La LPO vient de poser des GPS sur huit Milan royaux dans les gorges de la Truyère, espèce protégée et en danger souvent victime de la destruction de son habitat, d’éoliennes ou d’empoisonnement. Fabienne David, qui dirige en France un programme européen de sauvegarde, en explique les enjeux.
Même un rapace peut être menacé de disparition. En Aveyron, c’est le mystère total. Mais, au final, pas si épais que cela. Le Milan royal est l’un des plus grands rapaces diurnes reconnaissable par sa couleur un peu rousse, sa queue de “poisson” découpée en V et deux grandes tâches blanches sous les ailes.
“En juin, nous avons équipé de balises GPS trois jeunes milan royaux au nid, explique Fabienne David ; un mois après ils étaient morts… Nous ne savons pas exactement à quoi ils ont succombé car on a joué de malchance : c’était le 14 Juillet, sous la canicule…” Celle qui pilote un programme de sauvegarde de l’espèce en France à la LPO (Ligue de protection des oiseaux), dans le cadre d’un programme européen, poursuit : “On a récupéré leurs cadavres quelques jours plus tard…” Trop tard : “Leurs foies, grâce auxquels on peut identifier s’il y a eu empoisonnement, notamment, n’était plus “exploitable” pour des analyses toxicologiques. Mais on sait que certains ont pu aussi être empoisonnés ou tués par les pales d’éoliennes.” Un fléau.
Le GPS pour identifier causes de mortalité et sites
Ces jeunes Milan royaux de l’Aveyron font partie d’une expérience de conservation plus vaste, avec un suivi télémétrique réalisé pour la première fois sur cette espèce. “Le 7 juin 2022, des balises ont ainsi été posées sur huit milans royaux dans les gorges de la Truyère (Aveyron) puis 12 autres dans le Bassigny (Haute-Marne et Vosges) entre le 8 et le 10 juin. En 2021, 26 individus avaient déjà été équipés dans le Massif central ; 5 ont hélas été retrouvés morts en Espagne et en France. Le programme prévoit d’équiper et de suivre 615 milans royaux avec des balises GPS dans 12 pays européens sur la période 2021-2027″, indique la LPO France. Grâce à un système d’alerte, toute suspicion de mortalité d’un des oiseaux est signalée et le cadavre peut alors être récupéré pour autopsie. Le suivi GPS permet également d’en apprendre davantage sur la biologie et le comportement migratoire de l’espèce.
En huit ans, les effectifs sont remontés de 5 % à 10 % par an ; en 2022, en Lorraine, on a compté 270 couples nicheurs connus”
On n’imagine pas un tel rapace de plus d’un mètre soixante d’envergure menacé de disparition. C’est pourtant le cas. Pour une multitude de facteurs. En Lorraine, un plan régional d’action (PRA) est effectif depuis 2014. “Et, depuis 2021, souligne Marine Felten, de Lorraine Association nature, un second PRA est actif mais, désormais, sur le “Grand Est” en incluant l’Alsace et Champagne-Ardennes. On y met en oeuvre tout un tas d’actions de conservation pour l’espèce. Chaque année, nous faisons un suivi des populations avec des zones échantillons de plusieurs centaines de kilomètres carrés où nous répertorions tous les couples nicheurs pour connaître l’état des populations.”
Et : “En huit ans, les effectifs sont remontés à hauteur de 5 % à 10 % par an. En 2022, en Lorraine, on a compté 270 couples nicheurs connus. Mais cette remontée est trop faible qui ne suffit pas à stabiliser la population. Il faut dire que le Milan royal a “perdu 80 % de ses effectifs depuis les années 1990. l’objectif est de revenir à l’état initial mais ce sera difficile : à l’époque la France comptait quelque 2 000 couples”, note Marine Felten.
Habitat du Milan Royal détruit, empoisonnement…
“Les populations de Milan royal se sont amenuisées notamment, reprend-elle, à cause d’une destruction de son habitat due à une densification du système agricole, notamment. Les grandes cultures céréalières notamment qui ont remplacé les prairies de fauche ; les haies ont “sauté”… Des lieux où se nourrissait abondamment le Milan royal. “En plus, cette espèce ne se reproduit qu’à partir de sa troisième année d’existence, sachant que plus de la moitié des jeunes ne survivent pas au-delà de la première année et que les parents ne font pas plus que deux ou trois jeunes Milan par couvée. Du coup, la population ne se renouvèle pas rapidement.”
“L’espèce a été en fort déclin…”
“L’espèce a été en fort déclin mais ses populations semblent remonter un peu, en France mais aussi en Suisse où l’espèce est redevenue florissante grâce au nourrissage, parfois un peu contesté…”, confirme Fabienne David. Parmi les causes principales, qui sont toutes entropiques, il y a les empoisonnements aux pesticides dont l’un est pourtant interdit depuis longtemps… Autre cause, la destruction des habitats de ce rapace inféodé à la polyculture, notamment. Pour lutter contre cette situation, la LPO met en oeuvre des actions de sensibilisation et des mesures de protection. Par exemple, des placettes d’alimentation pour ces oiseaux opportunistes également nécrophages.
À peine 2 700 couples de Milan royaux en France
La mobilisation en faveur de cette espèce protégée est devenue l’affaire de l’Europe. Au dernier comptage, en 2008, il y avait à peine 2 700 couples nicheurs de milan royaux dans l’Hexagone. Les équipes de la LPO et de Lorraine Association Nature (Loana) ont donc posé en juin dernier des balises GPS sur vingt jeunes milans royaux dans l’Aveyron, en Haute-Marne et dans les Vosges avec l’appui de collègues autrichiens.
Programme européen de conservation Life Eurokite
Cette action s’inscrit dans le cadre du programme européen Life eurokite pour sauver ce rapace emblématique du vieux continent, menacé par les activités humaines. “Abritant 12 % de la population mondiale, la France porte une responsabilité importante dans la conservation de cette espèce protégée”. Grâce à ces balises, on peut savoir de quoi précisément meurent les Milan royaux : “On pratique des analyses toxicologiques car on retrouve beaucoup de ces oiseaux que l’on imagine empoisonnés et on peut précisément identifier, avec la police de l’environnement, les secteurs où cela s’est passé.” Ces balises donnent aussi des indications sur les trajets migratoires.
Cofinancé par l’Instrument financier pour l’environnement (Life) de l’Union européenne, le projet Eurokite, coordonné par l‘ONG Megeg, utilise la télémétrie pour identifier, localiser et quantifier les principales causes de mortalité qui affectent le Milan royal à travers l’Europe afin de proposer des actions de conservation adaptées. Côté français, le Life Eurokite est cofinancé par le ministère de la Transition écologique et mis en œuvre par la LPO avec l’appui notamment de ses associations régionales Auvergne Rhône-Alpes, Occitanie et Grand Est.
Les jeunes Milan royaux quitteront bientôt leurs parents
Les jeunes Milan royaux quitteront définitivement leurs parents d’ici la fin de l’été, pour se disperser et rejoindre sans doute l’Espagne cet hiver. Présent uniquement en Europe, le Milan royal est un rapace diurne inféodé aux zones agricoles associant élevage et polyculture. Reconnaissable en vol à son plumage clair et à sa queue échancrée, il s’observe tout au long de l’année en France.
Empoisonnement, tir, collision, électrocution : les menaces d’origine humaine qui pèsent sur les populations de rapaces à travers l’Europe sont aussi diverses que redoutables. Au regard du statut préoccupant du Milan royal en France, un nouveau Plan national d’actions coordonné par la Dreal Grand Est et animé par la LPO, a donc été lancé en 2018 pour une durée de dix ans. Les données acquises dans le cadre du Life Eurokite viennent compléter et orienter les actions de sauvegarde de ce PNA. Il bénéficie d’un budget de l’ordre de 10 M€.
“Placettes d’alimentation” pour le Milan royal
Fabienne David confie encore : “On peut proposer ainsi aux Milan royaux, qui ont l’habitude de placettes d’alimentation comme on dit : de se nourrir, dans des endroits précis, de campagnols morts sur les bords des routes ou dans les champs, des déchets de boucherie. Nous sensibilisons aussi les agriculteurs pour qu’ils maintiennent ou reconstituent des haies dans leurs champs et surtout qu’ils n’utilisent plus certains pesticides mortels pour le Milan. Comme le bromadiolone, désormais interdit mais il y a encore des usages illégaux notamment dans le Grand Est ou le carbofuran, un insecticide, largement utilisé notamment en France, Allemagne ou Espagne.”
Fabienne David ajoute : on travaille de concert avec les promoteurs et les fabricants d’éoliennes pour limiter la présence de ces parcs dans des zones très fréquentées par les Milan Royaux ; on leur propose aussi des systèmes de bridage en période de fauche : c’est à ce moment-là qu’une partie de la faune locale est tuée par les tracteurs dont le Milan Royal peut profiter.”
Le Milan royal se situe au bout de la chaîne alimentaire dont il est un maillon important. Se nourrissant de rongeurs, notamment de campagnols terrestres, il en régule les populations, en “hausse cyclique”, précise Fabienne David, rendant accessoirement un grand service aux agriculteurs qui, parfois, l’ignorent. Il fait pleinement partie, comme tous les oiseaux, de la biodiversité.
Olivier SCHLAMA
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