “C’est un peu comme le Canigou Grand site : cela montre qu’un territoire peut se saisir et non pas subir : les habitant, il y a 40 ans, se sont mobilisés pour, au lieu de faire une station de ski, de classer le site une réserve naturelle. C’est un acte fort ! Il faut qu’il y ait des “bulles” comme ça pour développer la biodiversité.” Que de chemin parcouru !

“Un projet de recherche sur les trajectoires climatiques, phénologiques et pastorales des écosystèmes du sub-alpin”

Isard Pomarola ©RNN Mantet

Justement cette réserve est aux premières loges du réchauffement climatique. “Sur le sujet des changements globaux, la réserve naturelle de Mantet a participé à un projet de recherche national visant à étudier les trajectoires climatiques, phénologiques et pastorales des écosystèmes du sub-alpin (ANR TOP), indique Guilhem Laurents, son conservateur. Nous avons publié des résultats inédits grâce à l’utilisation de la télédétection. Nous voyons à présent sur carte 40 ans d’évolution de la végétation sur le massif. Nous avons également cette donnée sur l’évolution de la fonte de la neige. Ces recherches seront poursuivies pour être approfondies dans les prochaines années”.

“Cela conduit à un tourisme raisonné”

Sur lui renchérit Jean-Luc Blaise, maire du Mantet, qui ne regrette pas le choix de créer cette réserve il y a presque un demi-siècle : “C’est une aire de protection intégrée et acceptée par un village de 35 âmes. Cela contribue aussi au développement économique de ce territoire au travers des animations qui sont raisonnées, bien sûr. Nous ne sommes pas un village qui peut supporter du tourisme de masse mais, justement, il y a du tourisme événementiel autour de l’environnement ; avec des conférences ; des animations pour enfants ou adultes ; des journées d’arrachage de plantes envahissantes… C’est tout un travail avec les habitants et les bénévoles y compris autour de la restauration des murettes ; de l’entretien des sentiers, etc. C’est une entité qui fait partie intégrante de la vie du village. Sans parler des deux emplois dédiés et un emploi en mairie.” Et, par-dessus tout, “cela conduit à un tourisme raisonné”.

“Il faut qu’il y ait beaucoup de pédagogie ; il faut expliquer, faire comprendre. L’imposer ne fonctionnerait pas”

Suivi Persil Isard ©RNN_Mantet

Est-ce un exemple réplicable ? “Il faut qu’il y ait beaucoup de pédagogie, pose Jean-Luc Blaise ; il faut expliquer, faire comprendre. L’imposer ne fonctionnerait pas. Cela me paraît être un outil indispensable. Nous sommes les vrais témoins de la perte de biodiversité, même si on en a perdu beaucoup moins qu’ailleurs. Tout en sachant qu’il y a une vie et une économie sur ce territoire : il y a de l’élevage, de la chasse, pêche ; il y a beaucoup de randonneurs ; nous avons aussi le tracé du GR 10.”

Ce n’est pas un sanctuaire. “Ce ne sont pas des espaces mis sous cloche. Ce sont des espaces de sensibilisation. Les réserves sont créées par décret ministériel et il y a, certes, quelques interdits. Mais ceux qui sont posés vont tous dans le sens de la préservation et de la conservation des espèces”, détaille Jean-Luc Blaise, par ailleurs président de la fédération des neufs réserves catalanes existantes. “Une telle fédération, c’est unique en France. On en est co-gestionnaires avec des mairies, comme à Mantet, des associations. La Fédé gère les personnels que l’on met à disposition.”

“On ne protège pas si on n’explique pas aux gens”

Pourquoi les réserves fonctionnent-elles ? “Ces territoires l’ont souhaité et on s’est battus pour que mairies ou associations aient un droit de regard ; les services de l’État voulaient que nous gérions tout seul.” Y a-t-il des projets en commun ? “Nous avons mis en place les plans de gestion coordonnés qui sont harmonisés ; nous avons mis en place des missions transversales sur la protection ou le porté à connaissance : sur les grands prédateurs, les rapaces, l’agriculture. On ne protège pas si on n’explique pas aux gens.”

“On y cherche le bon équilibre avec la présence de l’humain, les pratiques sportives, récréatives, touristiques”

Levé de soleil Canigó ©GLaurents

Présidente de l’association Mountain Wilderness, Fiona Mille sera l’une des invités d’honneur de ce forum. L’association aux 1 600 bénévoles présents dans tous les massifs, se donne pour mission : “La sauvegarde de la montagne sous tous ses aspects”. Elle a été coprésidée à son origine par Haroun Tazieff, entre autres. Fiona Mille dit : “Que cette réserve ait 40 ans, cela montre en premier la pertinence du modèle sur la préservation et la protection des écosystèmes naturels et de ses espèces endémiques protégées. C’est pertinent.” Ce qui est intéressant dans cette réserve en particulier, c’est “toute la réflexion sur cette recherche de bonne cohabitation entre tous les acteurs. C’est un outil de protection mais c’est aussi un espace où l’on ne cherche pas à mettre la nature et la montagne sous cloche. Et où on cherche le bon équilibre avec la présence de l’humain, avec les pratiques sportives, récréatives, touristiques”.

“La question de la montagne habitée”

Sur le site internet de la réserve du Mantet, on peut consulter une carte interactive. “Il y a des données naturalistes, les lieux où il y a un enjeu de protection. Les refuges, les chemins de randonnées. Cela amène à réfléchir à comment on amène à concilier les pratiques sportives, touristiques et la protection du milieu. Exemple aussi, je suis trailer, randonneuse, etc., : eh bien, je peux y trouver comment faire pour avoir le moins d’impact possible sur la nature. Au-delà, dans cette réserve, on est vraiment sur la valorisation du patrimoine naturel et du patrimoine humain. On est sur cette question de la montagne habitée.”

“On doit s’inspirer de cette recherche d’équilibre”

Maintenance d’un panneau réglementaire ©C.Galy Fajou

“Il y a, redit-elle, cette recherche d’équilibre. C’est quelque chose dont on doit s’inspirer pour l’avenir. Souvent, quand on parle des enjeux de la montagne, c’est tout l’un ou tout l’autre : soit une réserve intégrale où l’homme n’a pas sa place soit un espace où la nature n’est pas suffisamment protégée. Dans ce genre de réserve, c’est un équilibre encadré : il est interdit d’allumer un feu, de bivouaquer (sauf autour des refuges ou le long du GR 10), d’y promener son chien ; la cueillette y est aussi interdite comme circuler à moto ou avec un véhicule à moteur… Même si parfois l’interdiction est nécessaire, on n’est pas dans une posture d’interdiction. On doit surtout apprendre avec la nature. Avec notre association, on essaie beaucoup de porter le rôle et l’importance des métiers d’avenir qui sont autour.

“C’est quoi de vivre à la montagne demain ?

Fiona Mille. DR.

À propos de son livre, Fiona Mille dit : “Il est axé sur les enjeux pour nos montagnes. Au regard des effets du dérèglement climatique que l’on y constate, plus rapide en altitude, quels sont les enjeux de biodiversité et leurs impacts sociaux et économiques. Finalement, la question centrale, c’est de se demander : c’est quoi de vivre à la montagne demain ? Au regards des enjeux globaux et aussi de nos spécificités montagnardes. Ce n’est pas la même chose de parler transition écologique au coeur de Toulouse ou dans un territoire rural de montagne. Ma “porte d’entrée” dans ce livre, ce sont les Jeux d’hiver dans les Alpes en 2030 sont davantage qu’un événement sportif international. C’est une vitrine, c’est un soft power incroyable.”

Alors, bien sûr, là haut, on peut rêver… “J’essaie de me questionner sur ce que représentent ces Jeux d’hiver pour nos montagnes. N’est-ce pas une recherche de continuer à aller vers une montée en gamme de nos territoires ? Car on cherche à attirer toujours plus de monde, une clientèle qui a plus d’argent. Mais à quel prix, en termes d’aménagement, d’artificialisation des sols parce qu’il faut construire de nouvelles routes et de nouveaux hôtels pour répondre à la supposée attente de cette clientèle… Ce faire rêver alors que l’on est plus que confrontés au problème de l’enneigement. Ilk faut rêver de montagne autrement…”

Olivier SCHLAMA

  • L’intérêt du site de Mantet est mis en évidence dès les années 1960 lors de la proposition de création d’un parc national dans les Pyrénées-Orientales par l’association Charles-Flahault. Après la publication en 1976 de la loi relative à la protection de la nature, l’association poursuit ses efforts pour préserver le site.

Forum “Réinventons la Montagne”

Quina muntanya tenim, quina muntanya volem à Prades, amphithéâtre du lycée polyvalent Charles-Renouvier, le 1er février 2025. Accessoirement, c’est la fête de la raquette traditionnellement organisée chaque année par la réserve naturelle nationale de Mantet et le Gprenc (Grup pirinenc rossellones excursionista nor-catala – président Antoine Glory et délégué local de Mountain Wilderness) qui prend une allure innovante cette année.

Gentiane bleue @ G.Laurents

Dernier événement de ses 40 ans, la fête de la raquette de Mantet prend la forme d’un forum citoyen, Réinventons la montagne qui évoquera les enjeux de biodiversité, les espaces naturels, les bonnes pratiques en randonnées. Quina muntanya tenim, quina muntanya volem (Quelle montagne nous avons, quelle montagne nous voulons), pour reprendre une partie du titre du livre de Fiona Mille, présidente de l’association Mountain Wilderness France, et qui sera présente pour l’occasion.

Quatre conférences qui seront toutes suivies par un temps d’échange entre le conférencier et le public

“Ce forum doit nous permettre de nous questionner sur notre approche à la montagne en tenant compte des changements globaux actuels (réchauffement climatique, érosion de la biodiversité, additionalité des pratiques de pleine nature). Le plus de ce forum est d’évoquer ces problématiques globales avec pour exemple principal, des territoires locaux bien connus des catalans du Nord, la réserve naturelle de Mantet et le massif du Canigó.”

Ce forum, est composé de quatre conférences qui seront toutes suivies par un temps d’échange entre le conférencier et le public. Les thèmes portent sur des sujets locaux puis plus globaux. Dans l’ordre vont se succéder : Jean-Luc Blaise, Florian Chardon, Vincent Vles et Fiona Mille. Ce cycle de conférences sera suivi par un temps convivial où sera servi un apéritif composé de produits locaux, fabriqués par les producteurs et les artisans de l’association Rotja vallée gourmande, acteurs clés de nos montagnes catalanes. Un instant dédicace sera aussi possible avec Fiona Mille et la librairie de Prades La Libambulle, partenaire de l’événement.

Manque de neige : les espèces doivent s’adapter

Station météo. Alemany ©RNN Mantet

“Historiquement, la Fête de la Raquette a pour objectif de rassembler et de sensibiliser les amoureux de la randonnée hivernale à la recherche d’espaces naturels préservés, aux enjeux de conservation de la nature. Mais, depuis plusieurs années, l’élévation des températures fait fondre le manteau neigeux ne permettant plus la pratique de cette activité. Autre effet, les écosystèmes de haute montagne sont bouleversés. Habitués à être recouvertes de neige, les espèces doivent s’adapter à l’absence d’environnement blanc et froid.”

Pire, “le manteaux neigeux ne protège plus contre la puissance du rayonnement solaire et le vent séchant. Difficile pour un grand nombre de nos espèces d’altitude de s’adapter à ces changements si rapides. Parallèlement à ce phénomène, la fréquentation humaine dans les espaces protégés, a elle aussi changé. L’accès à la montagne s’est largement démocratisé, notamment grâce aux réseaux sociaux. La diminution du manteau neigeux rend les massifs abordables plus longtemps qu’avant. Et notre perception et notre approche aux espaces naturels évolue. La raquette à neige n’est plus la seule activité de loisir. Or l’addition galopante des pratiques en espaces naturels n’est pas toujours compatible avec les besoins de tranquillité de nos espèces sauvages”.

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