Ces projets « apaisants » : “Construire des coeurs de villes affectifs…”

Le Canal Royal, à Sète. La municipalité rogne de plus en plus le stationnement des voitures au profit des mobilités douces. Photo : Olivier SCHLAMA

Dis-Leur ! décrypte les projets de Sète, Carnon et Castelnau-le-Lez. Leur leitmotiv : rendre la ville plus “paisible”, en “renaturant” leurs grands axes, favorisant les mobilités douces et rognant la place des voitures. David Lestoux, qui a rédigé le rapport national sur les centres-villes, et Laurent Chapelon de l’université Paul-Valéry de Montpellier 3 expliquent les raisons de cette tendance de fond.

On connaissait la station de ski des quatre saisons, voilà son homologue balnéaire qui veut vivre et briller sur l’année. Mauguio-Carnon, station la plus proche de Montpellier, est de celles-là, qui a lancé un ambitieux projet de reconquête baptisé Mauguio 2030. Au programme : “Faire entrer la nature en coeur de ville” ; “renforcer visibilité et accès au port et à la plage”… Carnon, c’est 3 500 habitants à l’année – 35 000 l’été – qui se partagent une ville étirée sur 2,5 km ! Le budget n’est pas roupie de sansonnet : 10 M€. Premier coup de pioche, le 29 novembre. La fin des travaux ? En 2026.

“Prise de conscience des maires”

Future capitainerie de Mauguio, Photo : A+ Architecture

Chaque ville cherche à aménager un plan d’eau ou à en créer un pour satisfaire ses habitants. Et à oxygéner son centre-ville. Parfois à faire les deux en même temps. Fondateur de l’agence d’architecture LA !, qui travaille sur de nombreux réaménagements de centres-villes, David Lestoux avance plusieurs raisons à ces embellissements en cascade. Sur le littoral ou ailleurs.

Une demande sociale de plus en plus forte pour des centres-villes avec davantage de confort et d’espaces pour construire le lien social…”

David Lestoux
David Lestoux. DR.

Celui qui conseille des municipalités dans toute la France dit : “Depuis quelques années, on assiste à un rattrapage des politiques publiques sur les centres-villes, y compris s’agissant des stations balnéaires. Il  y a aussi eu une prise de conscience des maires qui profitent, par ailleurs, des effets de leviers financiers de la Région, des collectivités et de l’État. On constate, également, une demande sociale et sociétale de plus en plus forte pour des centres-villes différents. Avec davantage de confort, d’espaces et d’espaces pour construire le lien social.” Il note également la volonté des communes de se différencier les unes des autres, de faire jouer le “facteur marketing territorial est à l’oeuvre pour améliorer une image plus différenciante”. Il ajoute “Il faut construire un coeur de ville affectif et quitter l’ère du fonctionnel”, formule David Lestoux qui a rédigé le rapport national sur les centres-villes.

“L’identité de Carnon, c’est l’eau. Nous voulons un front de mer dégagé”

Yvon Bourrel, maire de Mauguio-Carnon

Mauguio-Carnon possède déjà une belle différence avec une ouverture extraordinaire sur la Méditerranée. “L’identité de Carnon, c’est l’eau. Nous voulons un front de mer dégagé”, confie Yvon Bourrel, le maire. D’où ce projet global faisant la part belle à une Esplanade du port “revalorisée”, à l’érection d’une nouvelle capitainerie et de la réfection des quais et abords du port ; de la construction d’un port à sec… Ce projet comprend aussi nouvelle entrée de ville, promenade piétonne, piste cyclable en site propre ; 500 places de stationnement à l’entrée pour favoriser les déplacements doux ; un relais pour mobilités douces, une reconfiguration des voies majeures menant à la plage…

Recomposition de l’espace public façon Plan Marshall

Enserrée entre Méditerranée et Canal du Midi, la commune avait profité du dynamisme de la Mission Racine dans les années 1960 mais sans jamais avoir eu l’occasion de se démarquer avec un projet de cette envergure. La mission Racine avait pour but de capter les touristes qui fuyaient abondamment vers l’Espagne et l’Italie, en bétonnant et en créant des barres parfois “improbables”. Sans avoir pensé ces stations littorales comme “lieu de vie”, comme le dit si bien Yvon Bourrel, le maire. Cette mission a créé des enchevêtrements de parkings publics et privés… D’où cette “recomposition de l’espace public” façon “Plan Marshall”.

“Nous avions refait le quai Tabarly. L’intention, aujourd’hui, est de supprimer toute la circulation et le stationnement autour de la place Cassan, embolisée par des véhicules, pour offrir visuellement la mer aux visiteurs. Nous voulons aussi dévoiler ce port. Le port de Carnon a été créé dans les années 1965-1970. Cinquante ans plus tard, nos infrastructures avaient besoin d’un toilettage ; il avait certes été apporté par touches ponctuelles mais Carnon n’est plus seulement un aimable village de vacances. C’est devenu un lieu où les gens se sont “résidentialisés”. Et qui appelle la montée en puissance d’équipements structurants. Qui ne peuvent pas se limiter à l’érection d’une maire-annexe, comme on a fait en 2002, ou de la médiathèque, d’une section de la MJC… Mais une vraie requalification de l’espace public.”

Des hôtels flottants avaient même été imaginés…

Projet Mauguio 2030 vue avenue Gautier-Conquet. DR.

Par ailleurs, “le canal c’est la plus belle ligne d’eau que nous ayons dans la région pour la pratique de l’aviron, par exemple”, pose Yvon Bourrel, le maire. On avait, poursuit-il, imaginé jadis des hôtels flottants, des pénichettes, à l’instar de celles du Canal du Midi. Demain, je n’exclus pas le charme d’une promenade maritime via le canal avec la possibilité, pour les familles, de se rendre en bateau du Pont de Pérols ou des Quatre Canaux, à Palavas, par exemple, au Grand Travers où il y a une possibilité d’appontement. Ce que faisait, sur terre, jadis, le petit train de Palavas. C’est une manière d’éviter les encombrements et de revisiter le milieu naturel.”

Notre philosophie générale, c’est de libérer les quais, notamment ceux autour du Canal Royal”

Vincent Sabatier, maire adjoint à Sète

Pourtant historiquement écartée de la Mission Racine, Sète est dans le même état d’esprit de requalification de ses quais ; de création de mobilités douces en coeur de ville à la place des voitures. Une authenticité quelle veut garder et entretenir. “Notre philosophie générale, c’est de libérer les quais, notamment ceux autour du Canal Royal”, confie Vincent Sabatier, maire adjoint chargé du projet. Cette initiative s’intègre à un projet plus vaste consistant à régler l’épineux dossier du stationnement, notamment payant, en coeur de ville, ce qui donne lieu à des polémiques, l’espace en Ile Singulière, peut-être plus qu’ailleurs, étant limité.

600 places en moins en centre-ville et 3 000 places de plus à l’extérieur

Les quais de Sète. Photo : Olivier SCHLAMA

Il faudra s’habituer à ces nouvelles contraintes : environ 1 500 places de stationnement sont vouées à être supprimées en surface, notamment autour des quais sétois. “Mais nous allons en recréer 900”, précise Vincent Sabatier, par ailleurs marin dans une entreprise de bateaux de promenade. Mais il restera un déficit de 600 places assumé : “Dans le même temps, nous allons créer 3 000 places, mais à l’extérieur du coeur de ville, notamment le long de la RD 2, en aménageant la seconde partie du Mas-Coulet, dans des parkings “en silo” dans la ZAC Est”, donnant tout le loisir au visiteur d’enfourcher un vélo, une paire de rollers ou de se rendre en centre-ville a pedibus. Car ce dernier sera davantage réservé à l’avenir aux pistes cyclables ; aux piétons qui bénéficieront de plus en plus de quais sans voitures où n’existeront que des voies de bus et des transports doux en sites propres.

Favoriser les mobilités douces

Vincent Sabatier précise : “Nous préférons favoriser les mobilités douces en centre-ville que d’y laisser des automobiles… immobiles qui ne roulent que 5 % de leur vie…” La ville est en train d’expérimenter son concept quai Léopold-Suquet. Moyennant 1 M€, Sète va rendre ce quai totalement piéton. Les travaux commencent dans quelques jours. “Pour l’ensemble du centre-ville, c’est un programme de plusieurs millions d’euros au total dont nous en budgétons qu’une partie chaque année.”

Hubs de livraisons

Les quais de Sète. Olivier SCHLAMA

La prochaine étape sera laissée au prochain maire de Sète en 2026. “L’idée, c’est de créer des “hubs” des points de rassemblement pour les camions de livraison”, confie encore Vincent Sabatier. Et acheminer les cartons et autres produits à livrer avec des véhicules propres et pourquoi pas autonomes, comme la Poste de Montpellier l’expérimente, comme Dis-Leur vous l’a expliqué. C’est ce que l’on appelle la livraison du dernier kilomètre. Cela évitera, comme aujourd’hui, de faire entrer les poids lourds dans le coeur de Sète traversée, c’est une curiosité, par une départementale qui est censée jouer le rôle de voie d’urgence et qui est encalminée du matin au soir. Peut-être même qu’un jour, seuls les véhicules non thermiques pourront continuer à emprunter le fameux “tour de montagne”, du Théâtre de la Mer à la Corniche…

Castelnau-le-Lez veut rendre la ville plus “paisible”

Castelnau-le-Lez, elle, a commencé à préparer le terrain et les esprits, en menant des travaux hydrauliques importants pour se protéger des inondations survenues lors d’épisodes cévenols. Elle s’attaque désormais à rendre la ville “plus paisible”, comme l’explique son maire, Frédéric Lafforgue. Castelnau-le-Lez a mobilisés pour cette première étape quelque 420 000 € . Le projet a été porté par la ville et le bureau d’étude Garcia Diaz, le syndicat du bassin du Lez et le service hydraulique de la métropole de Montpellier.

La crise sanitaire est aussi passée par là… Avec des balades, des cheminements… Les maires y sont plus sensibles…”

Frédéric Lafforgue, maire de Castelnau

Le maire, Frédéric Lafforgue dit : “On a voulu se réapproprier la ville, la crise sanitaire est aussi passée par là… Avec des balades, des cheminements… Les maires y sont plus sensibles. Surtout en entrée de ville, j’ai voulu que l’on se réapproprie les berges du Lez. Nous venons d’inaugurer la première partie du projet le 6 novembre entre le Pont de l’Europe et le Pont de la Concorde. On a créé des espaces bucoliques, comprenant une grande plaine avec des jeux pour enfants, et comme c’était un ancien cynodrome (circuit dévolu aux courses de lévriers, Ndlr), on l’a recrée pour que les gens puissent faire leur jogging, etc. Il y a eu des travaux de réhabilitation du terrain, des plantations… On aussi répondu à un cahier des charges précis, étant labellisés Terre et Territoires engagés pour la nature. On avait présenté trois projets aux habitants ; ils ont voté à 73 % pour celui qui reprenait le cynodrome, des jeux pour enfants et le terrain de pétanque.”

Vers une série de parcs boisés le long du Lez

Frédéric Lafforgue dévoile aussi que “comme en face, nous avons le parc Méric, l’idée c’est à l’avenir de jeter une passerelle depuis Castelnau et avoir, à terme, une série de parcs boisés le long du Lez pour aller de Palavas à Saint-Clément en passant par le parc Méric et le zoo du Lunaret. Cela a aussi une vocation touristique.” La seconde phase, qui sera engagée en 2024, consiste en une requalification progressive des berges dans le cadre d’une opération appelée Promenade du Lez.

“Accompagner le cheminement et le regard”…

La philosophie commune à tous ces projets ? Apaiser. Apaiser la ville. “Nous voulons accompagner le cheminement et le regard”, conclut Yvon Bourrel, une sentence que les autres maires, souvent de communes littorales, reprendraient sans nul doute à leur compte. Quel est son regard sur les projets des autres maires ?

Avant, les élus avaient peur de jouer leur réélection s’ils s’attaquaient aux automobilistes. L’envie d’une meilleure qualité de vie l’a emporté”

Laurent Chapelon, professeur à l’université Paul-Valéry à Montpellier 3
A vélo, en famille en centre-ville de Sète (Hérault). Photo : Olivier SCHLAMA

Professeur à l’université Paul-Valéry de Montpellier 3, spécialiste des mobilités douces le répète d’ailleurs comme un mantra : “Le dénominateur commun, oui, c’est d’apaiser la ville. On sent ce changement de vision des politiques sur ce sujet qui veulent désormais réintroduire des mobilités douces dans leur coeur de ville ; et peut-être que la crise du covid n’y est pas étrangère. Oui, on sent cette envie d’améliorer les cheminements piétons et les modes doux. On sent une volonté dans leurs stratégie d’améliorer le cadre de vie. Cela correspond à une demande des habitants. Même si la voiture garde encore pas mal de place. Avant, les élus avaient peur de jouer leur réélection s’ils s’attaquaient frontalement aux automobilistes. L’envie d’une meilleure qualité de vie l’a emporté…”

Concilier qualité de vie et tourisme

“En général, conclut Yvon Bourrel, ils sont davantage dans des exigences fonctionnelles – par exemple construire des logements et densifier les zones déjà urbanisées par manque de place ou d’interdiction de s’étendre sur des espaces naturels – mais n’oublions pas que nous avons le fameux Plan Littoral 21, qui est un moule, un support financier non négligeable, et qui a amené une forme de convergence de pensée avec l’Union des villes portuaires d’Occitanie qui travaille sur l’habitat marin, le renouvèlement des énergies… Même si je n’ai pas envie de planter des girouettes à Carnon… Ce que nous partageons, c’est l’exigence de protéger le milieu naturel qui sera notre planche de salut. On va vers une conciliation de la qualité de la vie de tous les jours et du tourisme.”

Olivier SCHLAMA

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