Pêche : Plongée dans le monde secret des vers de chalut

Les vers de chalut servent à pêcher principalement daurades et loups. Le Sétois Malik Debza est l'un des rares, avec ses frères, en France, à aller les chercher au fond de la Méditerranée. Photo : Olivier SCHLAMA

Le Sétois Malik Debza est l’un des rares pêcheurs en France, avec ses frères, de vers de chalut, très recherchés par les pêcheurs, notamment amateurs de daurades et de loups. Un métier méconnu qui demande du courage et du tempérament. Ce que confirme Michel Cantou, ex-plongeur biologiste.

Loin des vapeurs d’essence du centre-ville, les pieds dans l’étang de Thau, à Sète, le mas de Malik Debza, 41 ans, et de ses deux frères, trône au beau milieu de ceux, plus traditionnels, d’ostréiculteurs, qui embaument, tous ensemble, l’odeur puissante de l’iode.“Sous l’eau ? Ça ne sent rien !”, sourit Malik Debza, l’un de ces rares pêcheurs de vers de chalut en France destinés à la pêche de loisir.

Un matériel de professionnel

Malik Debza devant ses bacs de conservation de vers de chalut dont certains peuvent être plus grands qu’un homme. Photo : Olivier SCHLAMA

Son mas porte, en plus de l’ambiance halieutique, les stigmates, rares, d’un métier méconnu, voire secret, qui ne se conçoit que dans les règles de l’art. Mini-aquariums pour stocker ces fameux vers à une température idéalement fraîche – “La chaleur c’est leur ennemi juré ; quand l’eau est trop chaude, on peut avoir 50 % de mortalité”, dit-il – d’une drôle de couleur oranger et qui peuvent dépasser la taille d’un homme.

On y trouve un matériel de professionnel : une station d’air comprimé pour remplir les bouteilles de plongée (pour rester parfois plus de deux heures au fond de la Méditerranée) ; combinaisons en néoprène Yamamoto de 10 mm, pour pêcher ! Sans oublier un bateau pour aller et venir sur l’étang et un autre pour la mer. L’investissement est important. Ce qui fait dire au Sétois Malik Debza, né au pied de Saint-Clair, au Mas Grenier, que ce paramètre limite, de fait, les volontés de braconnage. “La complexité du réseau de distribution y participe.” Même les professionnels de ce métier sont rares.

Malik Debza dans son mas, à Sète. Photo : Olivier SCHLAMA

Il surpasse le bibi, mouron, escavène…

Chez les frères Debza, on pêche les vers sauvages les plus recherchés, remontés du fond de la Méditerranée, avec un système d’appât astucieux ; ces vers dont raffolent daurades et loups et que les pêcheurs amateurs auront la joie de remonter au bout de leur ligne après en avoir achetés quelques-uns dans des magasins spécialisés. La passion a un coût : comptez autour 18 € le vers XL, en fonction de la taille. Ce n’est pas roupie de sansonnet mais il paraît qu’il surpasse le bibi, pourtant très recherché ; le mouron, la traditionnelle escavène, le jumbo et autres crabes blancs… C’est le champion toutes catégories. “Le pêcheur le coupe en tronçon pour chaque poisson à pêcher…”, précise Malik Debza.

“On compte une centaine de pêcheurs professionnels mais on ne sait pas vraiment combien pêchent des vers marins”

Des vers de chalut dont raffolent les daurades et les loups…Photo : Olivier SCHLAMA

Une poignée de pêcheurs professionnels remontent ces animaux marins, des annélides, prisés des amateurs. Ce sont, parfois, les mêmes qui se tournent aussi vers les oursins, les palourdes et le ramassage des surprenants concombres de mer ou holothuries. “On compte une centaine de pêcheurs professionnels mais on ne sait pas vraiment combien pêchent des vers marins” : c’est Bernard Pérez qui parle. L’homme n’est autre que le président du Comité régional des pêches de Méditerranée. Et parle peu de cette pêche peu connue, voire secrète. “Le métier est un peu replié sur lui-même”, dit Malik Debza pour qui “soleil se lève tous les jours pour tout le monde…”

Des vers appâtés au fond de la Méditerranée

Photo : Olivier SCHLAMA

Formé à la Pointe-Courte, jouant encore au FC Sète jusqu’en CFA 2, comme milieu de terrain, adepte de VTT et de musculation, Malik Debza dit : “Il faut un diplôme hyperbariste pour pêcher en bouteilles, ce que nous avons tous à bord. Une licence est en pourparler ; d’ici-là, nous bénéficions d’une tolérance de l’administration.” La journée-type ? Lever à 6 heures du matin, direction des fonds sablonneux de Méditerranée. Là, on pose au fond, à 10 mètres ou 15 mètres de profondeur, de quoi les appâter. Le vers raffole de l’appât et s’en rapproche goulûment. Mais il faut encore arriver à le déterrer… Les frères Debza vendent ensuite ces vers à des grossistes en France et en Espagne.

Les tempêtes font découvrir ces vers aux poissons !

“Je connais bien leur travail qui n’est pas facile”, explicite Michel Cantou. L’ancien plongeur biologiste à la station de biologie marine de Sète dépendant de l’université de Montpellier souligne la complexité de l’écosystème de Méditerranée avec des daurades, par exemple, “qui se reproduisent en mer mais vont pondre dans l’étang de Thau où pullule le zooplancton”. Des daurades et des loups qui aiment les vers de chalut – on leur a donné ce nom parce que le chalut peut en ramener – parce qu’ils y ont goûté à l’occasion de tempêtes qui peuvent mettre en suspension couteaux, coquillages et vers de chalut, donc. Et qui n’y résistent pas quand le pêcheur du dimanche lui en présente un morceau devant le nez sur son hameçon. C’était un ver assez méconnu, peu ciblé des pêcheurs jusqu’à il y a une vingtaine d’années”, précise Michel Cantou.

Bijus, huîtres, palourdes…

Les bacs de conservation avec de l’eau idéalement fraîche. Photo : Olivier SCHLAMA

Titulaire d’un bac pro structures métalliques, Malik Debza a eu un parcours un fil de l’eau : “Il y a 30 ans, il y avait tellement de ressources dans l’étang de Thau que beaucoup y venaient pour pêcher palourdes, oursins, etc. Ça braconnait un peu aussi, reconnaît-il. Pas lui. “Puis, la ressource s’est peu à peu raréfiée…” En 2003, année caniculaire, ses frères, tous des “travailleurs” comme lui, se mettent au biju. “Il manquait un matelot. J’ai fait ça trois ou quatre mois avant de passer le certificat d’initiation nautique (CIN) au Lycée de la Mer, à Sète…” Il s’essaie à l’élevage de l’huître, à Bouzigues. Essai peu concluant. Puis, la palourde, coquillage prisé mais qui disparaît des eaux lagunaires. Avant de se lancer dans le ver de chalut en 2014.

“Ça me rappelle quand mon père rentrait du chantier…”

Né d’un père maçon et d’une mère au foyer, ayant vécu “une enfance heureuse où je n’ai manqué de rien, même s’il n’y avait pas beaucoup de superflu, avec mes quatre frères et ma soeur”, il aime cette indépendance et le travail bien fait. Ce n’est pas un métier facile. Quand, l’hiver, il fait 6 degrés dehors et que la Méditerranée est “gelée”, ce n’est pas évident. Mais, bon, j’assume et c’est un métier qui me plaît ; la mer, l’indépendance…” De plus, cette année a été particulière avec l’irruption de l’inflation, la flambée du carburant… Les sorties en mer en bateau en ont pâti et donc la pêche de loisir. Son regard se plante dans le vague : “Ça me rappelle quand mon père rentrait du chantier ; il voyait ses enfants, heureux, qui jouaient et souriaient ; il allait prendre sa douche. Et il était content…”

Olivier SCHLAMA

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