Finances, démographie, services, culture, etc. La chambre régionale des comptes d’Occitanie a scanné 26 villes moyennes, plébiscitées dans les sondages, en appelant, au delà du bilan, à penser la ville de demain, davantage mobilisée en réseaux et aux projets complémentaires des communes de leur territoire. Et à la recherche d’un équilibre avec Montpellier et Toulouse. Décryptage.
C’est un rapport inédit, à la croisée des finances, de la politique, de la sociologie et de l’aménagement du territoire. Et du mieux vivre-ensemble. Jamais, une institution, la Cour des comptes, n’était allée aussi loin. Quelles villes moyennes pour demain ? “Elle sont à la croisée des chemins”, a résumé ce lundi Valérie Renet, de la chambre régionale des comptes d’Occitanie qui présentait, avec Chrystelle Naudan, magistrate elle aussi à la CRC Occitanie, la partie régionale. Des années d’investigations.
80 % des Français veulent vivre dans une ville moyenne
“C’est une étude que nous avons commencée en 2018. Nous ne savions pas que ces villes moyennes – de 10 000 à 100 000 habitants – allaient être autant d’actualité ; et elles le sont d’autant plus qu’elles doivent faire face à la crise sanitaire.” Toujours selon Valérie Renet, citant le baromètre des Territoires pour qualifier les enjeux importants, “80 % des Français préfèrent vivre dans une ville moyenne plutôt que dans une métropole et un quart des actifs des grandes villes veulent déménager dans une ville périphérique.”
C’est à la même période que l’on d’ailleurs a lancé les actions Coeur de ville pour dynamiser les centres-villes dont la majorité d’entre-elles sont à la peine et qui font l’objet de toutes les attentions de la part des pouvoirs publics. “Nos questions ont été : comment répondre à cette attractivité des villes moyennes ? Ont-elles les moyens de les absorber ? Quels sont leurs atouts et leurs faiblesses ? Et nous avons tenté d’apporter nos solutions. Notre étude date d’avant la crise sanitaire mais celles-ci ne pourront d’autant mieux affronter la hauteur de la vague de difficultés à venir qu’elles auront une bonne santé financière.”
Les gens veulent un pavillon avec un petit jardin dans la périphérie des villes, ce qui accentue un phénomène de péri-urbanisation, générant des problématiques d’étalement urbain, de transport, d’artificialisation des sols…”
Chrystelle Naudan, magistrate
Les villes moyennes en France représentent 26 % de la population, 30 % en Occitanie et 18 % de l’emploi. “Nous en avons retenu 25”, précisent les deux magistrates (1). Chrystelle Naudan analyse : “L’Occitanie est certes attractive et les villes moyennes aussi. Mais globalement la dynamique démographique est moindre que dans les métropoles. On se sait pas si le covid-19 va changer les choses ou pas. Ceci dit, ce que veulent les gens c’est un pavillon avec un petit jardin dans la périphérie des villes, ce qui accentue un phénomène de péri-urbanisation, générant des problématiques d’étalement urbain et de transport ; d’artificialisation des sols ; où l’on est obligé de faire des allers-retours en voiture. Cela se conjugue avec la paupérisation des centres-villes : ceux qui y restent sont souvent ceux qui ne peuvent pas aller habiter ailleurs…”
“Croissance économique moindre que dans les métropoles”
Autres difficultés des villes moyennes, là aussi, “une croissance économique moindre que dans les métropoles avec une baisse de l’emploi salarié entre 2010 et 2015 alors que c’est en hausse dans les plus grandes villes d’Occitanie : Nîmes, Perpignan, Montpellier et Toulouse” ; les magistrats ont noté “un recul des services, avec une palette plus réduite que dans les métropoles dans tous les domaines : sport, commerces, enseignement…” Enfin, Chrystelle Naudan a évoqué “un désenclavement inégal, de Mende à Agde en passant par Béziers ou Sète”.
“Des villes plus endettées, en moyenne, que les communes françaises”
Conclusion, la situation des villes moyennes en Occitanie ont “quelques marges de manoeuvre”. Ce n’est pas la catastrophe mais elles ont des “fragilités”. “Ce sont des villes plus endettées, en moyenne, que les communes moyennes françaises ; qui mobilisent les deux-tiers de leur capacité d’autofinancement pour rembourser le capital de la dette. La situation n’est pas homogène en Occitanie, a précisé Valérie Renet.
Rodez, Gaillac, Narbonne, Mende, Lunel… Et Alès…!
Rodez, Gaillac et Narbonne ont davantage su consolider leurs comptes ; Béziers, prudent, a retenu ses investissements dans la relance ; Mende, Montauban et Lunel sont les plus exposées, notamment parce qu’elles ont lancé une ambitieuse politique d’investissement. On est allé jusqu’à regarder la situation des villes moyennes en 2019. Il y a bien sûr une baisse des dotations de l’Etat, compensée souvent par une hausse des impôts locaux, ce qui leur a permis de maintenir leur capacité de désendettement. A titre d’exemple, Alès est la seule ville de la région à avoir augmenté son épargne et baissé ses impôts.”
“La crise sanitaire de 2020 risque d’aggraver les choses.” En effet : “On remarque un fort encours de la dette supérieur d’un tiers à la moyenne des communes françaises. Les villes moyennes sont particulièrement endettées.” Et d’ajouter :les conclusions du rapport du député du Gers Jean-René Cazeneuve sur les intercommunalités et les communes moyennes est sans appel: l’épargne risque de chuter de 20 % en 2020.” D’où l’importance de la commande publique dans le cadre du plan de relance.
Instaurer une solidarité financière
Les magistrats ont formulé des recommandations. “Il faut une meilleure information des élus lors du vote du Débat d’orientation budgétaire en précisant le niveau d’autofinancement pour rembourser la dette et investir et cela sur plusieurs années” ; il faut aussi “créer des pactes financiers” que certains ont déjà signé entre leur intercommunalité et ses communes… souvent concurrentes… Il s’agit, si une commune ne peut plus payer, que l’intercommunalité à laquelle elle appartient se substitue financièrement à elle, selon un mécanisme de péréquation.
Justement, ces intercommunalités montrent des “faiblesses”, notamment le fait qu’elles “ne sont pas des leviers, parce que leur périmètre n’épouse pas forcément le bassin de vie de ce territoire (elles se sont souvent beaucoup agrandies, affaiblissant le rôle de la ville-centre) et parce que les transferts de compétence ne sont pas cohérents ou inachevés. Alès, encore elle, a dans ce domaine, une dynamique de territoire très affirmée”.
Sète dépense 1,6 M€ par an de “charges de centralité”
Les magistrats ont aussi relevé ce qu’elle appelle des “charges de centralité” : des structures, des équipements qui servent à toutes les communes d’une intercomunalité mais qui sont supportées financièrement par la ville-centre, comme c’est le cas à Sète qui dépense pour cela 1,6 M€ par an de charges, soit 37 € par an et par Sétois, alors qu’elles devraient l’être par tous les habitants de l’agglomération. Ce sont ces même villes annexe qui sont souvent choisies entre autres pour leurs impôts modérés et qui vident les villes-centres…” qui augmenteront, elles, ensuite, leurs impôts. On vit de plus en plus dans la banlieue d’une ville-centre dont périurbanisation se renforce. On tourne en rond…
Des solutions recommandées
Résultat, les magistrats de la Cour des comptes recommandent “d’intégrer les actions en faveur des villes moyennes dans le prochain contrat de plan État-Région afin de mieux coordonner les aides de l’Etat avec celles de la Région en les ciblant sur les villes moyennes dont la situation financière le requiert.” Et aussi : expérimenter un programme “proposant aux villes moyennes une aide en ingénierie pour concevoir une stratégie locale à l’échelle de leur agglo”. Cette dernière pourrait “coordonner un comité de pilotage unique des différents dispositifs de soutien des villes moyennes”.
Favoriser la coopération villes moyennes-zones rurales
La cour des comptes souligne que des “départements pourraient aussi favoriser la coopération entre les villes moyennes et les zones rurales qui les entourent” et indique que les “métropoles de Montpellier et Toulouse devraient développer des coopérations au-delà de leur territoire”, en profitant pour donner des chiffres intéressants : “L’État est le premier financeur apportant 9,4 M€ par an en moyenne sur le panel des 26 communes retenues et 14,7 M€ pour les EPCI (agglomérations).”
Dans la foulée, les deux magistrates ont indiqué que les départements sont les deuxièmes financeurs des communes ayant apporté, entre 2013 et 2018, une moyenne de 6 M€ par ans pour les 25 villes étudiées et 6,9 M€/an pour leurs agglomérations. “Les départements ont des relations ambivalentes avec les communes.” Dans le rapport, on peut lire : “Sauf exceptions, les départements ne jouent pas complètement la carte des villes moyennes (tensions avec les espaces ruraux). Ils ne perçoivent pas toujours les villes moyennes comme des moteurs économiques qu’il faut soutenir.”
Région Occitanie, grosse pourvoyeuse de financements
La région Occitanie, elle, est aussi pourvoyeuse de financement pour les villes moyennes : depuis 2016 et la fusion des deux région, elle apporte en moyenne chaque année 4,3 M€ en subvention à ces 25 communes de l’étude et 4,9 M€ pour les 26 intercommunalités passées au crible. “Sans compter les aides aux entreprises, au TER, aux ports, aux aéroports, au tourisme…” Sans oublier le financement des contrats territoriaux/bourgs centre “dont l’intérêt est de coordonner les différentes subventions à une échelle plus large sur celle de la ville elle-même”.
165 M€ engagés pour les opérations Coeur de Ville
Les magistrats ne pouvaient pas passer sous silence le programme national Coeur de ville dont 25 villes d’Occitanie ont bénéficié pour revitaliser leurs centre-villes en déshérence où galope la paupérisation et la vacance de commerces. “C’est un vrai apport”, a jugé Chrystelle Naudan.L’État, dans ce cas, se positionne comme assembleur, mobilisant les aides de la Caisse des dépôts, de l’Anah, etc. Au premier trimestre 2020, ce sont au total 165,8 M€ engagés sur cinq ans par tous les partenaires du dispositif en Occitanie (5 milliards d’euros pour la France entière).
Penser la ville dans son ensemble et avec les villes alentour
“Mais, indique encore Chrystelle Naudan, magistrate, il y a de réelles insuffisances : il est dommage que ce dispositif se focalise sur le seul centre-ville. Il faut penser la ville dans son ensemble. Et avec les villes alentour.” Elle ajoute : “Autre problème : il n’y a pas de vrais projets locaux de développement. Les questions sont nombreuses : à quels besoins répondent ces opérations pour aujourd’hui et demain ? Comment répondre aux besoins numériques ? Etc.”
Et d’enfoncer le clou : “Actuellement, on est dans une logique de centralité pas de réseaux. Chacun pense à “sa” zone commerciale, sa Zac. Or, il faut penser synergies pour le monde de demain. Il faut être à la hauteur des enjeux. Notre message, c’est qu’il faut des projets locaux à l’échelle du territoire. Aider à faire le territoire. Toutes les communes ont des projets communaux pleins les tiroirs : là une médiathèque, ici, une piscine, etc. Ce programme Coeur de ville devrait servir à fabriquer la ville de demain. L’Agence de cohésion des territoires devrait avoir, à ce sujet, un rôle central.
Les métropoles coopèrent peu…
S’agissant des métropoles, les deux magistrates notent qu’il y a “peu de coopération avec les villes moyennes ; il y a pourtant de forts enjeux entre elles : les bouchons sur les routes et la tension foncière.” Et de citer un exemple de “bonne pratique”, qu’il est trop tôt pour évaluer, celle d’une convention signée en 2019 entre la Communauté de communes des Grands Causses et la Métropole de Montpellier, mais dont la méthode est séduisante : “Dans tous les secteurs, on recherche la complémentarité économique, dans le tourisme, les circuits courts, les métiers d’art, etc. Le but c’est de savoir comment on peut coopérer ensemble.”
Olivier SCHLAMA
(1) Perpignan, Lézignan-Corbières, Narbonne, Béziers, Agde, Sète, Lunel, Beaucaire, Bagnols-sur-Cèze, Tarbes, Lannemezan, Pamiers, Foix, Carcassonne, Mazamet, Castres, Auch, Montauban, Gaillac, Albi, Figeac, Cahors, Villefranche-de-Rouergue, Rodez, Mende, Millau.
Bons et moins bons élèves
Attention, les exemple d’analyses valent jusqu’en 2018, année où s’arrête le rapport de la Chambre régionale des comptes.
À Rodez (Aveyron), “ça fonctionne bien” : Au premier trimestre 2020, le chômage s’y établi à seulement 4,9 %, “c’est le plus bas de la région et dans les dix plus bas de France”. Musée Soulages, centre-ville, projet urbain, peu de commerces vides (taux de vacance commerciale le plus bas des 26 intercommunalités)… Les relations et les projets entre l’EPCI (créée en 1964 et comprenant peu de communes, huit !) et la ville sont fluides et efficaces. Et donnent de bons résultats en matière d’emploi, de tourisme. “Il y a même un manager pour le centre-ville !”
À Tarbes (Hautes-Pyrénées), ville de 40 000 habitants, au contraire, est “très éloignée de Toulouse, elle ne peut compter que sur ses propres emplois. Elle est la ville qui a perdu le plus d’emplois sur la période étudiée ; sa population est vieillissante et elle a des quartiers paupérisés. C’est une ville volontariste mais… De plus son agglo comprend… 86 communes dont 70 ont moins de 1 000 habitants, un défi à la gouvernance.”
Mende (Lozère). Peu de chômage : 5,9 %. “Les gens préfèrent habiter les coteaux en face, ce qui crée un phénomène de péri-urbanisation et de la concurrence fiscale. auto-financement limité mais d’importants investissements grâce aux aides et aux emprunts d’où quelques risques. C’est une commune très aidée au titre de l’aménagement du territoire.”
Agde (Hérault). “C’est une ville assez particulière de 30 000 habitants.” Une situation sociale “fragile” ; c’est “une ville de séparation : entre le quartier nudiste et textile ; entre la commune et le cap d’Agde, sa zone touristique. La situation sociale y est fragile. 70 % de la population habite au centre-ville. Elle a un fort taux de chômage : 14,5 %. Idem pour le taux de pauvreté, l’un des plus forts en France métropolitaine avec un gros problème de logements vétustes dans le centre ancien. La ville a engagé une politique de renouvellement urbain ; une action Coeur de ville. Au niveau financier, c’est confortable Il y a de la dette car les investissements sont élevés.”
Sète (Hérault). La situation sociale y est fragile, avec 11,7 % de chômage et un taux de pauvreté élevé à 24,9 %. Vacance commerciale importante. Pas mal de logements dégradés en centre-ville. Les taux d’imposition ont baissé en 2017 et 2018 mais ils restent supérieurs à ceux pratiqués dans la même strate. Sète a des marges de manoeuvre limitées à cause de l’endettement et de la pression fiscale. Mais les choses s’améliorent. Le port apporte 2 600 emplois directs et indirects, un chiffre d’affaires de 1,6 milliard d’euros. Sète, qui supporte 80 % des logements sociaux de son agglo, a vu des opérations urbaines se faire pour 7 M€. Le couple EPCI/Ville est celui qui investit le plus dans la culture. Il n’y a qu’à voir les 500 000 visiteurs d’Escales à Sète.”
O.SC.
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