Climat : Poste avancé du réchauffement, les Pyrénées-Orientales créent un inédit “labo” de solutions

A Elne, l'agrocéologie est un effort permanent. Photo : Ville d'Elne

La situation dans les P.-O., qui subit une sécheresse cumulée historique, est “préoccupante”, juge le BRGM. La collectivité imagine un lieu de confrontation d’idées avec des chercheurs, en lien avec des associations, dont Mare Nostrum. Et pourquoi ne pas aller jusqu’à aider financièrement des communes qui plantent des arbres et désimperméabilisent les sols comme le fait Elne, dont le maire, Nicolas Garcia, est aussi vice-président du département.

Appelons-le “Labo 66” pour faire penser à la fameuse “Route 66”. Pour l’un comme pour l’autre, cela reste une histoire de cheminement. Ce labo P.-O., son vrai nom, a pour mission avec ses chercheurs et experts d’aller à la recherche de solutions, qui existe parfois sur le territoire, pour lutter et s’adapter au réchauffement climatique. On aurait pu le nommer Lab’Eau, tant sa philosophie tient en un mot : économiser. Ce labo va s’appuyer sur d’une part les services spécialisés de la Région, de départements, de services spécialisés, les universités de Perpignan, Montpellier, l’Observatoire de Banyuls, etc. Et l’association Mare Nostrum, connue pour la qualité de son colloque annuel à Port-Vendres.

La plupart des cours d’eau sont au plus bas

Économiser chaque goutte du précieux liquide est vitale pour les Pyrénées-Orientales, département classé par l’Etat en “crise” (avec des restrictions sur beaucoup d’usages et un débit réservé de la Têt qui était descendu jusqu’à 1,5 mètre cubes par seconde), pointe avancée d’un climat qui bout, réalité tangible, générant une sécheresse historique et durable. Un constat partagé, bien au-delà des milieux écolos : la plupart des cours d’eau sont au plus bas ; la terre est assoiffée comme jamais. “Une situation préoccupante”, s’alarment les acteurs économiques et politiques.

Bon cru pour les nappes en France, pas dans les P.-O.

Le barrage de Caramany, déjà bas, il y a des années. Ph. CD 66

L’année 2024 s’annonce, certes, comme un bon cru pour les nappes phréatiques en France mais la situation de l’arc méditerranéen inquiète. Si elles se sont convenablement rechargées dans la moitié Nord, les nappes sont en souffrance dans les P.-O., département par ailleurs très touristique. Hydrogéologue au BRGM (Bureau de recherche géologique et minières), à Montpellier, Perrine Fleury n’emploie plus de termes “pondérés” par souci de mieux coller à l’urgence de la situation.

“Ce n’est pas préoccupant, c’est alarmant”

La spécialiste le dit sans appel : “La situation des nappes phréatiques ressemble à celle d’une sécheresse estivale mais en plein hiver. Nous en sommes à des niveaux historiquement bas sur plusieurs nappes à des niveaux que nous n’avons jamais observés et qui continuent à descendre. C’est une situation que l’on observe habituellement une fois tous les dix ans. Je ne dis pas que c’est préoccupant mais que c’est alarmant. Les données de Météo France à la station de Perpignan sont parlantes : sur la période entre 1980-2010, il pleuvait, selon les relevés,  environ 560 millimètres (mm) d’eau en moyenne. En 2023, il a plu 245 mm, soit une vraie chute : 55 % de précipitations en moins. Et, en 2022, on avait déjà connu une première chute de 45 % des précipitations.” En cumulé sur deux années consécutives, on a eu à peine la moitié que la normale, c’est catastrophique. C’est ce que l’on appelle un “climat sec” qui est de moins en moins méditerranéen.

Un climat sec qui fait penser à l’Afrique du Nord

“À l’automne 2023, poursuit Perrine Fleury, on en était à seulement 30 mm de pluie sur tout le trimestre, toujours à Perpignan. Alors que normalement la moyenne c’est 200 mm sur ce trimestre-là habituellement, soit 60 mm pour chaque mois d’automne dans ce département. Or, c’est à l’automne, quand il n’y a pas de couvert végétal, que les nappes profitent le plus des pluies. Et nous allons avoir des captages dont le niveau va diminuer drastiquement.” Quand il y en a. Nous sommes désormais sous le régime d’un climat sec qui fait penser à l’Afrique du Nord… Et on ne parle par des fleuves, aux débits rachitiques…

Barrage de Caramany dans les Pyrénées-Orientales en 2023. Photo : Direction eau et environnement département des Pyrénées-Orientales.

“Faire des P.-O. un laboratoire d’expérimentation”

Hermeline Malherbe, au micro. Ph. Olivier SCHLAMA

D’où cette idée de Labo 66, sorte de think tank.  “Nous lançons un laboratoire des solutions”, a révélé Hermeline Malherbe, lors de ses voeux lundi 15 janvier. “Il s’agit de travailler avec tous les acteurs concernés sur tout le territoire. Nous voulons faire des Pyrénées-Orientales un laboratoire d’expérimentation. Un département pilote de nouvelles solutions.” Et face à cette situation, la présidente étaie en abordant l’eau “sous ses différentes dimensions : brute ; sa répartition ; les barrages ; l’eau potable ; la résorption des fuites ; la réutilisation des eaux usées traitées ; l’hydraulique agricole et les usages du tourisme et des loisirs. L’eau est un enjeu collectif !”

Réflexion sur les canons à neige des stations

Ceci dit, on ne pourra pas faire l’économie, très vite, d’une réflexion sur la ponction des canons à neige des stations des Pyrénées Catalanes. Même la chambre régionale des comptes affirme, par exemple, que “le changement climatique est peu pris en compte à Font-Romeu”, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. La station, qui est dotée de 510 canons à neige, a l’autorisation de prélever 500 000 m3 dans le lac des Bouillouses qui en contient, quand il est plein 18 millions. C’est ce château d’eau qui alimente aussi l’un des principaux fleuve, la Têt qui s’écoule jusqu’à Perpignan et qui est étique. C’est pourquoi le préfet en a limité les usages et réservé le débit, comme nous l’expliquions ICI.

Tirer partie de cette situation alarmante

La commune de Elne est à la pointe en matière d’agro-écologie. Ph.Mairie d’Elne

“Cette idée est née du fait que ce département se trouve, malgré lui, aux avant-postes du réchauffement climatique et de ce qu’il fait subir comme conséquences aux départements méditerranéens”, résume Grégoire Carrier. Directeur général adjoint chargé des questions d’eau au département, il qualifie lui-aussi la sécheresse “d’historique. C’est la troisième année d’affilée avec une gravité cumulée”.

Les avanies se multiplient dans le ciel des P.-O. Au-delà de la sécheresse, ce territoire est la proie d’incendies, d’inondations, dont une, historique, Gloria, en 2020. Mais aussi d’érosion du littoral. Ce qui impacte fortement l’activité économique. Et si on inversait la question ? En se demandant comment tirer partie, finalement, en terme d’expérience, de cette situation alarmante où l’aquifère du Roussillon est très dégradé avec des niveaux au plus bas. Il s’agit, en effet, de “mieux comprendre localement conséquences et causes du réchauffement” et de développer une stratégie de territoire avec la mise en oeuvre de solutions adapatées.

Ateliers et laboratoire à ciel ouvert

Y a-t-il des solutions, qui existent peut-être ailleurs, “qui soient transposables sur le territoire des Pyrénées-Orientales ?” Le labo – sans blouses blanches – se propose de réaliser “des études de cas avec des ateliers, sur un morceau de territoire à propos d’un incendie par exemple parce qu’il y a été spécifique ; idem pour les épisodes d’inondation et de sécheresse. Les intercommunalités concernées ont vécu les événements et leur expérience peuvent nous en apprendre davantage sur les mécanismes et les solutions possibles. C’est un laboratoire à ciel ouvert”. Un premier atelier sera organisé d’ici fin mars. Avec un rythme d’un par mois à six semaines. “Ce que l’on sait c’est que le phénomène va s’accentuer : il y aura davantage d’eau à certaines périodes et davantage de sécheresse à d’autres. Et on perd beaucoup d’eau par évapo-transpiration.”

Vers de possibles nouveaux dispositifs départementaux

Ph. Ville d’Elne

Début 2025, cette démarche pourrait déboucher sur deux types d’actions : “Quand c’est du ressort du département, on peut imaginer des dispositifs nouveaux. Et ensuite de voir comment la population des P.-O., dans une consultation publique, se projette pour connaître le souhait de développement du territoire”. En pleine connaissance de cause.

Et de préciser : “Le département se voit aussi comme “lieu” d’organisation d’un grand colloque annuel par une association, Mare Nostrum à Port-Vendres, courant juin. Et il se trouve qu’il est à l’initiative d’une personne, Elizabeth Blanc Cassagne, qui fait partie de réseaux scientifiques de haut vol, comme le Giec. Elle a une capacité de mobilisation d’acteurs internationaux assez incroyable. Mare Nostrum est intéressée pour nous aider avec un haut patronage et de grands témoins.” 

“La situation que l’on jamais connue, pire qu’en 2023”

Arbres en viticulture, Ph. O.SC.

Maire d’Elne, président du Syndicat mixte de la plaine du Roussillon et vice-président du département, Nicolas Garcia partage le constat d’une situation alarmante. “La situation que l’on jamais connue, pire qu’en 2023. Ni pour les cours d’eau ni pour les nappes ; celles du quaternaire et du pliocène sont au plus bas. Et sur les réserves karstiques des Corbières, il faut y aller très prudemment.”

Il dit encore : “On s’aperçoit de plus en plus que ces réserves karstiques sont liées au débit de la rivière l’Agly qui est à sec et qui elle-même est alimentée par le barrage de Caramany. Une partie ressort par des résurgences dont une partie alimente l’étang de Salses mais une grande partie va dans le Pliocène”. Les Pliocènes, ce sont des nappes ultraprofondes, fossiles, les toutes dernières disponibles, entre 25 mètres et 250 mètres de profondeur dans quasiment toute la plaine du Roussillon. “Quand il n’y a pas d’eau dans l’Aggly, reprend Nicolas Garcia, le karst des Corbières se tarit vite. Ce n’est pas la réserve d’eau rêvée pour pallier la sécheresse.” La Têt ? “Avec 2,5 mètres cube par seconde, ce n’est pas brillant…” 

Désimperméabilisation, agro-écologie, plantations…

L’idée de ce labo a aussi germé peu à peu à partir de ce que Nicolas Garcia réalise déjà dans sa commune, tournée vers une transformation écologique. Pour que ce qui se réalise à l’échelle de Elne essaime ailleurs dans le département, “pour que l’on travaille sur la plantation, la désimperméabilisation, l’agro-écologie avec notamment la plantation de 10 000 hectares d’arbres dans ce département”, dit-il.

“Si une commune plante trois hectares d’arbres et désimperméabilise un parking, on pourrait l’aider financièrement”

Au micro, Aude Vivès, à la droite de Hermeline Malherbe et de Nicolas Garcia, à la Maison de la Catalanité, à Perpignan. Ph. Olivier SCHLAMA

De quoi réaliser de grandes choses avec d’autres acteurs dont Mare Nostrum et la chambre d’agriculture. Tout ceci pourrait déboucher sur des appels à projets, avec des financements spécifiques. Ce “labo” a, d’ailleurs, commencé à produire des idées. La toute première est déjà financée par le département qui avait réservé 1 M€ pour les communes qui travaillent à la résorption des fuites d’eau.

“On n’a finalement eu des dossiers que pour 300 000 €, confie Nicolas Garcia. On pourrait imaginer un appel à projets incitatif. Par exemple : si une commune plante trois hectares d’arbres de forêt et désimperméabilise un parking, on pourrait l’aider financièrement.” La présidente n’a-t-elle pas dit, en substance, lors des voeux à la presse lundi : “On ne peut plus continuer à aider ceux qui bétonnent les parkings et celles qui les dé-bétonnent”… ?

Olivier SCHLAMA

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