Méditerranée : Les pêcheurs amateurs appelés à se déclarer et à déclarer leurs prises…

La pêche à la dorade, à la Pointe-Courte, à Sète. Photo : Bernadette Cumant

L’Ifremer propose aux pratiquants, sétois dans un premier temps – Sète est test -, de se compter grâce à son application, Catch Machine. “Il s’agit d’anticiper” sur l’avenir de la ressource en zone côtière. De quoi, aussi, préparer les esprits : l’UE aimerait que, d’ici 2028, la déclaration des pêcheurs devienne obligatoire suivie peut-être de celle des captures. La liberté de pêcher, sans en rendre compte à personne, vit peut-être ses dernières années…

Catchmachine. C’est le nom d’une nouvelle application développée par l’Ifremer pour mieux connaître la population de pêcheurs amateurs. Pour que ceux-ci se déclarent et déclarent leurs prises. Frictions en perspective dans un univers où règne depuis des lustres une complète et, parfois, belle anarchie… Car, en mer, pas besoin, aujourd’hui, de permis de pêche. Ni de quotas. Nuit et jour. N’importe où.

En France aucune étude ne permet de comptabiliser le nombre de pêcheurs de loisirs. On estime à un peu moins de trois millions de porteurs de cannes à pêche pour quelque sept à huit millions de sorties. Ça en fait des muges, dorades et loups relevés !

Poids économique et une activité concurrente

À l’heure où les chaluts sont en voie de disparition – il n’en restera que huit basés à Sète en fin d’année contre trente-six il y a dix ans…- et que le nombre de “petits métiers” – ceux qui ne pêchent professionnellement que dans la bande côtière des trois miles nautiques – pourrait, en cascade, voir, eux, leurs effectifs grossir, la pêche de loisirs représente indéniablement un poids économique et une activité concurrente que jamais personne n’a précisément évaluée. Cela ferait beaucoup de monde – pros et amateurs – pour une ressource qui n’est pas inépuisable.

Déjà, en 2019, un rapport du sénateur Pierre Médevielle

Un certain nombre de pratiquants amateurs sont, certes, regroupés en clubs ou en fédérations. Mais c’est une minorité, environ 10 %, estime-t-on. D’où cette idée d’application pour smartphone pour mieux encadrer la pratique qui s’inscrit dans la volonté de l’Union européenne de mieux contrôler cette “anarchie“.

Un rapport de 2019 du sénateur de Haute-Garonne Pierre Médevielle a même été publié sur ce sujet sensible en concluant notamment qu’il faut mieux “organiser une connaissance exhaustive et obligatoire des pêcheurs récréatifs embarqués” et “mettre en place une déclaration obligatoire des captures d’espèces sensibles”. Nous y voilà.

Depuis quelques jours, l’Ifremer a donc sorti une application pour smartphones. Baptisée Catch Machine, elle permet, photo à l’appui, aux pêcheurs amateurs de déclarer leurs prises. C’est Sète qui a été choisie comme ville-test d’un dispositif qui pourrait ensuite être dupliqué partout sur la façade méditerranéenne.

On sait que cette pêche de loisir a une action sur le milieu mais on ne connaît pas son incidence sur la ressource”

Maria Ruyssen, directrice Ifremer Sète. Ph. Olivier SCHLAMA

Directrice de la station Ifremer de Sète, Maria Ruyssen explique : “C’est une application libre de droit téléchargeable sur tous le smartphones. On l’a développée à l’Ifremer en lien avec les Fédérations de pêche de loisirs. Avec le soutien des services de l’Etat et des Aires marines protégées dans le but d’inciter les pratiquants à se déclarer en tant que pêcheurs – parce que l’on est incapables de connaître cette population exacte – et à déclarer leurs captures et les espèces et leur taille – parce que l’on est incapables là aussi de connaître l’ampleur des prélèvements.”

Elle précise : “Il y a bien des enquêtes annuelles mais elles se basent sur un panel assez faible de pratiquants. On sait que cette pêche de loisir a une action sur le milieu mais on ne connaît pas son incidence sur la ressource. La meilleure manière pour quantifier tout cela, c’est de proposer cet outil. À terme, cela va nous permettre de faire des estimations.”

“Nous la déploierons sur toute la façade méditerranéenne”

Dans ce partenariat ne figurent pas les organisations de pêcheurs professionnels comme la Sa.Tho.An, des organisations professionnelles ou le Comité régional des pêches. “Ce n’était pas notre “cible” : ces organisations sont déjà régies par des réglementations précises.” Pourquoi choisir Sète pour tester cette déclaration volontaire ? “Sète, pour nous, c’est la première commune qui déploie cette application destinée à la pêche de loisir à l’échelle d’une ville. Entre-temps, nous avons fait un travail de gestion avec les Aires marines protégées et avec tous les parcs naturels marins de Méditerranée.”

Tout cela a été précédé d’un travail de fond. “Cet été, complète Maria Ruyssen, des arrêtés ont été pris pour rendre la déclaration des pêcheurs obligatoire et celle des captures volontaires. Dès qu’ils seront effectifs, en octobre prochain, on va pouvoir déployer cette application dans chacun des parcs. Sète fait office de précurseur, de test. Nous déployons cette application avec l’aide des magasins de pêche qui sont au contact quotidien avec les pêcheurs amateurs. Ensuite, si cela se passe bien, nous la déploierons sur toute la façade méditerranéenne.”

“Entre 2026 et 2028, la déclaration des pêcheurs deviendra obligatoire”

Un thon rouge de la plus belle espèce. Photo Sa.Tho.An.

Est-ce une première étape avant la déclaration obligatoire des prises…? “Ce qui est dans les tuyaux au niveau européen, c’est que entre 2026 et 2028, la déclaration des pêcheurs deviendra obligatoire. Pour l’instant, ce n’est pas fixé pour la déclaration des captures. Elle risque de devenir également obligatoire sur un certain nombre d’espèces sensibles qui ne sont pas encore arrêtées. Cela dépendra notamment de comment on s’y prend, si on recoupe avec les espèces pêchées par les professionnels. Ou on partira sur d’autres espèces comme le poulpe, par exemple.”

Réfléchissez à la gestion que vous avec envie de mettre en place et pas celle que vous allez subir parce que la ressource s’est effondrée…”

Sur le thon, il y a quelques années, il y eu des amabilités échangées entre les deux mondes de la pêche. Au final, il y a du thon partout “grâce à une gestion drastique. Elle n’est pas tombée de nulle part : il y avait eu un effondrement du stock ; c’est une gestion internationale des quotas et que sur une seule espèce. Là, ce que l’on veut c’est être en capacité d’anticiper les choses. De pouvoir dire aux pêcheurs, que vous représentez tant de personnes ; que l’ensemble des captures, c’est X tonnes ; donc réfléchissez à la gestion que vous avec envie de mettre en place et pas celle que vous allez subir parce que la ressource s’est effondrée…” C’est un projet de co-construction.

La pêche à la dorade à la Pointe-Courte, à Sète, c’est un type de pratique qui pose évidemment question…”

La daurade Royale est emblématique du littoral languedocien. Photo : Jérôme BOURJEA, Ifremer.

Si d’aventure pêcheurs et poissons étaient soumis à déclaration obligatoire, comment le faire respecter ? Il n’y aura pas un flic derrière chaque pêcheur… Ça en serait fini du “festival de cannes”, à la Pointe-Courte, à Sète, chaque automne, où des milliers d’amateurs relèvent des tonnes de dorades… “Jusqu’au jour, où il n’y aura plus de dorades. Ce type de pratique pose évidemment question. Il faut que le pêcheur finisse par prendre conscience qu’il faut que l’on sache où on en est.”

Au final, demander aux pratiquants de se déclarer, n’est-ce pas utopique ? “S’ils le font volontairement, répond Maria Ruyssen, justement, ils ne seront sans doute pas confrontés à un effondrement de la ressource.” Déjà, dans la bande côtière, à part des tortues Caouanne qui viennent de plus en plus pondre chez nous ; quelques requins et autres baleineau et dauphins en goguette dans le port de Sète et au large d’Agde, le poisson se fait rare, foi de nageur ! À part, c’est vrai de nombreux bancs de jols pourchassés par des bonites… On n’est pas à l’abri d’une raréfaction de la ressource en zone côtière parce qu’il y a un report des activités. A terme, toutes ces activités cumulées, on en paiera le prix“, confie encore Maria Ruyssen qui compte sur un premier bilan d’ici septembre.

Depuis les premiers hameçons, il y a 15 000 ans, l’homme n’a eu de cesse d’améliorer ses engins… jusqu’à la surpêche, expliquait ICI dans Dis-Leur !  le spécialiste Didier Gascuel. Selon lui, l faut changer de paradigme en tenant compte de tout l’écosystème : pêcher le poisson quand il est adulte ; sélectionner davantage les espèces ou mieux protéger les fonds marins… Il appelle cela la pêchécologie, néologisme qui marie écologie et économie halieutique…

Olivier SCHLAMA

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