Érosion : Vias, Portiragnes, Sérignan… Le littoral pris entre deux vagues

érosion des plages Avenir de nos plages : l'État lance une grande consultation inédite auprès de la population. Comment ? Chacun peut se rendre sur une plate-forme collaborative baptisée Maplagedemain. "Il faut absolument trouver un équilibre entre activités économiques - l'économie des plages, la conchyliculture et les paillotes, etc., c'est quand même 100 000 emplois. On en est déjà à 2 000 contributions sur la plate-forme, dont 400 sont en cours de validation et il reste encore 15 jours pour donner son avis. C'est un vrai succès", juge Daniel Andersch, architecte-urbaniste qui travaille sur la prospective à la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer) de l'Hérault. Photo : Olivier SCHLAMA

Les scientifiques du Giec envisagent une montée des eaux d’un mètre en Méditerranée en un siècle. L’enjeu est considérable pour le tourisme, les ports et les habitants eux-mêmes dont on commence à diffuser l’idée qu’ils devront peut-être un jour être déplacés. Un bouleversement. Mais les freins sont nombreux. Exemple sur le littoral héraultais à Vias et Portiragnes, notamment, où les communes sont prises entre deux vagues : le tourisme, principale économie, et celle de l’envahissante Méditerranée. Sans solutions de repli, dont il faudra trouver le financement et en faire accepter la nécessité. C’est dans ce contexte que l’État lance une grande concertation citoyenne…

Même l’été, le touriste n’a plus le bonheur d’évacuer le réel sur une plage sereine. Jadis à l’oeuvre l’hiver, les coups de mer se multiplient sans se caler forcément sur le calendrier. Sur le cordon dunaire de Sète à Marseillan, les bois flottés recommencent, certes, à s’échouer sur la grève. Mais à quel prix… On a renfloué les plages de Sète et Frontignan à la faveur de travaux pharaoniques, en dépensant plus de 71 millions d’euros, qui ont notamment servi à reculer stratégiquement la route et le trait de côte, à poser des drains et des boudins atténuateurs de houle. C’est un chantier considéré comme l’un des plus importants en Europe. Mais, ailleurs, çà et là, la mer reprend déjà doucement ses droits…

érosion des plages de Méditerranée
Même après des travaux pharaoniques censés restaurer le transit de sable entre la plage et la mer, il faut continuer à protéger le littoral. Ici, à Sète, on pose actuellement un atténuateur de houle, quelques jours après qu’une tempête a léché dangereusement une paillote. Photo : Olivier SCHLAMA

Cinquante ans après la mission Racine qui a créé nos stations littorales pour retenir l’estivant fuyant massivement en Espagne et en l’Italie, on a ainsi acheté du temps. Mais pour combien de temps ? Le sable s’écoule dans le sablier…

Il y a quelques jours encore, à Sète, une paillote qui venait d’être installée pour la saison a vu un coup de mer de près, avec des vagues de six mètres… La pose d’un boudin géotextile d’un kilomètre, à 300 mètres du rivage, avec un bateau spécial pour freiner les vagues est accueilli comme un soulagement, même si du côté de l’Agglopôle de Sète on redit que la reconstitution de ce lido est une réussite : “Il y a même des endroits où la plage s’est agrandie de sept mètres.”

Une montée des eaux d’un mètre en Méditerranée

Un peu plus loin, toujours dans l’Hérault, à Vias, l’urgence est tangible. L’érosion est un problème majeur, jusqu’au Racou, à Argelès-sur-Mer, ou à Gruissan, dans l’Aude. Ou qui va le devenir. “Les deux-tiers du Golfe du Lion sont touchés par l’érosion”, explique ainsi Frédéric Bouchette, de Géosciences, à Montpellier. Le réchauffement climatique est pleinement à l’oeuvre. A laquelle il faut ajouter les effets pervers de construction d’ouvrages, d’agrandissements de ports et autres barrages créés par l’homme.

Dans la région, qui s’étire sur 220 km de littoral, dont 140 km dans l’Hérault (en comptant le pourtour de ses étangs) plus de 100 000 habitants seraient ainsi soumis au risque de submersion marine. “L’une de ces vagues vient des terres. Elle est la résultante de son attractivité démographique et économique. L’autre vient de la mer. Elle correspond aux risques de submersion, accrus par la montée du niveau des océans…” Ainsi s’exprimait en 2011 Philippe Grosvalet, président du département de Loire-Atlantique, au nom de l’assemblée des départements de France. Une côte bien loin de l’Hérault mais aux préoccupations similaires.

Nos stations, de Vias à Sérignan, ce sont 13 campings près de la mer et 94 % des nuitées de l’agglomération, un million d’euros rien qu’en taxe de séjour et un chiffre d’affaires qui se calcule en millions d’euros. Les enjeux sociologique, environnemental et économique sont très forts.

Gwendoline Chaudoir, vice-présidente de l’Agglo Hérault-Méditerranée.

C’était quelques mois après la tempête Xynthia qui a tué 43 personnes en février 2010, sur la côte atlantique. Cette exceptionnelle submersion a fait prendre conscience des enjeux considérables de la protection littorale. Des enjeux qui se heurtent à des freins de tous ordres notamment financiers, socio-économiques. Sans parler de l’acceptabilité sociale. “C’est un dossier épineux, complexe et qui prend énormément d’énergie”, témoigne Gwendoline Chaudoir, maire de Portiragnes et vice-présidente de l’agglo Hérault-Méditerranée. 

Membre de l’association des élus du littoral, Gwendoline Chaudoir a consciencieusement participé il y a quelques jours à une réunion du Comité national maires et littoraux. Dans le premier cénacle, on s’évertue à réfléchir à des solutions à proposer au gouvernement. Au Comité, bossent ensemble dans la même direction ONG, pêcheurs, sportifs, etc., en tirant le bilan des 10 ans du Grenelle de la mer, imaginant, là aussi, des stratégies applicables au niveau local.

érosion du lido de Portiragnes
Le lido de Portiragnes a subi une érosion due aux coups de mer. Et qui a commencé à être rétabli. Mais qu’il faut protéger comme ici à Vias, commune proche. Photos : P. Calas.

“Nos stations, de Vias à Sérignan, ce sont 13 campings près de la mer et 94 % des nuitées de l’agglomération, un million d’euros rien qu’en taxe de séjour et un chiffre d’affaires qui se calcule en millions d’euros.

L’enjeu sociologique, environnemental et économique est très fort. Il y a aussi des milliers de parcelles fortement “cabanisées”. C’est-à-dire des installations sans permis de construire. “Notre réflexion, qui va de l’Orb à l’Hérault, a commencé tôt, en 2005.

Vias est un secteur prioritaire. Comme Portiragnes ou Sérignan le deviennent. A Portiragnes, nous avons déjà fait de travaux pour nous donner le temps d’une réflexion à long terme. A Vias, le but est, déjà, de restituer le trait de côte. Reconstituer un transit.” Sables et dunes se sont fait rares. Laissant apparaître un tapis de cailloux qui “accélèrent l’érosion…”

La préconisation de l’État via la Dréal, c’est : on ne protège pas les travaux. On ne fait rien. Et notre bout de littoral ne leur apparaît même plus prioritaire ! Du coup, on ne pourrait même plus obtenir les aides régionales, départementales pour faire avancer ces travaux, etc., estimés à 23 millions d’euros, tout de même…”

Sur Vias, trois phases étaient prévues. Une seule première tranche de travaux a pu être menée en 2015 sur 900 mètres de linéaire avec le déplacement de certains campings, comme le Méditerranée. Mais il reste à traiter plus de 1,5 kilomètre de grève, en souffrance. Elle l’est d’autant plus qu’on a stoppé, faute de feu vert de l’État, ce projet pilote qui avait pourtant été choisi par… l’État, dont la stratégie a changé et elle a été élaborée par la Dreal sans concertation.”

Gwendoline Chaudoir poursuit : “La préconisation de l’État via la Dréal (Direction régionale environnement, aménagement et logement), c’est : on ne protège pas les travaux. On ne fait rien. Et notre bout de littoral ne leur apparaît même plus prioritaire ! Du coup, on ne pourrait même plus obtenir les aides régionales, départementales pour faire avancer ces travaux, etc., estimés à 23 millions d’euros, tout de même. C’est impressionnant.

Sans parler sur le long terme des coûts de “fonctionnement”, c’est-à-dire de l’entretien régulier. Nous, on voudrait protéger les travaux qui ont été déjà réalisés avec notamment des boudins géants géotextile en mer pour atténuer la houle de Sud Est, explicite Gwendoline Chaudoir. Mais la Dreal, le service déconcentré de l’Etat en région, ne nous en donne pas l’autorisation…”

C’est un casse-tête dans un secteur qui est un exemple national, y compris parce qu’il cumule toutes les difficultés et les risques : c’est une zone “rouge” bardée d’interdictions liées au Plan de prévention de risques d’inondation (PPRI), de risques d’inondations fluviales, etc. “Ces deux dernières années, il y a eu des dégâts considérables sur le cordon dunaire récent et non protégé dus notamment à cet arrêt des travaux. “C’est une situation inextricable”, renchérit Gwendoline Chaudoir.

Selon une source bien informée, ce serait à cause de la configuration de la côte que la pose de ces boudins ne serait pas autorisée. “Les critères sont très précis, notamment les différentes en profondeur d’eau du bord aux 300 mètres…” Contactée à plusieurs reprises, la Dreal Occitanie est restée injoignable.

littoral de Sète
Le littoral de Sète a bénéficié d’un vaste projet de reconstitiution de son cordon dunaire. Mais, malgré tout, il faut continuer à l’entretenir. Photo : Olivier SCHLAMA

Nos collectivités n’ont pas les moyens d’acheter du foncier : il faudrait débourser, selon les estimations, entre 33 millions d’euros et 110 millions d’euros. Et il n’y pas pas de fonds Barnier comme les inondations fluviales.”

Pire, il est tout aussi difficile d’imaginer reculer le trait de côte : “On y réfléchit mais à l’arrière de la côte on est dans une zone encore plus vulnérable, classée “rouge” sur les documents officiels, se désole la mairie de Portiragnes. C’est-à-dire que l’on ne peut rien y faire… Comment est-ce que l’on s’adapte dans ces zones-là ?

Car, en plus, nos collectivités n’ont pas les moyens d’acheter du foncier : il faudrait débourser, selon les estimations, entre 33 millions d’euros et 110 millions d’euros. Et il n’y pas pas de fonds Barnier comme les inondations fluviales. Il se réfléchit, certes, au niveau national la création d’un fonds d’État peut-être sur les transactions mais pour l’instant, il n’y a rien…”

A Lacanau, par exemple, persiste l’élue, “ils n’ont pas pu relocaliser les commerces et des habitations en front de mer. A cause du coût, prohibitif qui aurait demandé des millions et des millions d’euros à investir… Comment les mettre sur la table, nous, outre l’acceptabilité d’une telle mesure dans la population ? Il faut nous laisser le loisir d’expérimenter. La loi littoral est formidable. Heureusement quelle est là.”

Et d’insister : “Mais, au regard de cette érosion qui s’accélère, il faut que l’on ait un pacte entre l’État et nous sur des zones où l’on pourrait inventer des autres modes d’habitation, des modes résilients. Parfois, même les habitants de nos côtes pensent que l’on veut bétonner. Mais surtout pas ! C’est du fantasme. On ne veut pas rouvrir à l’urbanisation mais protéger les gens. Et dire que l’on autorisera plus facilement à construire sur l’eau, à autoriser des maisons flottantes !” Enfin, la maire de Portiragnes “milite pour une inter-agglo” sur ce sujet délicat.

Les gens n’ont pas forcément vu l’eau de mer devant chez eux. Souvent, ils nous disent qu’une simple digue de protection suffirait ; sauf que, études à l’appui, ce n’est pas vrai et que, pendant ce temps, le phénomène s’accélère…”

érosion du littoralPendant ce temps, les élus du Scot (Schéma de cohérence territoriale) du Biterrois comme de l’Agglo Hérault Méditerranée ne restent pas les bras ballants. “On a lancé à l’Agglo une nouvelle étude conjointe avec Valras pour être prêt à poursuivre les travaux, confie Gwendoline Chaudoir ; nous avions travaillé à inventer une gouvernance partagée avec les syndicats mixtes, les habitants, les professionnels, etc. Pour convenir qu’il faut faire quelque chose.” Mais, sur le terrain, les sentiments face à l’érosion sont “partagés”. Ce n’est pas gagné. C’est parce qu’il y a une “3e vague” sous forme de frein psychologique d’une partie de la population.

“C’est compliqué… Les gens n’ont pas forcément vu l’eau de mer devant chez eux. Souvent, ils nous disent qu’une simple digue de protection suffirait ; sauf que, études à l’appui, ce n’est pas vrai et que, pendant ce temps, le phénomène s’accélère. Ma commune semblait stabilisée mais on enregistre une aggravation. On n’est pas du tout à l’abri d’une aggravation majeure. Comme ce fut le cas à Sète et Marseillan.

Tout le littoral, jusqu’à Palavas, est menacé.” La vice-présidente de l’Agglo conclut : “C’est un sujet très complexe, qui prend beaucoup d’énergie. Et c’est très frustrant vis-à-vis des habitants qui peuvent se demander si l’on ne jette pas de l’argent à la mer, comme ça. Ils vont en penser quoi de notre légitimité si on ne peut pas protéger nos travaux…?

Outil de calcul de BRL : plus fort que la tempête

l'État lance une grande consultation inédite sur l'érosion du littoral
Gwendoline Chaudoir, au centre. Photo : DR.

C’est dans ce contexte qu’a été élaboré en 2012 un projet unique, à Montpellier, baptisé Litto CMS (crisis management system).  “Un outil de prévision, d’alerte et de gestion, y compris en temps réel, des inondations et des submersions en zone littorale jusqu’au trait de côte”, explique Jean-François Blanchet, directeur général de la compagnie nîmoise BRL (Bas-Rhône Languedoc). Une plate-forme de calculs qui a mobilisé 2,5 millions de l’Etat et l’Europe.

“Nous allons justement très prochainement installer une version pilote sur l’étang de Thau pour montrer la qualité de notre modélisation in situ, avant sa commercialisation”, confie Jean-François Blanchet. Car, partout dans le monde, la demande est forte pour ce genre d’outil qui propose rien de moins que de calculer les conséquences d’une tempête avant qu’elle ne s’abatte. Mais en est-on encore là pour les côtes sablonneuses de l’Hérault ? Courants, vagues, tempêtes : tout se joue entre zéro et huit mètres de profondeur où se déplace 98 % du sable…

Avenir de nos plages : grande consultation sur l’érosion du littoral héraultais

C’est dans ce contexte également que l’État lance une grande consultation inédite auprès de la population. Comment ? Chacun peut se rendre sur une plate-forme collaborative baptisée Maplagedemain. “Il faut absolument trouver un équilibre entre activités économiques – l’économie des plages, la conchyliculture et les paillotes, etc., c’est quand même 100 000 emplois. On en est déjà à 2 000 contributions sur la plate-forme, dont 400 sont en cours de validation et il reste encore 15 jours pour donner son avis. C’est un vrai succès”, juge Daniel Andersch, architecte-urbaniste qui travaille sur la prospective à la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer) de l’Hérault.

Cette organise des ateliers de travail et de sensibilisation, notamment avec les maires du littoral pour “échanger sur la façon dont on gèrera demain plages et traits de côte au quotidien”. Et mettre sur pied une innovation, baptisée dans le jargon administratif : Scot des plages. C’est un schéma de cohérence territoriale commun à l’ensemble des communes du littoral.” Autrement dit, c’est un outil d’aide à la décision qui est censé permettre à chaque collectivité de choisir, en fonction de la typologie de ses plages, si elle veut plus ou moins de services ; une plage totalement vierge, etc.”

Car, la grande difficulté, c’est que “notre littoral est dans un entre-deux, explicite Daniel Andersch, . Il ne connaît – pas encore – de phénomène d’érosion gravissime comme en Aquitaine où il y a eu le fameux immeuble le Signal et on n’est pas – encore – comme en Paca où bon nombre de plages sont réduites à leur plus simple expression. Et donc, ce risque d’érosion n’est pas encore totalement ancré.

La population a l’impression que l’on a déjà sauvegardé ses plages et est pour majorité plus favorable à un statu quo en matière de travaux. Surtout qu’il y a des contre-exemples avec quelques plages qui, a contrario, s’épanouissent. C’est le cas des Saintes-Marie de la Mer ou Port-Camargue, par exemple. Cette consultation que nous lançons a pour but de créer une dynamique sur ce sujet.”

Olivier SCHLAMA

Un quart des communes littorales mangées par l’érosion

érosion des plages en MéditerranéePrès d’un quart des communes littorales (24 %) et près de la moitié des plages métropolitaines (46 %) sont mangées par l’érosion. Selon le ministère de l’Ecologie, 17,1 millions de résidents permanents sont exposés également aux différentes conséquences des inondations par débordement de cours d’eau, dont 16,8 millions en métropole. 1,4 million d’habitants exposés au risque de submersion marine. Et plus de 9 millions d’emplois sont exposés aux débordements de cours d’eau et plus de 850 000 emplois exposés aux submersions marines. Enfin, 20 % des habitations exposées aux submersions marines sont de plain-pied.

Quelque 6,2 millions d’habitants habitent sur 4 % du territoire métropolitain et 1,6 millions d’habitants concentrés sur 36 % du territoire ultramarin. On compte 285 habitants au kilomètre carré dans les 970 communes littorales métropolitaines contre 116 habitants/km2 en moyenne en France. Sociologiquement, 25 % de la population littorale âgée de plus de 60 ans (excepté en Manche-Mer du Nord) contre 19 % en moyenne en France.  (Source : Observatoire national de mer et du littoral, Gierc, Insee, 2013, BRGM).

O.SC.

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