Méditerranée : Éoliennes flottantes, le grand saut, c’est maintenant !

Avec la présélection de treize consortiums d’entreprises, l’Etat a vraiment donné le coup d’envoi d’un projet unique en France. La concertation se poursuit avec les territoires. Une nouvelle ère s’ouvre avec le lancement de ces géants qui devraient être capables dans quelques années de subvenir aux besoins électriques de plusieurs millions d’habitants d’Occitanie.

La révolution est en marche. Organisme indépendant, la Commission nationale du débat public (CNDP) a organisé pendant des mois une large concertation publique, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI, sur l’opportunité de création de deux parcs éoliens flottants en Méditerranée, avec une forte participation. Le gouvernement a décidé, en mars dernier, de se lancer dans cette vaste entreprise. Selon une étude de l’Ademe, un seul parc de 250 mégawatt (20 machines), hors raccordement, coûtera autour de 600 M€ à 700 M€.

Les caractéristiques précises des éoliennes (puissance et hauteur notamment) ne sont pas connues à ce stade et seront affinées au cours de la vie du projet. Mais, “considérant les récentes évolutions techniques du secteur, il est cependant probable que celles-ci aient une puissance unitaire supérieure ou égale à 13 MW, et une taille supérieure à 250 mètres de hauteur”, précise le ministère. Ce n’est pas rien !

Trois mois de débats intenses en 2021

Réunion pêcheurs Sète sur débat public sur éoliennes flottantes en Méditerranée le 27 août 2021. Olivier SCHLAMA

La Commission du débat public avait donc organisé plus de trois mois de débat, près de 120 rencontres in situ ou à distance et plus de 2 000 avis et contributions recueillis. L’État et RTE ont donc publié leur décision sur les suites données au projet en retour aux recommandations et demandes de précisions formulées dans le compte-rendu du débat public à retrouver ICI. Et de poursuivre ce projet malgré les réticences générales qui s’étaient clairement exprimées ICI.

Treize consortiums d’entreprises retenus

C’est donc une première pour la Méditerranée. C’est aussi une première en France. Treize consortiums d’entreprises candidates viennent d’être retenus (1). Le processus est donc véritablement lancé. Une nouvelle ère s’ouvre, pour une mise en service envisagée en 2030, comme le confirme l’une des trois personnalités garantes du suivi de la concertation sur ce projet, Antoine Landeau, nommés par la CNDP. Ces trois garants “conseillent les responsables du projet et maîtres d’ouvrage, l’État et RTE, sur l’information et la participation du public ; sur les meilleurs moyens d’informer et de donner la parole au public. Notre statut est collaborateur occasionnel de service public et on est indemnisés à la fin de l’année pour cela à hauteur de un à deux jours de travail par mois…”

De 250 mètres à 300 mètres de haut !

Des éoliennes flottantes. DR.

On a peu de recul sur cette technologie d’éoliennes flottantes. L’État dit avancer pas à pas. “Certains disent aussi que le projet avance trop vite !”, souligne en contrepoint Antoine Landeau, par ailleurs consultant en participation citoyenne et aménagement du territoire. Il faut se rendre compte du gigantisme : entre 250 mètres et 300 mètres de haut ! Et des vents de plus de 300 km/h au bout des pales de ces géants…“C’est pour cela qu’il nous paraît essentiel que le grand public puisse s’emparer de ce sujet par ailleurs complexe ; pas seulement auprès des acteurs de la mer et des professionnels de la mer. Il y a aussi un enjeu technologique. Le public est amené à faire des propositions tout au long du déroulement du projet. La concertation continue donc. l’Etat et RTE réfléchissent aux formats de cette concertation, réunions, information, etc.”

“Jusqu’où va-t-on aller ? Sachant qu’il n’y a pas beaucoup de visibilité sur le développement des énergies marines renouvelables. Est-ce que ces deux parcs c’est l’arbre qui cache la forêt ?”

Antoine Landeau, garant de la concertation

“C’est une ère nouvelle qui s’ouvre. Et, justement, pas mal d’acteurs se demandent : “Jusqu’où va-t-on aller ? Il n’y a pas forcément des oppositions très marquées ; attention, il y en a, oui ; mais, ce n’est pas la majorité. Mais il y a beaucoup d’acteurs de la mer qui se demandent : “Jusqu’où va-t-on aller ? Sachant qu’il n’y a pas beaucoup de visibilité sur le développement des énergies marines renouvelables. Est-ce que ces deux parcs c’est l’arbre qui cache la forêt ? Ça crée, du coup, une certaine défiance.”

Retour d’expérience de fermes pilotes ignoré

Port-la-Nouvelle : Les éoliennes flottantes, c'est pas du vent !
Port-la-Nouvelle : Trois éoliennes flottantes seront bientôt testées. DR

Ce qui nourrit aussi une certaine incompréhension, c’est également le fait que l’Etat n’a pas attendu de voir ce que donnent les fermes pilotes lancées de leur côté par la Région Occitanie pour en tirer des enseignements et lancer ces parcs éoliens à la lumière de ce que nous aurons appris ces premières fermes. “La Méditerranée est une mer déjà fragilisée, nous serine-t-on, attention de ne pas la fragiliser davantage. Il y a une forme de déception sur le calendrier, c’est vrai… On nous demande aussi à quoi va servir cette électricité ainsi produite. Sera-t-elle ou non complémentaire d’autres énergies alternatives renouvelables…?”

“Une grande demande sur la planification des énergies renouvelables en Méditerranée…”

Toujours selon Antoine Landeau, “il y a une grande demande : avoir justement une visibilité sur la planification de ces énergies renouvelables en Méditerranée. Aujourd’hui, il y a un débat sur certaines zones ; est-ce que ça veut dire que certaines zones qui n’ont pas été choisies le seront pour d’autres projets de parcs éoliens plus tard ? Ce sont les usagers de la mer, les acteurs de l’environnement avec l’enjeu de la préservation de la biodiversité et les professionnels de la pêche qui se posent cette question. Il est demandé à l’État de faire un vrai travail là-dessus.

Projet d’éoliennes dans les cartons depuis 2018

Pour la Dreal Occitanie (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement), qui a en charge la concrétisation du projet, c’est sinon un grand saut du moins “une nouvelle étape”. Le projet des éoliennes commerciales en Méditerranée qui est dans les cartons depuis 2018. Dès 2019, l’État identifie quatre grandes macro-zones.

En dialogue avec le territoire, il va falloir dans cette grande zone déterminer quelle zone précise on devra utiliser”

Frédéric Autric, directeur du projet éolien flottant en Méditerranée à la Dreal Occitanie

“On a retenu trois zones. Une première zone au large de l’Aude dans laquelle pourra se développer le premier parc éolien et sa future extension, sur un peu plus de 300 km2 et qui est deux fois plus grande que le besoin que l’on a pour les appels d’offres que l’on devra ensuite lancer. En dialogue avec le territoire, il va falloir dans cette grande zone déterminer quelle zone précise on devra utiliser”, précise Frédéric Autric, directeur du projet éolien flottant en Méditerranée à la Dreal Occitanie. Il y a ensuite deux autres zones identifiées, l’une au large de Fos-sur-Mer et la troisième au large de Narbonne. Le choix entre ces deux derniers sera précisé ultérieurement pour tenir compte des enjeux environnementaux, notamment des oiseaux au large de la Camargue.

  • Treize candidats sont sur les rangs ; combien en restera-t-il in fine ? Pourrait-il y avoir un consortium ?

Le ministère de la Transition écologique répond qu’à l’issue de la procédure, prévue à l’automne 2023, un lauréat sera désigné pour chacun des deux projets qui alimenteraient à eux deux un peu moins de un million d’habitants, un sixième de la population d’Occitanie. Il pourra éventuellement être identique pour les deux projets. “Un cahier des charges leur sera transmis et les 13 candidats concurrents feront leur offre. Et, à l’issue, l’Etat choisira un ou deux candidats pour ces deux premiers parcs, hors extension qui, elle, sera ou non décidée à partir de 2024”, précise-t-on à la Dreal Occitanie. Une fois choisis, les lauréats choisiront la technologie qui leur semblera idoine.

Dans la présentation au public lors du débat organisé par la CNDP, il avait été fait mention du fait que chaque éolienne pourrait faire 13 mégawatt, ce qui veut dire qu’elle culminerait, en bout de pale, à 260 mètres de haut. Extensions comprises, ces parcs alimenteraient in fine trois millions d’habitants, principalement d’Occitanie. 

Certains des candidats sont d’ores et déjà des consortiums (par exemple Elicio et BayWa r.e, Shell et Valeco ou encore le consortium wpd). Il n’est pas prévu que ces consortiums évoluent au cours de la procédure, sauf dans des cas spécifiques prévus dans le document de consultation publié sur le site de la Commission de Régulation de l’Energie.

  • Pour quels coûts ? Payés par qui ?

DR.

Le lauréat d’un parc, désigné à l’issue de la procédure de mise en concurrence, sera chargé de réaliser et d’exploiter le parc, tous les coûts associés étant à sa charge.
Le ministère précise qu’afin “d’accroître la diversification de ses approvisionnements électriques, l’État a cependant décidé d’accorder un soutien public au développement d’énergies renouvelables”. Pour les parcs éoliens en mer, cette subvention est versée sous la forme d’un complément de rémunération, contractualisé entre le porteur de projet et EDF obligation d’achat (EDF OA), dont le mécanisme est décrit précisément dans la fiche n°8 sur le projet” ICI. 

Pour les parcs flottants méditerranéens, le niveau de prix cible fixé dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie est de 110 €/MWh”

Il s’agit d’un revenu garanti pour le porteur de projet pendant les premières années d’exploitation de l’installation. Si le prix de l’électricité sur les marchés est inférieur à ce tarif garanti, l’Etat complète la différence. S’il est supérieur, c’est le développeur qui reverse la différence à l’Etat.

“Le tarif d’achat proposé par chaque candidat est l’un des critères majeurs de notation des offres à l’issue de la mise en concurrence. Pour les parcs flottants méditerranéens, le niveau de prix cible fixé dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie est de 110 €/MWh. A titre d’exemple, étant donné les prix de l’électricité actuels et si le projet produisait actuellement, le lauréat reverserait chaque année plusieurs millions, voire plusieurs dizaines de millions d’euros à l’Etat.”

Les travaux nécessaires au raccordement du parc seront payés par RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité, qui est essentiellement financé par la Taxe d’Utilisation du Réseau Public d’Electricité (TURPE), payée par tous les consommateurs d’électricité.

  • L’État va donc lancer deux parcs, au large de Narbonne et le second au large de Fos. Pour une production de trois millions d’habitants in fine

Dans sa décision du 17 mars 2022, et suite à un débat public, la ministre de la Transition écologique a sélectionné les zones qui accueilleront ces parcs. Le premier parc sera situé au large de la Narbonnaise, à plus de 22 km des côtes, tandis que le second parc devrait être localisé au large du Golfe de Fos à plus de 22 km des côtes aussi. Mais “si les résultats des études en cours, notamment environnementales, ne permettaient pas d’envisager une telle implantation, le second parc se situerait sur une autre zone, au large du Roussillon, à plus de 24 km des côtes.

La consommation annuelle de près de 2,9 millions d’habitants, 10 % de la consommation d’électricité des régions Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur

Photo : DR.

La procédure lancée doit permettre la mise en service de deux parcs de 250 MW, qui seront complétés par des extensions de 500 MW chacune, à l’issue d’une seconde procédure de mise en concurrence. À terme, les deux parcs et leurs extensions devraient permettre de produire près de 6.6TWh d’électricité par an, soit la consommation domestique annuelle de près de 2,9 millions d’habitants ou 10 % de la consommation d’électricité des régions Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur.

  • Le projet en Méditerranée s’inscrit dans un projet plus vaste de 50 parcs éoliens en mer en 2050

La France s’est fixé comme objectif d’atteindre une part de 40 % d’électricité renouvelable produite en 2030, et plus largement de porter la part des énergies renouvelables à 33 % de la consommation finale d’énergie à cet horizon. L’objectif poursuivi par cette politique de développement des énergies renouvelables électriques est double : d’une part réduire nos émissions de gaz à effet de serre, et d’autre part augmenter la résilience de notre système électrique.

Ainsi, “le gouvernement entend accélérer le développement de l’éolien en mer, avec l’objectif annoncé par le Président de la République en février de construire 40 GW de capacités éoliennes en mer d’ici 2050, ce qui pourrait prendre la forme d’une cinquantaine de parcs de différentes tailles, et permettre la production de plus de 20 % de la consommation d’électricité”, précise-t-on au ministère de la Transition écologique.

  • Comment être sûr d’un moindre coût environnemental ? Un état des lieux des espèces et des désordres possibles est-il envisagé ?

Le ministère répond : “À chaque étape de la vie du projet, il est recherché une minimisation de l’impact environnemental du projet. Lors des étapes de planification de l’espace maritime, et à l’issue du débat public dans le choix des zones de projet, les zones avec les risques d’effet les plus importants sur la biodiversité sensible à l’éolien flottant ont été évitées.

Ce n’est pas tout. “Dans les mois à venir, l’État va lancer des études plus approfondies avec la réalisation d’un état initial de l’environnement des zones de projet, incluant notamment des campagnes d’observation. Les producteurs des parcs et RTE devront ensuite réaliser une étude d’impact et demander aux services de l’Etat l’autorisation de réaliser le projet. Des mesures visant à éviter, réduire, et, en ultime recours, compenser, les impacts du projet sur la biodiversité et l’environnement leur seront imposées.”

Un Observatoire de l’éolien en mer

En parallèle, le gouvernement a lancé un Observatoire de l’éolien en mer au niveau national. Cet observatoire a deux missions principales : “Regrouper, diffuser les études et données existantes sur l’éolien en mer ainsi que le retour d’expériences des parcs étrangers en fonctionnement. Et définir et piloter un programme de travail d’acquisition de connaissances (données naturalistes et connaissances des impacts).” Par ailleurs, “l’Ifremer et l’Office français pour la biodiversité sont les appuis techniques de l’Etat pour le pilotage de cet observatoire. Un Conseil scientifique et une Assemblée des parties prenantes y sont également adossés”.

Etat des lieux de la biodiversité et étude d’impact

“Comme pour chaque projet, il va y avoir une évaluation environnementale”, promet Frédéric Autric, directeur du projet éolien flottant en Méditerranée à la Dreal Occitanie. D’ailleurs, les consortiums devront en passer pour leur dossier par une validation environnementale des services de l’Etat. Avec étude d’impact, qui sera soumise à enquête publique que le public pourra consulter et critiquer. Cette étude fera l’état des lieux en matière d’environnement ; quel est le projet que l’on souhaite développer et quelles sont les différentes mesures pour qu’il y ait le moins d’impact possible sur l’environnement.

Premières études d’ici 2023-2024

Des sternes en Méditerranée. Photo D.-R.

En 2021, Jean Castex, alors Premier ministre, avait annoncé une enveloppe de 50 M€ de l’Etat sur trois ans pour créer un Observatoire de l’éolien en mer, dont l’une de ses missions est de vulgariser les connaissances sur ce projet auprès du grand public ; sur les effets sur l’environnement en regardant sur ce qui s’est déjà fait en France et surtout  en Europe. Et aussi acquérir des connaissances supplémentaires sur l’environnement. Les premières conclusions d’études pourraient sortir d’ici 2023-2024.

Création d’un conseil scientifique

Un état initial de l’environnement – état de la ressource de pêche, par exemple- sera fait par l’Etat. “Nous allons lancer un appel d’offres auprès de bureaux d’études pour le faire réaliser ; il y aura des prélèvements en mer pour caractériser les différentes composantes de la biodiversité. Cet état initial sera ensuite donné aux développeurs pour leur étude d’impact. Nous souhaitons qu’il soit très robuste. Nous sommes accompagnés par l’Ifremer sur cette partie-là”. Enfin, l’Etat s’est doté d’un conseil scientifique avec vingt-deux scientifiques spécialisés qui sera associé pour définir les protocoles pour  mettre au point ces études environnementales.

  • Où en est le débat public ?

Le débat public s’est tenu du 12 juillet au 31 octobre 2021. Ses conclusions ont été prises en compte dans la décision ministérielle prise le 17 mars 2022. Dorénavant, le débat public est terminé, et “nous sommes dans une phase de concertation post-débat public. La Commission nationale du débat public a nommé trois garants, qui sont chargés de veiller à la bonne information et prise en compte des avis du public lors du déroulé du projet, et l’Etat continuera, dans les prochains mois, son travail de concertation et d’information avec les différentes parties prenantes”, explique-t-on encore du côté du ministère de la Transition écologique.

Olivier SCHLAMA

Les treize consortiums présélectionnés :

  • Consortium formé par les groupes BlueFloat Energy, Sumitomo Corporation et Akuo Energy
  • Eolienne Occitanie Grand Large et Eolienne Méditerranée Grand Large, deux sociétés de projet d’EDF Renouvelables et Maple Power (joint-venture d’Enbridge et CPPIB)
  • Groupement BayWa r.e – Elicio
  • Océole, un partenariat d’Equinor
  • IBERDROLA
  • Ocean Winds, la co-entreprise dédiée à l’éolien en mer, créée, et détenue à 50/50, par ENGIE et EDPR
  • RWE – BOURBON
  • Les Moulins du leonis, composé de Shell et EnBW
  • Archipel Energie Marine, composé de Qair – TotalEnergies – Corio Generation
  • Consortium wpd
  • Vattenfall
  • Cobra Instalaciones y Servicios, S.A.
  • Eni Plenitude

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