Vélo : “Construire une filière robuste autour de clusters, comme celui du Gers…”

Guillaume Gouffier-Cha : "Quand j'en ai parlé au Premier ministre, je lui ai dit : on va mettre sur ce quinquennat entre 600 M€ et un milliard d'euros mais pas assez de retombées. On a des acteurs mais dispersés on n'a pas de filière." DR

La fièvre du cyclisme gagne de plus en plus d’adeptes. Député LaReM, Guillaume Gouffier-Cha a été chargé par le gouvernement d’une mission parlementaire sur une filière vélo en France pour que le pays devienne le numéro 1. Quelque 300 000 emplois sont en jeu, dont une partie en Occitanie, notamment via un cluster, à l’Isle-Jourdain (Gers).

Âgé de 35 ans, lui-même passionné de vélos de course et de VTT, il dit : “La France, déjà 6e nation européenne pour le vélo, est un pays de vélos. Et au pays du Tour de France, il est évident de structurer une filière qui ne demande que ça. Je reviens de la vélo vallée d’Occitanie à l’Isle-Jourdain, dans le Gers, non loin de Toulouse, où j’ai retrouvé les acteurs du vélo à l’occasion du salon des mobilités actives qui se tenait à Toulouse et organisé par le club des villes et territoires cyclables. C’est un cluster formidable et exemplaire”, confie Guillaume Gouffier-Cha.

Créer 300 000 emplois d’ici dix ans

Député Larem du Val-de-Marne, “vélotaffeur” (sur O2feel et Kalkhoff), y compris pour éviter “de prendre les trois kilos annuels du député moyen” qui roule en voiture, qui vient d’être chargé d’une mission parlementaire sur le vélo, il n’a pas perdu de temps en se rendant ce vendredi à Toulouse pour commencer à expertiser la filière. Il faut dire qu’il a seulement trois mois pour faire des propositions pour “rendre la filière vélo plus robuste, cohérente”, capable de créer 300 000 emplois d’ici 10 ans (production de pièces, assemblage, réparations, services) qui profiteront directement aux territoires, au lieu de seulement 78 000 emplois actuellement.

Quelque 2,7 millions de vélos vendus en 2020…

Car la fièvre du cyclisme a gagné la quasi-totalité du pays en quelques années. Il y eut à la faveur des confinements, la construction des fameuses coronapistes, souvent pérennisées, comme dis-Leur vous l’a expliqué. Avec, depuis la crise sanitaire, des pics jamais atteint en France. Quelque 2,7 millions de vélos ont été vendus en France en 2020 (+ 25 % sur un an), dont 514 600 vélos à assistance électrique (+ 29 %), pour trois milliards d’euros de chiffre d’affaires, selon l’Union sport et cycle.

… mais seulement 670 000 assemblés en France

Car sur cette envolée historique des ventes, la France n’a assemblé que 670 000 vélos et en a importé dans le même temps 2,2 millions, notamment depuis le Portugal, l’Asie l’Allemagne, la Roumanie ou l’Italie. Trois ans après le plan vélo, qui a remis les Français en selle, le gouvernement veut donc tenter de récréer une filière industrielle pour tirer profit de cet engouement.

Le vélo c’est bien pour l’environnement, la santé, le bien-être mais l’enjeu est aussi de capter les retombées économiques de cet engouement”

Guillaume Gouffier-Cha.

Les Français sont de plus en plus nombreux à enfourcher un vélo, y compris pour se passer de leur seconde voiture, mais la France n’en recueille pas les fruits : “On a fait beaucoup pendant ce quinquennat pour le développement du vélo : que ce soient les infrastructures, la lutte contre le vol ; savoir rouler ; les aides pour l’acquisition des vélos, le Plan vélo ; le forfait mobilités durables… Le vélo c’est bien pour l’environnement, la santé, le bien-être mais l’enjeu est aussi de capter les retombées économiques de cet engouement. Quand j’en ai parlé au Premier ministre, je lui ai dit : on va mettre sur ce quinquennat entre 600 M€ et un milliard d’euros mais pas assez de retombées. On a des acteurs mais dispersés on n’a pas de filière.”

De 4 % à 12 % de part de déplacements à vélo en 2030

Il ajoute : “Nous voulons passer de 4 % à 9 % la part de déplacement à vélo d’ici 2024 et à 12 % en 2030. Il faut que nos territoires en profitent. Mais la production n’est pas le seul sujet. Le sujet, c’est un écosystème : c’est aussi l’innovation, la formation, les équipements du vélo et du cycliste ; ce sont les infrastructures.” Le député rappelle : “On a laissé filer des compétences dans les années 1990 que l’on va avoir énormément de mal à récupérer. J’ai été frappé de voir qu’il y a des brevets que nous avons perdus vis-à-vis de Shimano, notamment, sur les freins, les leviers de pignons de vitesse, les pédales, les câbles… !”

“Nous avons des capacités d’innovation”

Mais Guillaume Gouffier-Cha garde une note d’optimisme : “Nous avons des capacités d’innovation surtout que le vélo est en permanence en évolution et de plus en plus connecté ; certaines marques proposent même de bloquer l’allumage de la batterie directement depuis sont téléphone portable, par exemple. Il faut aussi se mettre à construire des vélos de moyenne gamme, solide. On ne va pas refaire ce que l’on faisait dans les années 1980.” Davantage de vélos “fera baisser mécaniquement leurs prix” ; il faut aussi axer notre politique de développement sur les services comme la géolocalisation ; être maître des datas ; favoriser aussi la sécurité avec des ordinateurs, la création de boxes, d’abris (nous avons des boîtes françaises leaders dans ce domaine et qui peuvent aussi être valorisées à l’export, comme la qualité des pistes) ; la réparation, etc.” 

Recréer une culture du vélo en France et redevenir N°1

Egalement vice-président du Club des élus nationaux pour le vélo, Guillaume Gouffier-Cha souligne l’importance de ce genre de cluster dans la structuration future de la filière vélo. “Je vais retourner au Portugal, dans la vallée de la Gada, où se construisent trois millions de vélos alors qu’ils n’en faisaient que 600 000 il y a quelques années, sans avoir l’écosystème que nous avons. L’enjeu, c’est vraiment recréer une culture en France et redevenir le pays numéro 1 en France.” Le député prolonge : “Sur le vélo électrique, il y a aussi des perspectives fabuleuses…”

“Ce quinquennat aura été celui de la naissance d’une nation du vélo”, s’est d’ailleurs réjouie Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, mardi 14 septembre, à l’occasion du lancement du “baromètre des villes cyclables”, qui incite les usagers à noter les efforts de leur collectivité.

Écosystème exemplaire dans le Gers

Cuclelab, le cluster vélo à l’Isle-Jourdain, dans le Gers. DR.

Ancien conseiller parlementaire de Jean-Yves le Drian, ministre des Affaires étrangères, le député reprend : “Né à l’initiative d’une vingtaine d’entreprises régionales d’Occitanie, ce cluster a pour vocation de fédérer et contribuer au développement de toutes les entreprises en lien avec le vélo. Denis Bricadieu, directeur de Cyclelab, fait un travail formidable.” Actuellement, une quarantaine d’acteurs sont associés à ce cluster, soit 157 emplois. Il ajoute que Cyclelab rassemble dans le Gers un réseau d’enseignes de 120 magasins de vélo et une école de formation, Sud de Vélo, notamment pour les managers, vendeurs, techniciens. Avec un projet d’envergure : “Créer une usine d’assemblage de vélos blancs, la Vélo Factory qui pourrait produire jusqu’à 30 000 deux roues dans trois ans.”

“Je crois beaucoup aux clusters vélos…”

“Je crois beaucoup aux clusters vélos en France ; ils sont en train de se dessiner, estime Guillaume Gouffier-Cha. À Romilly-sur-Seine (Aube) ; Epinal, chez Moustache où toute l’histoire locale est en train de se construire autour de cette boîte ; avec un développement du cyclotourisme – et du VTT électrique- et des ponts jetés avec l’industrie auto. Pareil, dans les Pays de la Loire où un cluster se développe. Deux autres gros clusters se font jour : à L’Isle-Jourdain, donc avec des projets fous : le directeur de ce cluster a la vision totale de l’écosystème. Il y a la formation, l’innovation, l’assemblage, le spot de développement sportif et éco-tourisme, les liens avec l’aéronautique, les points de revente et de réparation... Enfin, il y a le pôle en construction en Rhône-Alpes, autour du Mad Lyon.”

Ponts possibles avec l’aéronautique et l’automobile

Guillaume Couffier-Cha au salon des mobilités actives à Toulouse hier. DR

Ce n’est pas tout. Le député a bien écouté les professionnels du vélo qui manquent de bras. “Il s’agit de développer des clusters de vélos, comme cette Vélo Vallée dans le Gers, précise le député. Il y a des ponts possibles avec ces industries, notamment aéronautique ou automobile. Il y a à la fois des salariés qui pourraient passer dans la filière vélo mais il y a aussi des innovations et des technologies qui pourraient être utiles dans le vélo. L’exemple-type, c’est le moteur pour le vélo électrique. On n’a pas vocation à être dépendant de Shimano ou de Bosch. D’ailleurs, Valéo qui a créé l’une des batteries les plus performantes et ce, à partir d’une technologie automobile performante pour équiper les vélos classiques mais aussi pour les vélos cargo”, éléments majeurs de la livraison sur le dernier kilomètre en plein développement.

“Nous avons aussi des capacités à améliorer les freins, en s’inspirant de l’automobile.” Par ailleurs, “nous sommes trop dépendants du dérailleur japonais Shimano qui est sur tous les vélos…Or, on a peut-être des innovations à faire valoir comme le cardan ; il y a aussi d’autres systèmes de passage de vitesse… On a des capacités d’innovation : regardez c’est bien Look, une entreprise française qui avait créé la pédale automatique en compétition dans les années 1980.” 

Marge de progression énorme sur le “vélo taf”

A vélo, en famille en centre-ville de Sète (Hérault). Photo : Olivier SCHLAMA

Mais un vélo c’est parfois très cher ! “Là où il y a une marge de progression énorme, c’est sur le “vélo taf”, le vélo du quotidien, explore Guillaume Gouffier-Chat. Les gens vont investir dans un vélo de qualité qui coûte entre 1 500 € et 3 000 € pièce, sachant que l’on est actuellement sur un phénomène où les gens font un premier achat à 1 500 € et une fois convaincus, achètent la gamme supérieure, plus cher ; c’est pour cela que l’on a fat entrer le vélo dans la prime à la conversion. Ce qui nous a fait perdre beaucoup de temps, c’est que dans les années 1980-1900, on était dans une “culture” de l’autosolisme absolu. Le vélo était ringard.”

12 000 km de pistes en plus en trois ans en France

À Montpellier ou Toulouse, dans notre région, l’enjeu des infrastructures a été central ces dernières années, y compris lors des dernières municipales. ces deux capitales ont pu investir. Mais quid des villes moyennes voire des petites villes…? “Oui,l’enjeu numéro 1 c’est de sécuriser le cycliste et de construire les pistes. C’est pour cela que l’on a lancé le plan vélo et le fonds mobilités actives très largement sollicité.  On a augmenté en trois ans de 30 % le nombre de pistes cyclables. On en a construit 12 000 kilomètres. On est passés de 3 % à 4 % de parts de déplacement à vélo.”

Enfin, autre chantier, il faudra aussi pacifier les relations avec les autres usagers de la route, conducteurs de voiture en tête, en leur offrant de vraies possibilités de stationnement et de fluidifier également leurs trajets. “Nous ne voulons pas opposer les usagers entre eux, bien entendu. Ce n’est pas le but. Bien sûr qu’il faudra poursuivre la création d’infrastructures…”, conclut le député missionné.

Olivier SCHLAMA

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